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Chapitre 9 : « Espoir et douleurs »

Année 2116 | 16 novembre, 12 h 40 – QG HOPE, Santa Monica, Los Angeles - Californie

Héliosis venait de quitter HOPE, et Sarah tenta d’accéder à la salle Enigma en insérant son badge. Accès refusé. Elle réessaya, mais l’ordinateur afficha la même réponse. Un instant, elle envisagea de contourner la sécurité du système, mais se ravisa. Vu le degré de protection élevé du code originel de HOPE, une telle tentative avait peu de chances de réussir. L’intelligence artificielle contrôlait l’ensemble du système, et même avec ses capacités de variante pour pénétrer un réseau informatique, Sarah aurait besoin de plusieurs jours pour briser les premières lignes de ce code, que HOPE pouvait adapter au besoin. Ces paramètres étaient aisément modifiables par Jane Roselys, la dirigeante du site, et avec l’activation d’Héliosis, le niveau de sécurité avait été poussé au maximum. Aucun badge ne permettait désormais de sortir des lieux.

Consciente de son impuissance à accéder à la salle Enigma ou à découvrir la mission d’Aleksandr, Sarah se dirigea vers la cuisine pour poursuivre ses analyses. Elle avait besoin de s’occuper l’esprit jusqu’au retour des deux groupes à HOPE. Pendant ce temps, Illyria restait cloîtrée dans sa chambre. Sarah s’installa à la table, sa tablette en main, ressemblant à une plaque de verre arrondie, sur laquelle les informations défilaient rapidement grâce à son don. Puis, soudain, ses doigts se figèrent. Elle venait de remarquer un détail intrigant.

En arrière-plan des tâches courantes du système, un transfert de données d’une ampleur inhabituelle était en cours. Étrange, pensa Sarah, elle n’avait aucun souvenir d’avoir initié une telle opération. Elle décida cependant de mettre ce mystère de côté et reprit ses tâches d’analyse, bien que l’attente des nouvelles de l’un ou l’autre des groupes la rendît nerveuse. Que se passerait-il si Madame Roselys ne revenait pas ? Ou si Sidonie échouait à retrouver Lucas ? Sarah ne voulait pas se hasarder à formuler des prédictions ; il y avait une ligne ténue entre succès et échec, et tout pouvait basculer en un instant. Elle tenta de consulter la fiche de Sidonie, mais un refus catégorique s’afficha en rouge sur l’écran. Pourtant, Aleksandr avait pu accéder à ces informations avant l'activation d'Héliosis et son départ pour Los Angeles.

Encore un mystère qu’elle ne pouvait résoudre sans l’autorisation de HOPE. Pourquoi l’intelligence artificielle restreignait-elle ainsi l’accès aux informations ? Le code source de HOPE n’avait pas été modifié depuis longtemps, hormis lors d’une opération de maintenance quelques mois plus tôt. Rien qui puisse suggérer un piratage. Peut-être était-ce l’œuvre d’une personne interne au centre, ou d'un autre chef de section, conclut-elle.

Elle entendit alors des pas dans l’escalier. Quelqu’un descendait. Sarah reconnut immédiatement la personne.

  • Je suis navrée de vous déranger, Sarah, dit Illyria d’une voix nerveuse. Tourner en rond dans ma chambre me rend folle.

  • Je comprends, madame, répondit Sarah avec empathie. Vous voulez que je vous prépare quelque chose ?

  • Non, je vais m’en occuper, Sarah. C’est très aimable de votre part.

  • Les robots peuvent s’en charger, si vous préférez.

  • Ce ne sera pas nécessaire, j’ai besoin de me changer les idées, et j’ai toujours aimé cuisiner moi-même.

  • Comme vous voudrez…

  • Je ne veux surtout pas vous importuner, Sarah. J’aimerais tant qu’ils soient déjà de retour, que je puisse enfin revoir Lucas ! L’attente est insupportable !

 

Illyria se dirigea vers le réfrigérateur pour vérifier les provisions. Contrairement à ce qu’elle imaginait, le frigo était bien rempli avec une variété d’aliments, condiments, légumes et boissons, de quoi tenir plusieurs jours pour une dizaine de personnes. En général, Sarah s’occupait des commandes en ligne, faisant appel à des entreprises spécialisées dans la livraison à domicile. Les supermarchés avaient disparu, remplacés par des systèmes de collecte géants ou des robots-coursiers plus efficaces.

  • Puis-je vous poser une question personnelle, Madame ?

  • Je vous en prie, appelez-moi Illyria. Allez-y, je vous écoute.

  • Pourquoi votre fils Lucas a-t-il décidé de partir ainsi ?

 

​Illyria sembla troublée par cette question, comme si la douleur de cette réalité la hantait depuis longtemps.

  • Excusez-moi, je comprendrais si c’est trop personnel ou difficile d’en parler.

  • Non, ça va, répondit Illyria en se retournant et en croisant les bras. À vrai dire, je pense que Lucas a traversé des épreuves très dures. Après la mort de son père et ma disparition, une personne de confiance a envoyé Lucas en Fédération Unie, à NickroN, pour le protéger de la répression contre les variants dans l’empire Europa. C’était pour lui l’occasion de repartir à zéro, d’apprendre à maîtriser son don, qu’il considérait comme un fardeau lorsque je le lui ai révélé. Lucas a toujours été introverti, doté d’une immense gentillesse, parfois presque naïf. Jane me reprochait souvent de ne pas le préparer assez à la dureté du monde.

 

Illyria soupira, le regard lointain.

  • Nous savions qu’il serait un variant, et ce monde est bien trop cruel pour un jeune garçon seul. J’ai sans doute commis l’erreur de le surprotéger, ce qui causait souvent des disputes avec mon défunt mari. Malgré toutes mes précautions, le destin l’a rattrapé à NickroN. Après son enlèvement par l’Église de Sydonai, Lucas a voulu prendre son indépendance, faire ses propres choix. Puis… il a préféré ne plus me voir, surtout après mon remariage. Mon nouvel époux détestait Lucas et l’a poussé à partir définitivement. Il me donnait parfois de ses nouvelles, mais je pensais que c’était la faute de son demi-frère Ludovik, qui l’aurait monté contre moi. Je me trompais.

 

Elle s'interrompit, comme si les souvenirs l'envahissaient. 

  • Il m’a finalement appris qu’il retournait à NickroN Renaissance en 2113. J'angoissais au point de plus dormir la nuit, et de chercher chaque jour un moyen de m'enfuir de l'Empire Europa afin de retrouver mon fils, mais le destin en a voulu autrement. Je suppliais Lucas de partir avant qu’il ne soit trop tard. Il refusait obstinément de m'écouter en me reprochant d'être trop protectrice. Je remerciais Dieu chaque jour quand j'ai appris qu'il avait réussi à s'enfuir à temps, mais après cela, il n'a pas voulu se confier durant son exil. Depuis trois ans, je vis avec la peur constante qu’il lui arrive quelque chose. Tout est de ma faute… Rien que d’y penser, je…

Illyria sanglotait doucement.

  • Pardonnez-moi, je ne devrais pas me laisser aller comme ça devant vous.

  • Ça ira mieux, vous verrez, murmura Sarah d’un ton apaisant.

Au même moment, Illyria regardait la photo de son fils affichée sur l’écran. Les traits mélancoliques de Lucas ravivèrent en elle une profonde nostalgie. Elle resta ainsi, perdue dans ses pensées, les larmes coulant en silence.

  • Pouvez-vous me parler de l'Église de Sydonai, cet ennemi mortel ? demanda Sarah, intriguée.

  • Jane ne vous a donné aucun détail ?

  • Madame Jane n’est pas souvent loquace et préfère garder certaines informations pour elle. Vous la connaissez…

  • Oui, nous la connaissons bien, répliqua Illyria avec une pointe d'ironie. Ma soeur Héra, ainsi que notre frère Geoffroy, aujourd'hui disparu, ont beaucoup supporté les décisions de Jane. Mais si j'osais la comparer à Dieu, alors notre ennemi mortel serait le Diable. Pourtant, ils se sont connus il y a très longtemps. Cela fait des années que nous ignorons où il se cache, ni ce qu’il manigance dans l’ombre. Il nous a infligé tant de souffrances, et Lucas est l’un des derniers héritiers en ligne directe des Roselys.

  • Il y en a d’autres ?

  • Ma nièce Elena, une jeune femme courageuse et obstinée. Mais personne ne sait où elle se trouve. Je soupçonne Jane de ne pas nous avoir tout dit sur ses autres descendants non officiels.

  • Et pourquoi veut-il vous exterminer ?

  • Je l’ignore, avoua Illyria, le regard lointain. La vengeance peut persister à travers les siècles, Sarah. Et nos dons valent plus que de l’or pour cette maudite agence. Notre ennemi s’appelle…

 

Elle fut interrompue par HOPE.

