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Christian Pieriam

Christian

Yasmine Lefer

Yasmine

Ingrid Wood

Ingrid

Solomon Crane

Solomon

Stanley Miller

Stanley

James McBlock

James

William Downey

William

Chapitre 6 : « Sombres plans »

Année 2116 | 16 novembre, 12 h 00 – Salle de réunion de la BMRA

 

Devant le pupitre de la BMRA se tenait un homme dans la quarantaine, aux cheveux bruns, grand, et débordant d’un charisme maîtrisé, parfait pour son rôle de porte-parole de l’agence. Stanley Miller, à la tête du service communication et relations extérieures depuis quatre ans, avait un parcours irréprochable. Doué pour gérer l’image publique, il excellait dans l’art du débat, cultivant une apparence honnête et proche du peuple. Peu lui importait la réalité des actions de la BMRA, seule comptait la perception qu'en avait le public, même si certaines des activités de l'agence pouvaient paraître moralement douteuses, voire criminelles. Stanley avait toujours le talent de redresser une situation. Convaincu par sa mission, il soutenait les actions de la BMRA sans faille, persuadé que l’agence œuvrait pour le bien commun. Il se répétait souvent qu’aucun État, passé ou futur, même démocratique, ne pouvait se permettre de suivre la loi à la lettre en toutes circonstances. Il fallait parfois faire des entorses aux règles pour garantir la sécurité. Seuls les coupables devaient craindre l’agence, pas les citoyens honnêtes. Quant aux variants ? Ils n’étaient pas, à ses yeux, de vrais citoyens, et encore moins de la même espèce.


Stanley savourait ces instants avant une conférence, quand le stress montait et qu’il devait sortir de sa zone de confort. Il adorait s’exposer devant des millions de spectateurs, se sachant apprécié par la presse et le public. Il jeta un coup d’œil rapide vers le retour caméra et, satisfait de son image, se prépara. Tout devait être parfait.
 

La conférence de presse avait déjà commencé.

  • Monsieur Miller, nous venons d’apprendre que deux hommes ont été tués dans le restaurant The Westin Bonaventure à Los Angeles. Des témoins affirment que le meurtrier est un variant. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

 

Stanley hocha la tête, son visage se faisant grave.

  • Je vous confirme que la meurtrière est une variante. Mais n’ayez crainte, nous avons mobilisé tous nos moyens pour la retrouver. Lydia Sorel, médecin, est activement recherchée après avoir tué Clay Steevens et Cole McDornat. Sa photo apparaît actuellement sur vos écrans. Surtout, ne tentez pas de l’interpeller vous-même, elle est extrêmement dangereuse et lourdement armée. Si vous la voyez, contactez immédiatement notre numéro d’intervention d’urgence, ici, en bas de votre hologramme. Votre vigilance est essentielle.

  • Quelles sont les circonstances de cette attaque terroriste ?

  • Comme trop souvent, cette variante n’a pas voulu se conformer à notre protocole d’écartement et a ouvert le feu. Clay et Cole sont morts sur le coup malgré l’intervention rapide des secours. Je pense à leurs familles et, au nom de la BMRA, nous leur présentons nos sincères condoléances. Justice leur sera rendue, soyez-en assurés. Nous retrouverons cette criminelle et ses complices, quoi qu’il en coûte.

  • Le Dr Sorel travaillait sur quel type de recherches ? L'agence était-elle au courant ?

 

Stanley esquissa un sourire poli, maîtrisant parfaitement la situation.

  • Désolé, ces informations sont confidentielles. Je ne peux pas en dire plus à ce sujet.

  • Certains opposants politiques pointent du doigt des dysfonctionnements au sein de l’agence et estiment que vos pouvoirs sont trop étendus. Que leur répondez-vous ?

 

Le visage de Stanley s'assombrit légèrement. Il fixa la caméra avec intensité, savourant le moment. Il aimait jouer ce rôle d’orateur impassible. Inspirant profondément, il répondit avec gravité, comme s’il s’adressait directement à quelqu’un au-delà de l’objectif.

  • Que leur répondons-nous ? Ces opposants, confortablement installés dans leurs bureaux, n’ont aucune idée de la réalité à laquelle font face nos concitoyens au quotidien. Ce sont eux qui ont laissé s’installer l’insécurité et le terrorisme antihumain durant tant d’années. L’agence travaille d’arrache-pied pour rétablir la sécurité et protéger la population. Voilà ce que je leur dirais. Nous œuvrons dans de nombreux domaines, uniquement pour le bien de nos concitoyens. Nos activités sont soumises à des contrôles rigoureux par les autorités politiques. Il n’y a aucune polémique, malgré ce que ces pseudo-fédéralistes aimeraient vous faire croire. Ce que je retiens aujourd’hui, c’est qu’une variante a tué de manière sauvage deux hommes, des héros, dans l’exercice de leurs fonctions. Nous ne les oublierons pas, et leur folie meurtrière ne restera pas impunie !