  • Désolée de vous interrompre, mais je n’ai plus aucun contact avec Madame Jane et son groupe depuis qu’ils sont entrés dans les égouts. J’ai détecté des formes de vie inconnues et potentiellement dangereuses. Vous aviez raison toutes les deux : il semble que la BMRA ait mené des expériences dans ces passages abandonnés. Le signal de leurs constantes vitales est brouillé.

  • Merci, HOPE. J’espère qu’ils vont réussir à sortir de là… murmura Sarah, inquiète.

  • De quelles expériences parlez-vous ? demanda Illyria, préoccupée.

  • Madame Jane avait découvert des informations partielles, il y a plusieurs mois, sur un nouveau virus créé par l'agence et testé sur des variants, expliqua Sarah. Certains prétendaient que l’expérience avait été partiellement abandonnée, mais il semble que l’Agence poursuive des projets secrets dans l’ombre.

  • Comment est-ce possible ? murmura Illyria, déconcertée.

  • HOPE, est-ce que Madame Jane a laissé des instructions, au cas où les choses tourneraient mal ?

  • Oui, Sarah, elle a tout prévu, répondit HOPE.

  • Comme toujours, murmura Illyria en baissant les yeux.

  • Tiens-moi informée, HOPE.

 

Sarah se leva, se plaçant devant Illyria pour lui adresser un sourire d'encouragement. Pour l'instant, elles n’avaient d’autre choix que d’attendre.

Sarah Garden

Sarah

Illyria Roselys

Illyria

HOPE

HOPE

Lucas Roselys

Lucas

Martha Moore

Martha

Illyria Roselys

Illyria

Hannah Galaway

Hannah

Sarah Garden

Sarah

HOPE

HOPE

Sidonie Wallorn

Sidonie

Année 2116 | 16 novembre, 17 h 30 – QG HOPE, Santa Monica, Los Angeles - Californie

 

Hannah proposa à Martha de prendre le volant pour la matinée, mais celle-ci refusa catégoriquement. Elle préférait garder le contrôle du véhicule et suivre le plan établi depuis plusieurs jours — cela lui permettait de s'occuper l'esprit. Les conditions météorologiques étaient favorables, et ils traversèrent sans encombre Salem, puis Springfield, pour enfin atteindre, en fin de journée, le motel 6 Medford OR, dans la ville de Medford, à la frontière entre l’Oregon et la Californie.

Ils prirent une chambre commune afin de ne pas attirer l’attention. Il ne restait plus qu’un jour avant la fin de la boucle temporelle de Sidonie, et Hannah exprima son enthousiasme à l'idée de retourner à HOPE.

  • Plus qu’un jour avant notre retour ! s'exclama-t-elle, tentant de briser la monotonie. J’ai hâte de rentrer !

 

Son enthousiasme n'était pas vraiment partagé par ses camarades, et Sidonie répondit calmement :

  • Nous pourrons revenir à HOPE dès que nos doubles quitteront la maison. Mais des imprévus peuvent survenir. Je préfère attendre quelques heures de plus pour éviter de nous croiser.

  • Et si on se croise ? demanda Martha d’un ton direct.

  • J'ai toujours fait en sorte de ne pas me croiser moi-même, donc je ne sais pas vraiment ce qui pourrait arriver. Peut-être un paradoxe, un effacement pur et simple… ou même une explosion, ajouta Sidonie avec une pointe d’ironie.

  • On ne rigole pas avec les voyages dans le continuum espace-temps… fit remarquer Hannah.

  • Au lieu de parler, si on dormait ? lança Martha avec agacement. Vous aurez tout le temps de raconter vos vies à HOPE… si on y arrive !

 

Personne ne chercha à la contredire ; elle avait raison, ils avaient besoin de repos. Néanmoins, chacun d’eux eut du mal à trouver le sommeil dans le modeste confort de leur chambre. Lucas, en particulier, repensait aux paroles d’Hannah sur son impatience de retrouver HOPE. L’idée de revoir Jane le remplissait d’une angoisse grandissante. Il ne savait pas comment son ancêtre réagirait, ni ce qu’elle lui réservait pour l’avenir. Malgré tout, il préférait affronter le courroux de Jane plutôt que de finir dans un centre de reconditionnement de la BMRA. Cette pensée, cependant, ne l’aida pas à s’endormir. Ils avaient laissé une petite lampe allumée, au cas où.

Allongé au sol, tourné dans la direction opposée au lit où dormaient les trois jeunes femmes, Lucas sentit soudain une main sur son épaule. Il se retourna et vit Hannah, qui lui souriait doucement. Elle forma silencieusement les mots "Are you okay?" avec ses lèvres. Lucas acquiesça, même si elle devina qu'il essayait surtout de la rassurer. Elle posa sa main sur la sienne, un geste de réconfort qu'il accueillit avec gratitude, comme on le ferait pour un ami.

Pour Lucas, Hannah représentait une présence bienveillante qui lui apportait un certain apaisement. Mais son expérience lui avait appris à rester sur ses gardes avec ceux qui semblaient trop bien intentionnés. Ils restèrent ainsi, silencieux dans la pénombre, à écouter la respiration de l’autre. Il ne voulait pas qu’elle se méprenne sur la nature de leur amitié naissante ; Hannah connaissait son orientation et semblait l’accepter sans problème, ce qui le soulageait.

Les heures s’égrenèrent. Le réveil sonna tôt pour que chacun puisse se doucher, manger quelque chose, et se préparer rapidement. Il était temps de reprendre la route, de suivre la I-5 S et de faire un détour par San José pour la nuit. La journée du 15 novembre se déroula sans incident, malgré quelques embouteillages à l’approche de San José. La plupart des hôtels étaient complets, et ils durent se résoudre à passer la nuit sur un parking de fortune. Le froid était mordant, et des passants ivres troublaient la quiétude de la nuit. L’atmosphère était oppressante, et ils jugèrent plus prudent de rester discrets jusqu’au matin.

Le 16 novembre, il ne restait plus que cinq heures de route jusqu’à HOPE. Ils choisirent de rester sur la I-5 S pour éviter la côte, qui aurait allongé le trajet. Lucas, pris d’un malaise à l’idée de leur arrivée imminente, fut réconforté par Sidonie, qui lui rappela qu’elle resterait à ses côtés aussi longtemps que possible. Hannah tenta aussi de le rassurer, mais Martha, fidèle à elle-même, lui lança une remarque acide, le traitant de "dégonflé." Lucas, blessé, se referma dans le silence, préparant mentalement la confrontation inévitable avec Jane.

Vers treize heures, ils firent une pause à Kettleman City, à environ cinquante-quatre miles au sud de Fresno. Cette petite localité restait peu affectée par la modernité, hormis quelques panneaux holographiques interdisant l’accès aux variants, conformément aux lois en vigueur. Toutefois, les commerçants locaux étaient plus tolérants, tant que les visiteurs respectaient les coutumes locales sans faire de vagues.

Martha reprit le volant avec sa prudence habituelle. Lorsqu’il était dix-sept heures, les jeunes femmes reconnurent enfin les environs familiers de HOPE. Sidonie observait attentivement par la fenêtre pour s’assurer qu’elles ne croiseraient pas leurs doubles. Elles avaient effectué le bond à 16 h 03, mais avec les imprévus liés au voyage temporel, elles restaient sur leurs gardes. À dix-sept heures quinze, Martha actionna sa montre digitale pour se reconnecter avec HOPE. Hannah et Sidonie firent de même, et l’intelligence artificielle exprima son soulagement de les savoir en vie avec Lucas Roselys. Elle avertit Sarah et Illyria de l’arrivée du groupe.

Enfin, le grand portail de HOPE se dressa devant eux. Une nouvelle "prison," une nouvelle vie, pensa Lucas. Son cœur battait à tout rompre et son ventre était noué à l’idée que ce pourrait être la dernière chose qu’il verrait du monde extérieur. Martha inséra son badge, et HOPE scanna chacun d’eux. Autorisation accordée.

Le portail s’ouvrit lentement. Personne ne les attendait sur la pelouse cette fois. Tous poussèrent un soupir de soulagement d’être rentrés sains et saufs avec Lucas Roselys. Ils descendirent du véhicule, récupérant chacun leurs affaires. Sidonie accompagna Lucas, qui agrippait son sac contre sa poitrine comme un bouclier, tentant de calmer ses nerfs. La porte s’ouvrit, et ils pénétrèrent enfin à l’intérieur.

À peine entrés, Martha, Hannah et Sidonie laissèrent tomber leurs sacs à l'entrée. Les robots s'affairaient à leurs tâches habituelles, et HOPE les accueillit aussitôt.

  • Bonjour. Hannah, Martha, Sidonie, bienvenue à HOPE. Enchantée de faire votre connaissance, Lucas Roselys.

 

Lucas tressaillit en entendant son véritable nom. Cela lui rappela Angélique, l’intelligence artificielle des refuges NickroN, qui identifiait les réfugiés variants de cette façon.

  • Je vais adapter mon protocole d'accueil, constata HOPE. C'est la deuxième fois que cela pose problème.

  • Quelle est la situation ? demanda Martha d'un ton pressant.

  • Je dois vous informer que le protocole Héliosis est activé, expliqua HOPE. Vous n’êtes plus autorisés à sortir du site Alpha jusqu'à nouvel ordre.

 

Lucas sentit une sensation oppressante monter en lui. Il repensa à ses mots pour Hannah et Sidonie : il se retrouvait effectivement enfermé dans une prison.

  • Comment ça, HOPE ? Qu’est-ce qui s’est passé ? s'insurgea Martha.

  • Madame Jane et le reste des résidents ont été attaqués à Los Angeles, précisa l'intelligence artificielle. Aleksandr est parti pour les exfiltrer, mais ils ont rencontré des imprévus. Ils se sont réfugiés dans les égouts désaffectés de Los Angeles. Je n’ai plus de contact avec leur groupe depuis plusieurs heures. Cependant, je reste confiante en leur chance de survie s'ils restent unis et méthodiques.

 

Malgré ces mauvaise nouvelles, Lucas soupira, sentant son stress retomber quelque peu. Il observa néanmoins les jeunes femmes préoccupées par le sort des autres membres du groupe jusqu'à l'arrivée de Sarah.

  • Bon sang… murmura Hannah, inquiète.

  • Ravie de vous revoir, salua Sarah en s'approchant.

 

Sidonie et Hannah lui adressèrent un sourire de salut, mais Martha resta impassible, absorbée par les inquiétudes que venait de susciter HOPE.

Illyria apparut soudain derrière Sarah, et ses yeux s’écarquillèrent en apercevant Lucas.

  • Oh mon Dieu… Lucas. Mon fils ! balbutia-t-elle, tendant les bras vers lui, les yeux embués d’émotion.

 

Lucas, comme sorti d’un rêve, se figea en reconnaissant sa mère. Sous le choc, il laissa son sac tomber au sol, ses lèvres tremblant sous l’effet de l’émotion. Personne ne lui avait dit qu’elle se trouvait à HOPE, et il ne s’était pas attendu à cette rencontre. 

  • Mère ?! 

Le jeune homme se précipita vers elle. Autrefois si proches, les aléas de la vie les avaient séparés bien des fois. Ils se dévisagèrent pendant quelques secondes qui semblèrent une éternité, puis mère et fils s'étreignirent, oubliant le reste du monde autour d’eux. Cela faisait tant d’années qu’ils ne s’étaient pas revus. Pour Illyria, il n’y avait aucun doute sur son identité, même sans test ADN. Elle constata cependant qu'il avait changé : son visage était plus marqué, ses traits moins juvéniles, et il paraissait épuisé, amaigri.

Les trois jeunes femmes s’éclipsèrent discrètement, laissant Lucas et Illyria profiter de leurs retrouvailles. Martha jeta un regard en arrière, ressentant une pointe de jalousie envers son nouveau camarade. Elle aurait aimé que sa propre mère, Élise, se montre aussi aimante, mais cette possibilité ne se présenterait jamais. Illyria semblait incroyablement jeune, pensa-t-elle, mais cette pensée fut vite balayée par ses préoccupations pour le protocole Héliosis, qui signifiait souvent des missions périlleuses où les mutants risquaient leur vie. Des souvenirs douloureux de camarades perdus — Drew, Satine, Billy, Cole — resurgirent dans son esprit.

  • Sarah, pourquoi le groupe a-t-il été attaqué ? demanda Hannah.

  • Jane, Hiro et Walter étaient partis rencontrer une recrue potentielle, Lydia Sorel, une médecin et chercheuse, expliqua Sarah. Ils ont probablement été démasqués par deux renégats employés par l'agence. Vous savez de qui je parle…

  • Jun et Sören ? s’énerva Martha, serrant les poings. Ces salauds !

  • C’est qui ? demanda timidement Sidonie, qui ignorait tout de ces noms.

  • Ils nous ont attaqués à plusieurs reprises, répondit Hannah avec amertume. Ils ont tué plusieurs des nôtres. Ils travaillent pour l’agence en commettant des actes terroristes, et personne n’a encore réussi à se débarrasser d’eux. Ils sont comme invincibles…

  • Aucun mutant n’est invincible, affirma Sidonie. Personne.

  • Leur tour viendra, déclara Martha avec détermination.

  • Nous n’avons jamais réussi, admit Hannah. Sarah, y a-t-il vraiment rien qu'on puisse faire pour les aider ?

  • Non, répondit Sarah sans détour. Nous ne pouvons pas sortir d'ici.

  • Ils courent un danger dans les égouts ? demanda Sidonie, un peu tremblante.

  • On soupçonne l’agence d’utiliser ces égouts pour des expériences illégales et potentiellement mortelles, expliqua Sarah. Personne n’en est jamais revenu. D’après les articles que j’ai analysés, il est probable qu’ils testent un virus qui rend les individus violents et cannibales, avec un risque élevé de pandémie.

  • Putain, c’est vraiment grave, murmura Martha, visiblement préoccupée. Hannah et Sidonie partageaient également son inquiétude.

  • Il est préférable que vous vous reposiez, le temps qu'on s'organise et qu'on analyse la situation. N'oubliez pas de faire un rapport à HOPE dès que vous aurez un moment. On se revoit plus tard, dit Sarah, se dirigeant avec le laboratoire.

 

***

 

La tête de Lucas reposait sur l'épaule de sa mère, qui le serrait sans vouloir le lâcher. Au bout d'un moment, Illyria prit le visage de son fils entre ses mains et le fixa intensément. Elle caressa doucement ses joues du bout des pouces, puis l’embrassa tendrement sur le front, comme une mère qui retrouve enfin son enfant. Lucas baissa les yeux, ressentant une vague de honte pour tout ce qu’il avait fait, conscient d’avoir blessé l'une des seules personnes qui l’aimait inconditionnellement. Illyria lui adressa un sourire chaleureux, essuyant les larmes qui perlaient encore à ses propres yeux. Ils reprirent leur conversation en néo-français, leur langue d’origine.

  • Je suis tellement heureuse de te revoir, mon fils.

  • Moi aussi, Mère. Je ne m’attendais pas à vous trouver ici.

 

Elle posa une main inquiète sur le pansement de Lucas.

  • Qu’est-il arrivé à ton visage ?

  • Juste des ennuis en chemin, répondit-il pour la rassurer. Rien de grave. Il faut que je vous dise quelque chose…

 

Il hésita, cherchant les mots, mais avant qu'il ne continue, Illyria l’interrompit doucement.

  • Avant que tu ne me dises quoi que ce soit, laissons de côté les convenances. Ayons de vrais rapports mère-fils, sans formalités. Tu peux me tutoyer et... ne m'appelle plus "mère". "Maman" suffira.

 

Lucas acquiesça, même si cela lui demandait un effort. Sa famille lui avait inculqué un profond respect envers elle, renforcé par son ancien statut de noblesse impériale.

  • Que veux-tu me dire ? demanda-t-elle en passant tendrement sa main dans ses cheveux.

  • Maman, je suis désolé pour tout ce que j’ai fait, murmura-t-il, les mots lourds de regret. Je n’aurais pas dû agir comme je l'ai fait en ne donnant aucunes nouvelles…

Le visage d'Illyria s’éclaira de soulagement, ses traits se détendant comme si elle s'était enfin libérée d'un poids. Lucas chercha dans son regard cette tendresse rassurante qu’il n’avait trouvée chez personne d'autre.

  • Ne te tourmente pas pour ça, mon chéri, répondit-elle avec douceur. À vrai dire, c’est moi qui avais peur que tu me rejettes. J’ai fait des erreurs, moi aussi, en me mariant à cet homme qui a tout fait pour nous séparer. Pardonne-moi de ne pas avoir compris plus tôt combien tu souffrais. Je suis désolée, Lucas.

Le jeune homme sentit un poids s’alléger en lui, dissipant en partie les années d’incertitude. Sa respiration se fit plus calme, et la fatigue, ainsi que le stress accumulé au cours des derniers jours commencèrent à s’effacer, ne laissant place qu'à un apaisement longtemps attendu.

Un silence s'installa, chargé d’émotion. Illyria observait son fils, retrouvant en lui les traits de John, son défunt mari. Lucas ressemblait à son père, non seulement par son apparence mais aussi par cette profondeur dans le regard, héritée de sa mère.