 

Des murmures traversèrent la salle tandis que les journalistes accrédités, choisis avec soin par l’agence, lançaient leurs questions. À côté de Stanley, une femme se tenait droite, silencieuse. Ses cheveux blonds, impeccablement coiffés avec une mèche sur le côté, encadraient un visage sévère, dépourvu de toute émotion. Ingrid Wood, connue pour son ambition dévorante et sa fidélité inébranlable à la BMRA, fixait les journalistes avec froideur. Son regard acéré parcourait la salle, prête à répondre à toute menace, qu'elle soit physique ou politique.

Ingrid était réputée pour son zèle et son efficacité. Elle résolvait les problèmes rapidement, avec une indifférence presque clinique. Sa loyauté envers l'agence n’était pas motivée par l’ambition personnelle mais par une croyance profonde en la mission de la BMRA. Pour elle, le bien commun primait sur tout le reste, et les variants, avec leurs pouvoirs dangereux, représentaient une menace qu’il fallait éradiquer sans compromis.

Tandis que Stanley répondait aux questions avec l’aisance d’un politicien aguerri, Ingrid demeurait en retrait, calculatrice, préparant déjà les prochaines actions à entreprendre pour localiser Lydia Sorel.

  • Mesdames et messieurs, merci de respecter nos téléspectateurs en posant vos questions à tour de rôle ! ordonna Ingrid d'une voix ferme et assurée.

 

Immédiatement, la salle se calma, et les journalistes, naguère envahis par la cacophonie, levèrent la main docilement, espérant que Stanley les sélectionnerait. L’ordre était rétabli, et chacun savait que les questions seraient choisies en fonction de leur adhésion aux discours de l’agence. Un pur spectacle de communication bien rodé.

  • Est-ce que le restaurant disposait de détecteurs anti-variants ? demanda l’un des journalistes, profitant du silence.

 

Stanley afficha un sourire professionnel avant de répondre.

  • D’après les informations dont je dispose, le restaurant en était effectivement équipé. Cependant, nos ennemis, les variants, cherchent constamment à contourner nos lois et à déjouer ces dispositifs. C'est pour cela que nous avons soumis de nouvelles mesures aux chambres du Congrès fédéral, afin de développer des technologies bien plus performantes que de simples scanners ADN. Nous envisageons, par exemple, des portiques de sécurité impossibles à pirater via des signaux parasites, des tests sanguins rapides et instantanés, ou encore des contrôles oculaires. Plus encore, sur le long terme, nous envisageons des solutions innovantes, comme l'implantation de nanopuces impossibles à retirer et plus faciles à analyser. Ces systèmes nous permettraient de détecter les variants avec précision et efficacité. Je tiens d’ailleurs à remercier sincèrement nos ingénieurs et scientifiques pour leur travail acharné afin de rendre tout cela possible. Pourquoi ces mesures ? Parce que nous devons protéger nos administrations, nos restaurants, et tous ces lieux qui comptent pour nous et où chaque citoyen doit se sentir en sécurité.

 

Un autre journaliste prit la parole aussitôt après :

  • D’après certaines rumeurs, il existerait des abris clandestins où des mutants se réunissent. Que comptez-vous faire face à cette nouvelle menace ?

 

Stanley hocha lentement la tête, savourant une fois de plus l'attention qu'on lui portait.

  • Cela fait déjà plusieurs années que nous alertons sur les dangers que représente la présence incontrôlée de variants hostiles. Ils haïssent nos valeurs, notre pays, et l'avenir que nous construisons ensemble. Il est impératif de frapper ces groupes clandestins, ces parias qui fomentent des attentats contre des civils innocents. Soyez rassurés, la BMRA travaille sans relâche pour démanteler ces réseaux, pour traduire leurs membres en justice. Je suis d'ailleurs heureux de vous annoncer que nous avons récemment mis la main...

 

Soudain, une interruption inattendue coupa la réponse de Stanley.

  • Il y aurait actuellement des tirs sur Flower Street, à Los Angeles ! s’écria un journaliste au fond de la salle, coupant court à l’ambiance maîtrisée.

 

Stanley se figea un instant, les mâchoires serrées. Il détestait apprendre les informations par les journalistes eux-mêmes.