  • Tu ressembles tellement à ton père… murmura-t-elle, émue.

 

Lucas ne répondit pas, replongeant dans ses souvenirs d’un père aimant mais souvent absent, tué en 2102 par un commando armé dans la demeure des Roselys, au château de Barly, situé non loin d'Arras. Son absence était toujours aussi pesante malgré les années écoulées.

Ils s’installèrent à la cuisine, Illyria ne cessant de le regarder avec un mélange de tendresse et de mélancolie. Elle pouvait voir la fatigue dans les traits de Lucas, cette lutte intérieure qui le tourmentait en silence. Elle ne voulait rien d'autre que de l'apaiser. Pour rien au monde, elle n'aurait souhaité qu’il soit différent de ce qu’il était. Elle l’aimait ainsi, avec ses fragilités et sa force.

Ils prirent des serviettes en papier recyclé disposées sur la table et s’essuyèrent les yeux pour reprendre leurs esprits. Elle lui prit la main, comme pour s’assurer qu’il ne disparaisse pas de nouveau.

  • As-tu envie de boire ou manger quelque chose, mon chéri ?

  • Non, merci…

  • Tu as l'air exténué. Le voyage a dû être éprouvant.

  • Oui… mais je préfère ne pas en parler maintenant, répondit Lucas en détournant le regard, manifestement troublé. Plus tard, peut-être.

  • Bien sûr, je comprends. Tu sembles préoccupé. Qu’est-ce qui te tracasse ?

 

Les pensées de Lucas revinrent brusquement vers le sujet qui le hantait, inévitable. Il ressentait une angoisse croissante à l’idée de revoir leur ancêtre commun.

  • Elle… j’ai peur, maman. J’angoisse à l'idée de revoir Jane.

 

​Le sourire d’Illyria s’effaça lentement.

  • Oui… Jane. Mais grâce à elle et à son équipe, tu es ici, avec moi. Profitons de ce moment, d’accord ?

  • Sans Sidonie et les autres, je serais probablement mort ou prisonnier dans un centre de reconditionnement de l’agence. Tout ça… tout est de ma faute.

 

Le visage d’Illyria se ferma d’inquiétude, redoutant le sort tragique qu’il aurait pu subir. Elle ressentit une reconnaissance profonde envers Jane pour les efforts entrepris pour retrouver son fils. Mais elle redoutait aussi le moment où il lui faudrait quitter HOPE, dès que Jane le déciderait. Elle se rapprocha de Lucas, comme pour le réconforter, consciente du catalyseur attaché à sa ceinture, qui la rassurait.

  • Tu es trop dur avec toi-même, mon fils. Nous faisons tous des erreurs, c'est ainsi que l'on apprend et progresse. Ne te torture plus avec le passé. Pense à l’avenir. Jane te garantit une sécurité ici, et je lui fais confiance pour cela.

  • J’ai du mal à le croire, avoua-t-il. Elle va sûrement me faire payer tout ce que j’ai fait ces dernières années. Je ne veux pas de sa sécurité, maman, je veux… je veux juste vivre, comme tout le monde.

  • Je sais que ça n’a pas été facile avec elle. Son vécu l’a rendue dure, mais je suis convaincue qu’elle ne veut que ton bien. Le monde dans lequel nous vivons est impitoyable, et je refuse de te perdre… pas encore.

  • J’ai tout raté, maman. Je fais tout de travers… Je n’ai jamais réussi à être à la hauteur de vos attentes, à toi et à papa.

  • Non, mon chéri, c’est une de mes erreurs, répondit-elle en le fixant avec tendresse. J’ai été trop exigeante, sans comprendre que tu souffrais dans la solitude que je t’imposais pour te protéger. Mais tu as réussi quelque chose de magnifique : tu as cherché à vivre ta propre vie. Je suis tellement fière de toi, du jeune homme que tu es devenu.

  • Je me sens si faible… incapable de faire face. Pourquoi est-ce que tout semble si difficile ? Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? demanda-t-il avec difficulté.

  • Mon ange, restons concentrés sur ce qui est positif, veux-tu ? Allez, fais-moi un sourire. Tu es si beau quand tu souris.

 

Lucas esquissa un léger sourire, malgré ses yeux rougis par la fatigue et le découragement. Il ne voulait pas aggraver l'inquiétude de sa mère, consciente qu’elle ne pourrait pas rester à ses côtés éternellement. Elle lui donna un baiser sur la joue, et il ressentit cette douceur maternelle qui le ramena à son enfance, comme un écho d’un passé révolu. Il était soulagé qu’elle n’ait pas cherché à le sermonner davantage, et il la remercia silencieusement pour sa compréhension. Il comprit aussi combien son départ l’avait fait souffrir, et cela l’émut profondément.

Illyria se leva pour prendre une carafe d'eau fraîche et des verres, tandis que Lucas laissa son regard vagabonder autour de lui. La propreté irréelle des lieux, le blanc éclatant des murs et l'espace imposant du site Alpha "HOPE" lui donnaient l’impression de se trouver dans un rêve. Ce lieu regorgeait de confort et de sécurité, mais il savait que cela impliquait aussi de s’engager pleinement dans la cause de son ancêtre, qui ne tarderait pas à revenir pour le lui rappeler.

Illyria avait raison, et Lucas savait qu'il avait eu une chance inouïe de retrouver sa mère après toutes ces années d'exil. Le soulagement qu’il éprouvât se mêlait à un étrange sentiment d’inquiétude, mais pour l’instant, il souhaitait simplement profiter de cet instant de paix.

 

Alors qu’il relevait la tête, son regard croisa celui de Sarah, qui venait d’entrer dans la cuisine. Elle portait un plateau rempli de divers ustensiles médicaux qu’elle posa délicatement sur la table. Lucas observa la jeune femme, captivé par son apparence singulière. Son œil droit était couvert de cicatrices, complètement aveugle, et ses cheveux argentés tombaient en longues mèches encadrant son visage arrondi, mais austère. Sa combinaison noire ajoutait à son allure un air intimidant, presque détaché. Elle dégageait une froideur et une distance qui la différenciaient nettement de la chaleur bienveillante de Sidonie ou de l’énergie rassurante d’Hannah.

Ne voulant pas paraître impoli en la fixant, Lucas détourna le regard vers la table, attendant qu'elle prenne la parole pour se présenter. Il sentit le poids de sa présence dans la pièce, une impression de mystère et de retenue qu'il n'avait pas ressenti avec les autres membres de l'équipe.

  • Lucas, je m’appelle Sarah, et je suis heureuse de pouvoir enfin te rencontrer. Cela va te sembler soudain, et tu souhaites sans doute être tranquille, mais je dois procéder à quelques vérifications. Comme je l’ai expliqué à ta mère ce matin, je dois te faire une prise de sang rapide pour confirmer que tu es bien le descendant de Jane Roselys, ainsi qu'une une autre intervention.

  • De quoi parlez-vous, Sarah ? demanda Illyria, dubitative.

  • J’ai reçu des instructions claires pour injecter un nanocapteur à Lucas, afin qu'il soit détectable partout sur la planète.

  • Quoi ? Comment ça ? s’offusqua Lucas.

  • Et c’est vraiment nécessaire ? surenchérit sa mère, perplexe face à un tel dispositif.

  • Ordre de Madame Jane. Ce ne sera pas douloureux, à part une petite gêne dans le bras pendant une durée maximale de vingt-quatre heures. Retire ta veste, je te prie.

 

Lucas ressentait une vague d’angoisse ; les ennuis ne faisaient que commencer. Oserait-il refuser ? Il savait qu'il avait souvent du mal à dire non, surtout face à une demande directe. Il craignait d’affronter le courroux de Jane en ne se conformant pas à cette exigence.

Sarah prit place à côté de lui. En retirant sa veste, Illyria remarqua l’état de la chemise de son fils, tachée et usée, ce qui la préoccupa. Sarah apposa un coton avec du désinfectant sur son bras pour la prise de sang rapide, que Lucas sentit à peine. Ensuite, elle sortit un second instrument, plus petit, pour lui injecter le nanocapteur, indétectable par les systèmes de sécurité standards ou anti-variants. Seule HOPE pouvait le localiser. Ce dispositif était une assurance pour Jane, au cas où Lucas voudrait fuir de nouveau ou s'il était capturé par l'Agence. Après l'injection, Lucas ressentit une douleur lancinante dans le biceps du bras gauche.

  • Voilà, fit Sarah avec satisfaction. La douleur est supportable ?

  • Une petite gêne, ça ira, répondit-il en notant sans insister les cicatrices autour de l'œil droit de la jeune femme.

  • Je vais procéder à l’analyse immédiatement, reprit-elle, et préparer tes accréditations pour HOPE. Si la douleur persiste, tu pourras demander un antidouleur. Je vous laisse lui montrer sa chambre, Illyria. Veuillez m'excuser.

  • Merci, Sarah, répondit Illyria en la regardant s’éloigner.

 

Lucas se tenait le bras pendant que Sarah se dirigeait vers un petit laboratoire aménagé pour ses analyses. Il termina son verre d’eau, appréciant sa pureté rafraîchissante, bien différente des liquides pollués qu'il buvait dans les bouteilles en plastique lorsqu’il vivait dans son studio à Seattle. Il ne percevait plus cet arrière-goût chimique qui accompagnait souvent ces boissons.

  • HOPE, s’il vous plaît, interrogea Illyria.

  • Chargement en cours. Que souhaitez-vous, Madame ? demanda l'intelligence artificielle en apparaissant près d'eux en hologramme.

  • Pourquoi Lucas doit-il porter un nanocapteur ?

  • Je vous confirme ce que Sarah vient de vous dire : Madame Jane souhaite pouvoir localiser Monsieur Roselys à tout instant.

  • En plus d’être emprisonné, on pourra me suivre comme un animal, lâcha Lucas, dépité, regrettant déjà d'avoir accepté.

  • Si je puis me permettre, Monsieur Roselys, vous n’êtes pas emprisonné ici. Vous savez que la menace de la BMRA s’intensifie chaque jour. Une de mes missions principales est d’assurer la sécurité et le bien-être de chaque résident. Le protocole Héliosis est généralement temporaire, et tout devrait revenir à la normale bientôt. Pour votre sécurité, il est préférable que vous vous reposiez en attendant des nouvelles de Madame Roselys. Mes calculs indiquent que vous vous adapterez facilement à HOPE, surtout avec le soutien de certains résidents de votre âge et de votre mère. Je vous recommande de garder espoir. Si vous le souhaitez, je dispose de protocoles de gestion du stress post-traumatique qui pourraient vous être utiles.

  • Merci, HOPE, répondit Illyria. Mon fils en aura certainement besoin, s'il le souhaite.

 

***

Vingt minutes plus tard, Sidonie s’affala dans le canapé, épuisée par les quinze derniers jours, particulièrement éprouvants pour tout le monde. La jeune femme n’attendait plus qu’une chose : le retour de Jane, pour pouvoir tenir sa promesse et retrouver Kahlan. Cette pensée l'étonna ; elle n'aurait jamais cru désirer revoir celle qui lui avait mis tant de pression. Mais Sidonie, satisfaite, se disait qu’elle avait accompli la mission qui lui avait été confiée.

Elle se demanda où se trouvait Hannah, qui s’était retirée sans rien dire à personne. Peut-être avait-elle besoin de se reposer ou de prendre une douche, comme elle-même. Martha s’assit dans le fauteuil voisin, avec un sourire inhabituel sur le visage.

  • Ok, Girl, maintenant j'ai confiance en toi, lança Martha.

  • C'est-à-dire ? répondit Sidonie.

  • Je ne remettrai plus en question ta capacité à diriger une mission.

  • Je dois dire que j'en ai déjà vu, des gens au caractère bien trempé, mais toi, tu es un sacré personnage, ajouta-t-elle avec humour.

  • J'assume mon caractère de merde, répondit Martha fièrement. Quoi qu'il en soit, je vois bien que vous ne faisiez pas que glander à NickroN ; ils vous ont appris à gérer. Mais le blondinet, lui, j'ai des doutes... Quand je vois ses réactions, je me demande ce qu'il a retenu.

  • Arrête d'être aussi dure avec lui, Martha. Chacun est différent, et il vaut mieux s'entraider que de pointer uniquement les défauts des autres.

  • Je préfère être comme je suis, plutôt que d’être trop conciliante comme Hannah ou aussi molle que lui.

  • Personne n’est parfait, Martha, trancha Sidonie.

  • Ouais, mais les gentils naïfs sont souvent les premiers à tomber. Cela dit, je n’ai rien contre lui. On aurait pu tomber sur un morveux en mal de reconnaissance, totalement idiot. Il faudrait juste qu'il se décoince un peu et qu'il arrête de faire sa tête de chien battu dès qu'on le secoue un peu.

  • Au fait, tu penses qu'Hannah a des vues sur lui ? Je l'ai trouvée gentille avec lui, peut-être même un peu trop, répliqua Sidonie, laissant émerger ses doutes.

  • Ça ne m'étonnerait pas d'elle, répondit Martha. Cette fille a dû être adulée quand elle était gamine ; tu sais, le genre de bimbo du lycée qui adore attirer l’attention des mecs.

  • Peut-être, fit Sidonie d'un ton énigmatique.

Sidonie savait que Martha avait raison sur certains points concernant Lucas, mais sa façon de l'exprimer manquait cruellement de diplomatie.

Après leur discussion, les deux jeunes femmes profitèrent d'un moment de quiétude devant l’écran holographique, regardant des programmes aussi stupides qu'inutiles. Pourtant, cela leur permettait de décompresser un peu en attendant les nouvelles.

​​Une heure plus tard, Sarah revint au salon avec un visage livide. Martha et Sidonie la fixèrent, sans comprendre la raison de son expression. Bien que Sarah et Martha se méprisent réciproquement, cette dernière perçut l’inquiétude de Sarah, elle qui n’était pourtant pas la plus expressive. Les deux jeunes femmes devinaient que quelque chose de grave venait de se produire. HOPE apparut à côté d'elles, ayant remarqué l'augmentation du rythme cardiaque de Sarah.

  • Martha, il y a quelque chose que tu dois savoir, commença Sarah.

  • Sarah ? Est-ce vraiment nécessaire de l’annoncer tout de suite ?  Cela pourrait compromettre les décisions de...

  • Oui, HOPE, coupa Sarah. Je dois lui dire.

  • Je maintiens que c'est une mauvaise idée, Sarah, sa réaction sera brutale.

  • Me dire quoi ? Pourquoi tous ces secrets ? demanda Martha, sur la défensive.

  • C’est au sujet de ta sœur, Martha. Il est arrivé quelque chose à Cassandre...

  • Quoi ?! s'exclama Martha, les yeux écarquillés.

  • Je suis désolée, Martha, murmura Sarah avec tristesse.

  • Qu’est-ce qu’il s’est passé, Sarah ?! Mais réponds ! HOPE, dis-moi ! cria Martha en bondissant de son fauteuil.

  • Ta sœur, répondit Sarah avec hésitation, a été tuée devant chez elle il y a deux jours par des unités de la BMRA. Ils ont été prévenus par ta mère, qui a tenté de te dénoncer. Selon certaines informations, ils croient que c'est toi qu'ils ont abattue. Ta mère a été placée en hôpital psychiatrique, accusée de complicité, et le rapport médical mentionne une crise psychotique grave.

 

HOPE projeta alors sur un écran holographique un reportage de FedNews montrant la photo de Cassandre et le quartier de Southwest Hills à Portland. On y voyait des journalistes commenter l’affaire d’une "variante" recherchée pour terrorisme. Ensuite, un débat s'ensuivait entre la journaliste Catherine O'Hara et le sénateur James McBlock. Sidonie se souvint de ce débat, qu'elle avait regardé avec dégoût avant de déjeuner, et repensa à la conversation houleuse qu’elle avait eue avec Martha et Hannah dans la cuisine. Elle ressentit une profonde tristesse ; ce genre de tragédies devenait trop fréquent.

Martha s'effondra dans le canapé. Sidonie s’approcha d’elle, horrifiée. Elle connaissait aussi Cassandre, qui les avait aidés durant leur cavale. Martha affichait un regard vide, sa mâchoire serrée, les larmes de colère et de douleur commençant à couler sur ses joues crispées. La rage la consumait. Elle en voulait non seulement à la BMRA, mais aussi à sa mère, Élise, qui avait causé tout cela. Elle la haïssait au point de vouloir sa mort. Elle tourna doucement la tête vers Sidonie, et sa voix brisée par le choc de cette tragédie murmura :

  • Ramène-moi dans le passé, Sidonie.

  • Martha, je suis désolée, mais ce n’est pas possible. Tu ne pourras pas la sauver, dit Sidonie en lui prenant la main, que Martha retira d’un geste brusque.

  • Je t’ai dit de me ramener dans le passé, Sidonie. Je ne plaisante pas, menaça Martha en se levant.

 

Sidonie, reculant instinctivement, porta sa main vers son pendentif.

  • Martha, il est impossible de quitter le site Alpha tant que le protocole Héliosis est activé, prévint HOPE.

  • J’emmerde le protocole, je vous emmerde tous ! Ma sœur est morte, bon sang ! J’ai risqué ma vie pour cette mission, pour retrouver votre Lucas ! Ils l’ont tuée à ma place, je dois changer ça, et tu as intérêt à m’aider, Sidonie !