  • Eh bien, merci de me l’apprendre, répondit-il finalement, masquant tant bien que mal son irritation. Je vais écourter cette conférence afin que nous puissions concentrer nos efforts sur la situation. Soyez assurés que je vous tiendrai informés très prochainement. Merci à tous.

  • Mesdames et messieurs, la conférence est terminée, ajouta Ingrid avec autorité, marquant la fin de l’événement.

 

Le nouveau coup porté par cet attentat tombait au plus mauvais moment pour la communication. Stanley, d'ordinaire si sûr de lui, se sentait contrarié d'avoir été pris au dépourvu. Tandis que les journalistes quittaient la salle, visiblement mécontents de la fin abrupte, Stanley et Ingrid s'éloignèrent rapidement vers un couloir réservé aux employés de la BMRA. Ils marchèrent jusqu’à l'ascenseur privé, autorisé à une poignée de personnes seulement. Une fois à l’abri des regards, Stanley desserra sa cravate d’un geste nerveux, passant une main dans ses cheveux pour libérer la tension accumulée. Ingrid, impassible à sa gauche, fixait droit devant elle, le regard froid et distant

  • Votre avis sur la conférence, Ingrid ? lança Stanley, cherchant à briser le silence.

  • Concise et efficace, répondit-elle immédiatement. Vous avez dit l’essentiel.

 

Stanley soupira, visiblement contrarié.

  • Si seulement il n'y avait pas eu cet attentat en direct... C'est mauvais pour notre image !

  • L’agence vous a embauché pour cela, Stanley, rétorqua Ingrid avec froideur. Votre travail consiste à gérer les imprévus et à faire en sorte que la population continue de croire en notre mission.

  • Je sais ce que je fais, Ingrid, répliqua Stanley, un brin agacé par sa remarque. Des nouvelles sur ce qui s’est passé ? Ces enfoirés auraient pu attendre...

  • Nous en saurons plus à la réunion. Ils nous attendent déjà.

  • Et lui, il sera là aussi ?

  • En effet, confirma Ingrid sans détour.

 

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur un long couloir menant à une salle de réunion hautement sécurisée. Plusieurs robots-gardiens, bien plus sophistiqués que les modèles commerciaux, veillaient silencieusement. Après un rapide contrôle, Stanley et Ingrid pénétrèrent dans une vaste salle circulaire, où régnait une lumière tamisée qui accentuait l’atmosphère lourde et solennelle. Une grande table ronde au centre arborait fièrement le logo de la BMRA, entourée de plusieurs sièges déjà occupés par des membres influents de l’organisation.

Christian Pieriam, assis dans un imposant fauteuil de cuir, observait un écran holographique géant qui diffusait les dernières informations. Les titres d'actualité défilaient, mettant en avant l’agitation causée par les variants à Los Angeles. Le silence dans la salle contrastait avec l’agitation visible à l’écran. Tous les membres du conseil restaient concentrés sur les images, le visage impassible.

Christian Pieriam, d'âge mûr, dégageait une autorité naturelle qui imposait silence et respect. Sa prestance et son charisme écrasaient toute contestation. Peu de gens connaissaient les détails de son ascension au sommet de la BMRA, mais tous savaient que ses méthodes étaient aussi redoutables que son intelligence. Sa réputation s'était bâtie sur la destruction de NickroN en 2114, une action qui marquait encore profondément l'histoire de la lutte contre les variants. Son pragmatisme sans concession laissait peu de place à l’éthique : seul le résultat comptait.

À sa droite, Solomon Crane, médecin en chef de l'agence, était plongé dans ses pensées. Jadis un praticien respecté, il s'était engagé dans des expérimentations de plus en plus douteuses. Son expertise en génétique mutante et en psychiatrie était reconnue, mais ses méthodes, mêlant cruauté et manipulation, en faisaient un personnage redouté au sein même de l'organisation. Son visage, marqué par l'âge et les excès, portait encore les traces de nuits passées à forcer les limites de l'éthique médicale. Crane avait contribué de manière significative à la gestion des mutants capturés, n’hésitant pas à employer des traitements expérimentaux et des techniques d’interrogatoire impitoyables.

Yasmine Lefer, assise à l'opposé de la table, était doté d'un charme oriental peu commun avec sa peau mate et ses longs cheveux d'ébène ondulants. Outre sa beauté, c'était une femme de stature moyenne, mais son influence au sein de l’agence dépassait de loin sa taille. Elle dirigeait la section des renseignements et la coordination des intelligences artificielles, permettant à la BMRA de rester toujours un pas en avant sur les variants. Son efficacité à traquer et localiser les fugitifs, grâce à des réseaux d’information et des technologies de pointe, faisait d’elle une pièce maîtresse du dispositif de Pieriam. Son regard perçant, ses décisions rapides et sans concession lui avaient valu la confiance indéfectible du Président.