 

Lucas et Illyria arrivèrent dans le salon au moment où Martha éclatait. Elle lança un regard chargé de haine vers Lucas. On aurait dit qu’elle allait faire du mal à quelqu’un, en proie à une rage et une douleur bestiale. Hannah arriva alors, son téléphone en main, comme si elle venait de raccrocher. Elle regarda l'hologramme de HOPE, qui continuait de diffuser le reportage du matin avec la photo de Cassandre, abattue d'une balle en pleine tête. Bien que l’image ait été floutée, le traitement restait assez léger pour deviner la brutalité de la scène.

  • Oh mon Dieu... non, Cassie... murmura Hannah, bouleversée par la nouvelle.

 

Martha saisit l'arme du policier Ludlow, qu’elle avait cachée depuis cette nuit tragique. Elle la braqua sur Sidonie, qui sursauta face à ce geste désespéré. Martha, son arme pointée sur son ancienne camarade, attendait une réponse affirmative pour l’aider à sauver Cassandre. HOPE cessa de diffuser le reportage, entamant une analyse rapide de la situation. L'intelligence artificielle vira immédiatement au rouge, considérant la menace trop sérieuse, tandis que plusieurs robots encerclèrent le groupe de variants.

  • Violation du protocole numéro 53. Activation du système de défense. Martha, il te reste 5 secondes pour déposer ton arme avant neutralisation.

  • Annule cet ordre, HOPE ! ordonna Sidonie.

 

Contre toute attente, HOPE obéit, interrompant le compte à rebours, mais les robots restèrent en position, prêts à intervenir.

  • Réponds, Sidonie, tu vas m’aider à la sauver ! menaça Martha.

  • On risque de modifier le cours des choses…

  • La ferme avec tes conneries spatio-temporelles ! Si tu refuses, je trouverai un moyen de te faire changer d’avis.

 

Martha tourna alors son arme vers Lucas, qui revécut la terreur de la nuit où le sergent Ludlow les avait pris en otage. Paralysé, il se retrouva incapable de réagir face à cette nouvelle menace. Sa mère, déterminée, s’interposa, tendant une main vers Martha pour la calmer.

  • Écartez-vous, avertit Martha en dirigeant son arme sur Illyria.

 

Lucas saisit discrètement son catalyseur, incertain de sa capacité à utiliser son don correctement après toutes ces années. Il manquait cruellement d'entrainement et de confiance en lui.

  • Les mains en l’air, connard, sinon je tire sur ta mère ! ordonna Martha. Lucas obéit immédiatement.

  • Pose cette arme, et discutons calmement, proposa Illyria.

  • C’est à cause de lui que tout ça est arrivé ! hurla Martha, la main tremblante.

  • Comment oses-tu dire ça ! Ce n’est pas mon fils qui a appuyé sur la gâchette, mais la BMRA ! rétorqua Illyria, furieuse.

  • Rien à foutre ! Il est autant responsable, tout comme Jane et vous tous ! Elle est morte, bon sang !

  • Je comprends, mais personne ici n’est coupable… Ta colère doit se tourner contre ceux qui nous oppriment, pas contre nous, insista Illyria.

  • Taisez-vous, ou je vous tue ! HOPE, ouvre la porte, j’emmène Sidonie et Lucas avec moi…

  • C’est impossible, trancha l'intelligence artificielle.

  • Obéis, HOPE, sinon je tue l’un d’eux, TOUT DE SUITE !

  • Arrête, Martha, tu es bouleversée… Je t’en prie, mets fin à cette folie, supplia Hannah.

  • Toi… Tu penses vraiment qu’il suffira de quelques beaux sourires et câlins pour que j’oublie ce qui est arrivé à Cassie ? Pourquoi l’ont-ils tuée ?! POURQUOI ?! C’était moi qui aurais dû mourir à sa place…

Martha, ravagée par l’émotion, laissa son visage se durcir, la haine et la colère distordant ses traits jusqu'à la fureur.

  • Dirigez-vous vers l’entrée, immédiatement ! ordonna-t-elle sans hésiter.

  • Nous n’obéirons pas, répliqua Sarah d’un ton glacial.

Le mépris de Martha envers Sarah, qui ne faisait qu’attiser son irritation, la poussa à tirer dans sa direction. Mais le projectile n’atteignit jamais sa cible grâce à l’intervention rapide de Sidonie. Plutôt que de geler le temps, elle utilisa une technique rare de déplacement dans le continuum espace-temps sans affecter le présent. HOPE nota brièvement la disparition de Sidonie de ses radars.

Les autres virent une deuxième Sidonie apparaître un instant près de Martha, comme un fantôme. Profitant de la surprise, elle désarma Martha. Puis, dans un éclair lumineux, les deux versions de Sidonie se rejoignirent, fusionnant en une seule, et le cours des événements reprit normalement.

Sidonie évitait d’user de cette technique à cause des risques d’altération ou d’échec, mais elle n’avait pas eu d’autre choix.

L’arme fut projetée au sol, et Hannah, grâce à son don d’illusion, la transforma aussitôt en un jouet inoffensif. Mais Martha, se ressaisissant rapidement, utilisa son don de vélocité pour apparaître derrière Sidonie, qu’elle maîtrisa avec une précision implacable. Incapable de riposter, Sidonie se retrouva immobilisée sous la poigne impitoyable de Martha.

 

Lucas, reprenant son catalyseur, l’actionna. L’objet s’allongea jusqu’à atteindre la taille d’un bâton, la sphère à son extrémité émettant une faible lueur. Mais Illyria s’interposa, cherchant encore une fois à raisonner Martha.

 

  • Ton plan est voué à l’échec, Martha, dit-elle d’une voix calme et assurée. La BMRA te traquera dès que tu mettras un pied hors de cette maison, une fois qu’ils réaliseront leur erreur. Ils cherchent à t’attirer dans un piège.

  • Et qu’est-ce que vous en savez ? cracha Martha en resserrant son étreinte sur Sidonie. Vous n’êtes personne pour moi !

  • Elle a raison ! Arrête, tu me fais mal ! gémit Sidonie, impuissante.

  • Tais-toi ! Je n’ai aucune leçon à recevoir de qui que ce soit.

  • Tu ne pourras pas sauver ta sœur, Martha, intervint Hannah d’une voix douce.

  • Vos gueules ! Arrêtez, sinon je lui brise la nuque !

Ils comprirent aussitôt la gravité de sa menace. Martha serrait la gorge de Sidonie avec une force telle que HOPE évalua la situation comme critique.

  • Réactivation du protocole 53. Compte à rebours : 5, 4, 3, 2, 1...

 

Illyria leva les mains et parvint à figer Martha, Sidonie, et les robots autour d’eux. Elle resta concentrée, maintenant la stase suffisamment longtemps pour que Sidonie puisse reprendre ses esprits. Illyria n’avait pas utilisé son don depuis longtemps, surtout dans une situation aussi tendue, et elle savait que l’effet pourrait s’estomper d’un instant à l’autre.

  • Aidez Sidonie, ordonna Illyria.

Hannah et Lucas s’empressèrent de dégager les mains de Martha, toujours figée, permettant à Sidonie de se libérer. Quelques instants plus tard, Illyria relâcha son emprise en baissant ses mains, et Martha retrouva sa mobilité. Les robots reprirent une position neutre alors que HOPE surveillait la scène.

Martha, réalisant qu'elle ne maintenait plus Sidonie, lança un regard noir et agressif vers Illyria.

Acculée, Martha balaya le groupe du regard, ses yeux se posant tour à tour sur Sarah, Hannah, Lucas, et Illyria, comme un animal traqué mais toujours prêt à attaquer. Sa rage prête à exploser, elle songea à utiliser à nouveau son don de vélocité. Mais Illyria leva la main, la voix impérieuse.

  • Ne tente rien de stupide ! la prévint-elle. Ne m’oblige pas à te figer jusqu’au retour de Jane.

  • HOPE, ouvre la porte, ordonna Hannah.

  • Refusé.

  • HOPE, reprit Sidonie, ouvre la porte pour que Martha puisse partir.

  • Es-tu sûre de cette décision, Sidonie ? insista HOPE, à l'étonnement de tous.

  • Je t’ordonne de la laisser partir. Elle ne fait plus partie de HOPE. Martha, je suis désolée…

  • Ouverture en cours pour une minute. Je devrais en référer à Madame Roselys.

 

L'intelligence artificielle obéit à l'injonction de Sidonie, un détail que Sarah ne manqua pas de remarquer. Martha jeta un dernier regard à ses anciens camarades, le cœur serré. Elle regretta immédiatement ses paroles, surtout d'avoir rejeté la faute sur Lucas et les autres, qui n'y étaient pour rien. 

Martha observa une dernière fois ses anciens camarades, ressentant un pincement au cœur. Malgré sa rage, une vague de regret l'envahit — pour ce qu’elle avait dit, pour les accusations hâtives lancées à Lucas et aux autres, innocents dans cette tragédie. Elle inspira profondément, son visage fermé, comme pour contenir la tempête intérieure qui la dévorait.

  • Je ne dirai rien de ce qui s'est passé ici, lança-t-elle avec froideur, son regard dur, comme pour sceller leur séparation. Mais n’essayez pas de me retrouver.

 

Elle n'avait plus sa place à HOPE, pas après l’assassinat de Cassandre par la BMRA, une mort causée par la trahison de sa propre mère. Martha voulait désormais agir seule, la vengeance envers ceux qui avaient détruit sa famille brûlant dans son esprit. Son père était peut-être tout ce qui lui restait à sauver… si elle arrivait encore à le retrouver.

Deux jours plus tard, Martha arrivait à Portland, avançant dans les ruelles désertes avec une détermination glaciale. Elle aperçut sa maison d'enfance, désormais entourée d’unités de la BMRA. Silencieuse et implacable, elle se glissa parmi les ombres, sa vitesse surnaturelle lui permettant de frapper sans que ses ennemis aient le temps de riposter. Le couteau de chasse dans sa main glissait à travers les gorges, un par un, sans un bruit, sans une hésitation.

Mais bientôt, ses forces déclinèrent. Elle sentait l’épuisement la gagner, chaque mouvement alourdi. En voulant abattre un dernier soldat, elle vacilla, son corps refusant de lui obéir.

Avant qu’elle ne puisse réagir, un agent se glissa dans son angle mort, une arme pointée sur son visage. La bouche sèche, Martha croisa le regard froid de son bourreau.

Une dernière étincelle de défi brilla dans ses yeux. Bientôt, ces assassinats de miliciens de l'Agence feraient la une de FedNews.

Christian Pieriam

Christian

Yasmine Lefer

Yasmine

Ingrid Wood

Ingrid

Solomon Crane

Solomon

Stanley Miller

Stanley

Jun

Jun

William Downey

William

Année 2116 | 18 novembre, 9 h 50 – Siège de la BMRA, Atlanta - Géorgie

Yasmine Lefer se trouvait dans son bureau au sein de la BMRA, entourée de six écrans holographiques affichant diverses informations. Depuis quelques jours, la directrice des renseignements croulait sous le travail, et ses services luttaient pour traiter le flot d’informations à analyser après les récents attentats. Peu importait la quantité de données, il fallait être à la hauteur, pensa-t-elle, le repos attendrait. Le téléphone sonna, et elle appuya sur un bouton pour lancer une conversation holographique avec l’un de ses subordonnés.

  • Je ne suis pas d’humeur, dit-elle sans ménagement.

  • Madame, nous venons de recevoir une confirmation et des informations qui pourraient vous intéresser.

  • Envoyez-moi un résumé écrit. Je dois voir le Directeur, et il n’aime pas attendre.

 

Elle parcourut attentivement le résumé que son service venait de lui transmettre. Incroyable. Elle transféra les données sur une tablette holographique pour préparer sa prochaine réunion avec Christian Pieriam. Ce dernier s’impatientait chaque jour un peu plus, frustré par les événements récents à Seattle, Portland et Los Angeles, entre autres. Ces nouvelles parues dans la presse et certains échecs de mission l’avaient plongé dans un mutisme imprévisible, mais il restait toujours aussi présent, sinon plus. Perdre n'était pas dans sa nature.

 

L’agence avait redoublé d’efforts pour remodeler les informations que la presse relayait quotidiennement. Le service communication s’en chargeait, mais les derniers événements au cœur de Los Angeles dépassaient la routine.

 

Yasmine vérifia une dernière fois les informations reçues avant d’ouvrir la porte de son bureau. William se tenait derrière, visiblement décidé à lui parler.

  • William…

  • Il faut qu’on parle.

  • Je n’ai pas le temps, on a la réunion hebdomadaire avec le Directeur. Je te rappelle.

  • Ce ne sera pas long, répondit-il, déterminé.

 

Elle soupira et s’écarta pour le laisser entrer. Après avoir refermé la porte, William posa ses mains sur les bras de Yasmine.

  • Il faut que tu m’aides, Yasmine.

  • T’aider ? De quoi tu parles, William ?

  • Pourquoi es-tu aussi froide avec moi ? Je sais que notre relation s’est mal terminée, mais…

  • Je t’avais interdit d’en parler ici. Si ça s’apprenait… Ce n’est pas parce que j’ai cédé à tes avances que je referai la même erreur une seconde fois. Dis-moi plutôt pourquoi nous allons être en retard, et pourquoi je vais devoir me justifier auprès de Monsieur Pieriam.

  • Je pensais que nous pourrions… discuter tous les deux. Et puis, j’ai un problème que je ne peux pas régler seul. Je ne veux pas qu’il l’apprenne.

 

Yasmine recula de plusieurs pas, le visage marqué par le mépris.

  • William, ce n’est pas parce qu’on a eu une relation que ça fait de moi ta confidente prête à t’aider. Sauf, bien entendu, si cela peut faire avancer ma carrière.

 

Elle s’avança vers la porte, mais William s’interposa pour la refermer aussitôt.

  • J’ai reçu un rapport d’une de mes unités. Quelqu’un a donné l’ordre d’éliminer Martha Moore, une variante sans antécédents, disparue depuis plusieurs mois d’un centre de reconditionnement à Portland. Sa sœur, Cassandre Moore, sans symptômes mutants, a été abattue il y a quatre jours devant chez elle, d’une balle dans la tête.

  • Et en quoi ça me concerne ?

  • Je suis censé être informé de ce genre d’opérations. Je n’aime pas avoir à nettoyer ce genre de bordel… Certains commencent déjà à crier au scandale.

 

Yasmine adopta un regard aguicheur.

  • Notre service communication va pondre une histoire héroïque ! On fera passer Martha pour une terroriste résistante. Avec sa sœur en cavale, ça ne devrait pas être difficile…

 

Voyant William crispé, elle adopta une attitude plus sensuelle et passa son bras autour de son cou.

  • C’est quoi le problème ? Des innocents sont interpellés ou supprimés tous les jours. Tu redeviens sentimental ?

  • Qu’est-ce que tu fais ? Tu étais si réticente il y a deux minutes, je ne comprends pas, répliqua William.

 

Yasmine reprit un ton plus sérieux.

  • Tu n'es qu'un homme, William, reprit Yasmine avec une posture plus sérieuse. Tu ne penses pas avec le bon organe et tu ne te poses pas les bonnes questions : quand un élément n’est pas satisfaisant, on l’écarte. Et si ça ne te convient pas, va te plaindre chez Ingrid !

 

La directrice du renseignement quitta alors la pièce, laissant William seul et immobile. Yasmine occupait sans cesse ses pensées depuis la perte tragique de sa famille quelques années plus tôt. Depuis la mort de sa femme et de ses enfants, tués par un variant, disait-il, il luttait contre la colère et la frustration. Parler à Ingrid serait pour lui une fatalité.

Il méprisait Ingrid Wood depuis son arrivée à la BMRA. Il la trouvait arrogante et trop sûre d’elle, surtout depuis qu’elle avait gagné l’oreille de Christian Pieriam. Le Directeur semblait écouter plus souvent son assistante, comme si c’était elle qui prenait les décisions. William était persuadé qu’elle avait orchestré l’opération de Portland dans son dos pour le discréditer.

Ingrid ne s’était pas fait que des amis parmi les dirigeants de la BMRA ; elle appartenait à une faction dominante prônant des actions plus dures et des décisions agressives. Peu lui importait l’estime de ses collègues, elle voulait inspirer crainte et respect. Son intelligence et son verbe acéré étaient ses armes, tout comme son charme froid.

Reprenant peu à peu son calme, William sortit à son tour pour rejoindre son ancienne maîtresse dans le bureau de Christian Pieriam.

***

Christian se trouvait dans son immense bureau épuré, dominé par des tons de blanc. Le seul mobilier consistait en un bureau arrondi avec un écran holographique, un clavier tactile et un verre posé à côté. Sans aucune décoration ni photo, l’ensemble créait une ambiance sobre et pesante. Derrière lui, ses subordonnés pouvaient contempler la ville d'Atlanta à travers les immenses baies vitrées renforcées. Le bureau du PDG se situait au 135e étage du siège de la BMRA. Perdu dans ses pensées, il fixait l’écran, dont la lumière froide soulignait les traits marqués de son visage.