William Downey, en revanche, incarnait la force brute. Ancien membre du Secret Service, il dirigeait les forces d’intervention de la BMRA avec une poigne de fer. La perte de sa famille dans un attentat perpétré par des variants l’avait transformé en un guerrier impitoyable, bien décidé à anéantir ceux qu'il jugeait responsables de tous les maux du monde moderne. Sa carrure imposante et son visage dur en faisaient une figure intimidante, et il était réputé pour ne jamais reculer devant la violence pour atteindre ses objectifs.

Enfin, James McBlock, sénateur influent et soutien politique majeur de l’agence, observait la scène avec un regard critique. Bien que physiquement moins impressionnant que ses collègues, McBlock détenait un pouvoir immense par sa position politique. Sa lutte contre les variants, habilement dissimulée derrière un discours de maintien de l’ordre et de la sécurité publique, lui permettait de renforcer son influence au sein du Congrès. Il était également l’un des principaux garants des budgets colossaux alloués aux opérations secrètes de la BMRA.

Ingrid, fidèle assistante de Christian Pieriam, se tenait en retrait, silencieuse et impassible. Son visage froid et impénétrable reflétait une loyauté sans faille à son supérieur. On murmurait souvent sur la nature de sa relation avec Pieriam, mais personne n'osait s'aventurer sur ce terrain. Ingrid gérait les affaires de l’agence avec une précision méthodique, veillant à ce que tout se déroule selon les plans du Président.

L’ambiance dans la salle restait lourde et pesante. Les événements récents à Los Angeles n’étaient qu’un énième chapitre dans une guerre qui semblait ne jamais vouloir se terminer. Chacun savait que des décisions cruciales allaient être prises, des décisions qui auraient des répercussions majeures non seulement sur les variants, mais sur l’ensemble de la société.

Le regard de Christian Pieriam restait fixé sur l'écran, analysant chaque détail des rapports qui défilaient. Il n'était jamais pris au dépourvu, anticipant toujours les mouvements de ses ennemis avec une précision redoutable. Son esprit calculateur était déjà à l’œuvre, préparant la prochaine étape dans sa guerre contre les mutants. Tandis que le conseil attendait ses directives, un air d’impatience, mêlé de crainte, flottait dans la pièce.

Les membres du conseil savaient que Christian Pieriam ne se contentait jamais d’une victoire mineure. Pour lui, la domination totale était l’objectif ultime, et il n'hésiterait pas à user de tous les moyens pour l’atteindre. Aujourd'hui encore, il était déjà en train de manœuvrer pour renforcer son emprise, tout en prenant soin de garder les apparences d'un homme au service du bien commun. Mais ceux qui le connaissaient savaient qu’il était bien plus que cela : un stratège implacable, prêt à sacrifier n’importe qui ou n’importe quoi pour parvenir à ses fins.

  • Voilà Miss Wood et ce cher Stanley Miller. Nous sommes au complet. Vous avez fait forte impression lors de votre prestation, lança Christian à Stanley d'une voix douce.

  • Merci monsieur le Président, répondit Stanley avec déférence.

  • Je suppose que nous allons discuter de ce nouvel attentat en cours à Los Angeles et du docteur Lydia Sorel. Docteur Crane, connaissez-vous ce médecin ?

 

​Solomon Crane toussota légèrement avant de répondre :

  • Hum... Seulement de réputation. Lydia Sorel officiait dans un hôpital délabré de Los Angeles. Je crois savoir qu’elle avait déposé une demande d'autorisation préalable pour une étude sur les effets de la radioactivité sur l’ADN animal. 

  • Et pourquoi est-elle devenue soudainement une cible prioritaire ? demanda Christian, sa voix devenant plus tranchante.

  • Si je puis me permettre, monsieur le Président, intervint prudemment Yasmine, nous avons découvert, grâce à ses communications, qu’elle échangeait avec plusieurs de ses confrères à propos de cette fameuse étude. Après des interrogatoires… disons, “approfondis” de certains d'entre eux, il s’est avéré que cette étude était fausse. Bien que son contenu ait été subitement supprimé par une source inconnue, nous pensons qu’elle visait à remettre en question la doctrine de l’agence concernant l’évolution humaine et les variants.

 

Christian hocha lentement la tête.

  • Je vois. Et je suppose qu’elle en est une ?

  • Nous avons de sérieux soupçons. Depuis son arrivée au service, le taux de mortalité a considérablement chuté. Soit elle est extrêmement talentueuse, soit elle possède un don de guérison, répondit Yasmine, l’air grave.