  • Où es-tu ? Pourquoi m’infliges-tu ça ? murmura-t-il en approchant ses doigts de la lumière blanche de l’écran.

 

Ingrid entra alors, d’un pas pressé, une tablette à la main pour s’assurer de la bonne préparation de la réunion avec Yasmine, William, Solomon, Stanley et un invité inattendu. Christian éteignit la projection d’un geste et tourna son regard métallique vers elle.

  • Directeur, je vous prie de m’excuser, dit-elle, réalisant que son entrée l’avait interrompu. La réunion que vous avez demandée…

 

Christian se leva, s’approcha d’elle avec un léger sourire, puis alla s’installer en silence à la grande table de réunion. Ingrid projeta les reportages d’actualité, dont ceux de FedNews, montrant des chroniqueurs et éditorialistes œuvrant à protéger la propagande de l’agence, tandis que l’attaque de Los Angeles passait en boucle sur les chaînes d’information. Les débats se poursuivaient, et les sondages truqués montraient que la population restait majoritairement fidèle aux actions de la BMRA. Mais une question troublait Christian, une énigme dont la solution restait insaisissable.

Christian fit un geste pour inviter Ingrid à faire entrer les autres participants. Yasmine, William, Stanley et le Docteur Crane entrèrent en silence, saluant leur supérieur d’un hochement de tête, puis prirent place autour de la table.

  • Bonjour, commença Christian d’une voix claire qui surprit les autres. Je voulais que nous abordions les événements de Los Angeles.

  • Le rapport fait état d’une trentaine de morts et d'une centaine de blessés parmi les passants, dit Yasmine avec sérieux. Nous avons transmis des informations à la presse, présentant l’attaque comme celle de variants terroristes. Nous avons aussi promis de prendre en charge les frais d’incinération des défunts et les soins médicaux pour les survivants… Cela a été bien accueilli par le public, qui réclame justice. Quant aux terroristes…

  • J’ai lu les rapports, coupa Christian. Les images que nous avons d’eux sont inutilisables. Pourquoi ?

  • Un piratage informatique, répondit William. Il semble qu’ils utilisaient des brouilleurs d’ondes.

  • Et vous, Stanley, qu’avez-vous à dire ?

 

Pris au dépourvu, le porte-parole de l'Agence tenta de garder son calme tout en pianotant nerveusement sur la table.

  • J’ai géré les échanges avec la presse, Monsieur. Mais en tant que communicant, je dois admettre que ces événements peuvent être très préjudiciables si nous n'agissons pas de manière ferme…

  • Alors faîtes-le, répliqua William, ce qui lui valut un regard noir de son collègue.

  • C’est votre travail, Stanley. Peu importe ce que vous direz, la réputation de cette agence doit rester intacte. Ingrid, montrez-moi les images.

 

Ingrid toucha sa tablette, et un hologramme apparut au centre de la table. Christian observait l'une des rares images floues des variants, qui semblaient être deux femmes et deux hommes. Par moments, une lueur adoucie traversait son regard.

  • AA-t-on des informations sur eux ? demanda-t-il.

  • Seulement sur Lydia Sorel, répondit Yasmine.

  • Où sont-ils allés ?

  • Ils ont tenté de fuir par hélicoptère, comme vous le savez. Ils se sont écrasés et sont entrés dans les égouts près de notre site de recherche 3B. Nous avons perdu leur trace après une explosion…

  • Je ne suis pas satisfait, déclara Christian en se levant pour se diriger vers la fenêtre. Des terroristes parviennent à nous échapper en utilisant nos propres zones de contrôle. Malgré toutes les informations que nous pourrons diffuser pour détourner l’attention, nos ennemis comprendront notre vulnérabilité. Est-il possible que personne ici ne sache réellement ce qui se passe sous nos yeux ? Je ne tolérerai pas un tel échec. Comment osent-ils défier notre autorité ?

 

Personne, pas même Ingrid, n’osa répondre à cette question rhétorique. La voix calme et posée de Christian rendait l’atmosphère encore plus oppressante, car il pouvait passer à une colère noire en une fraction de seconde.

  • Docteur ? fit-il en se tournant vers le docteur Crane, qui comprit immédiatement.

 

Le docteur Crane se leva, et plusieurs gardes entrèrent avec un homme en piteux état. C’était Jun. Il portait des menottes, et les services du docteur avaient neutralisé ses pouvoirs grâce à des bloqueurs puissants, appliqués sur une longue durée. Jun transpirait et tremblait sous les effets secondaires des bloqueurs et des antidouleurs. Il avait survécu, contrairement à son camarade allemand, Sören, dévoré par les créatures.

Jun semblait souffrir ; du sang coulait encore de son front, de son cou et d’autres parties de son corps. Sans le soutien des gardes, il aurait eu du mal à se tenir debout. Ceux autour de la table eurent un mouvement de recul, dégoûtés, mais Christian, impassible, ne laissa paraître aucune émotion.

  • Peut-il encore parler ? demanda Christian en s’approchant de l’homme affaibli, maintenu par les gardes.

  • Oui, répondit le docteur Crane. Il a perdu quelques dents, et sa mâchoire est endommagée, mais il peut parler. Il a de la fièvre. Il lui reste peu de temps avant de devenir une créature.

 

Jun avait les yeux boursouflés, mais semblait encore capable de discerner ce qui se passait autour de lui. Christian s’approcha, se plaçant à quelques centimètres de son visage.

  • Tu les as vus, n’est-ce pas ? Les deux femmes.

  • Réponds, esclave ! invectiva le docteur en s’approchant davantage de Jun.

 

Christian, d’un geste de la main, le fit reculer d’un pas.

  • Allons, Solomon, il s’agit d’un de nos hommes. Il mérite qu’on le traite avec respect…

  • J’ai mal, chuchota Jun.

  • En effet, tu es mal en point et tu as été mordu par l’une de nos expérimentations. Dis-moi, les as-tu vus ? Qui sont ces variants que tu pourchassais sous mes ordres ?

  • Trois hommes, marmonna Jun, expérimentés… Un métamorphe, un aveugle… Et un Russe que j’avais déjà vu… Une jeune femme, le médecin de Los Angeles, la cible… Et une autre femme, plus âgée… Je ne l’avais jamais vue…

  • Comment était-elle ? insista Christian.

  • Une vieille garce arrogante... Française certainement, gémit-il.

 

Christian agrippa le cou de Jun, le serrant brièvement avant de relâcher la pression. Jun, suffoquant et crachant du sang, mit quelques instants à reprendre son souffle.

  • Décris-la-moi.

  • Brune, d’âge mûr. Elle semblait savoir se battre, avec un sang-froid exceptionnel. Les autres lui obéissaient au doigt et à l’œil. Je pense que c’est leur cheffe…

 

Christian demeura pensif, toujours impassible. Jun sentait un étrange changement en lui, comme une faim insatiable, et son odorat se faisait plus aigu.

  • Soignez-moi…

  • Cela fait partie de notre contrat ; nous soignons nos agents blessés en mission. Mais tu as été mordu… On ne peut plus rien pour toi… Sauf si tu acceptes l’amputation de ta jambe.

 

Jun, épuisé, se mit à tousser, suppliant Christian et le docteur de l’aider, même si cela impliquait une amputation. Il pourrait se faire greffer une prothèse bionique plus tard.

Christian le regardait le supplier, toujours aussi froid, jusqu’à ce que Jun tombe à genoux.

  • Nous allons te soigner… Tu le mérites, et nous avons encore besoin de toi. J’imagine que tu n’as pas l’intention de refuser de servir notre cause à nouveau…

 

Jun acquiesça, à bout de forces, son calvaire devenant insupportable.

  • Docteur, tentez de soigner notre hôte… Monsieur Miller, veuillez organiser un Protocole 101. Cela fait longtemps que nous n’avons pas captivé les foules…

  • Ce sera fait, Monsieur, acquiesça Stanley avec enthousiasme, le sourire aux lèvres.

  • Que… qu’est-ce que vous allez… faire… demanda Jun, vacillant sous la fièvre.

 

Christian s’approcha de lui, le regardant en silence pendant quelques secondes, un léger rictus aux lèvres. Le Protocole 101 était inhumain, un véritable spectacle morbide. Puis il fit un signe de tête, invitant tout le monde à sortir, sauf Ingrid, son assistante, qui s’émerveillait devant la décision de son supérieur.

  • Excellent choix, Monsieur. Le Protocole 101 sera très efficace, dit Ingrid, satisfaite de cette décision.

  • La population, Ingrid… Des moutons ignorants qui laissent les loups les gouverner. Parfois, il faut leur offrir une distraction pour apaiser leurs craintes, avant de les dévorer. Ingrid, je veux savoir qui est cette femme, même s’il faut torturer le Président de la Fédération Unie !

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