 

Christian haussa un sourcil, intrigué.

 

  • Ne pourrait-elle pas nous être utile ? Ces facultés sont trop rares pour que la BMRA ne s'y intéresse pas. Qu’en pensez-vous, Solomon ?

 

Solomon, avec un sourire carnassier, répondit :

  • Je serais ravi de lui extraire son don, mais cela risque d’être plus compliqué si elle est tuée. Bien sûr, cela ne m’empêchera pas de poursuivre mes recherches pour guérir les autres. Cela m’importe peu, mais je suppose que cela pourrait intéresser le service d'intervention…

 

Christian esquissa un sourire froid.

  • Probablement. Les hommes sont remplaçables, mais pas les investissements de nos actionnaires.

  • Je suis parfaitement d’accord avec vous, répondit Solomon avec satisfaction. La guérison est intéressante sur le papier. Je recommande de la maintenir en vie le temps de l’étudier, et de récupérer ses travaux avant qu’ils ne soient diffusés dans les médias ou tombent entre les mains de ces terroristes de la liberté. D'ailleurs, Miss Lefer, comment se fait-il que vous ne puissiez pas accéder à ces travaux ?

  • Elle a vraisemblablement crypté ses recherches, répondit Yasmine avec une légère irritation dans la voix. Cela signifie qu'elle connaît quelqu'un capable de coder avec des paramètres de sécurité avancés. Je travaille dessus et j'aurai une réponse rapidement.

 

Christian hocha la tête, semblant satisfait de la réponse. Il envoya discrètement un message à l’un des deux assaillants de Los Angeles, leur ordonnant de capturer Lydia Sorel vivante, mais sans trop l’abîmer.

  • Je suis certain que notre porte-parole étudiera cette question si la situation l’exige, dit Christian en terminant son message

  • Je vais préparer une argumentation, monsieur le Président, déclara Stanley avec enthousiasme. Je vous la ferai parvenir demain matin.

  • Bien, acquiesça Christian, avant de reprendre un ton plus grave. Cependant, outre Lydia Sorel, j’aimerais comprendre comment plusieurs cibles parviennent à disparaître dans la nature depuis quelque temps. Se pourrait-il que nous abritions une taupe ? demanda-t-il en balayant la pièce, tandis que les visages des autres participants se tendirent immédiatement.

 

Christian faisait allusion à Sidonie et Lucas, ainsi qu'à d'autres variants jugés hautement prioritaires. Personne n’osa répondre, l’idée que des cibles échappent si facilement était presque impensable. Christian, connu pour détester la trahison, ne pouvait tolérer que Lydia Sorel ait tenté de contredire la BMRA tout en simulant une demande d’autorisation factice. Peu importait le sujet de l’étude : elle devait être réduite au silence. Ses dons, aussi rares soient-ils, ne devaient en aucun cas servir à aider la cause abjecte des variants. Tous ceux qui osaient remettre en question la BMRA signaient leur propre arrêt de mort – qu’il soit professionnel ou physique.

Christian resta pensif durant plusieurs minutes, mais aucune réponse ne vint. Voyant que personne n’avait le courage de verbaliser ce qui semblait pourtant évident, il se leva de son fauteuil et commença à marcher lentement autour de la table, ses subordonnés suivant chacun de ses mouvements avec appréhension.

  • Le hasard n’a jamais fait partie de mon équation. Quelqu’un œuvre dans l’ombre contre nous, et je compte bien découvrir de qui il s’agit très rapidement. Mesdames et messieurs, j’attends de vous des solutions à ce problème, lâcha Christian, son ton devenant plus grave.

  • Monsieur le Président, commença Ingrid, la BMRA pourrait diffuser de fausses informations sur des cibles prioritaires, comme des attaques supposées dans les quartiers pauvres où des variants se cachent. Cela nous permettrait de faire d’une pierre deux coups : non seulement le traître serait confondu, mais nous aurions également l’opportunité de purger ces zones. Les maires des différentes villes nous seraient très reconnaissants de les débarrasser de cette vermine.

  • L’idée est intéressante, dit Christian en esquissant un sourire. Qu’en dites-vous, sénateur McBlock ? demanda-t-il en se tournant vers le sénateur, qui, depuis le début de la réunion, ne faisait aucun effort pour dissimuler son regard fixé sur les décolletés des deux femmes présentes.

  • Je dois dire que Miss Wood a de la suite dans les idées, sourit le sénateur McBlock, admiratif. J'apprécie sa finesse. Si cela vous permet de dénicher une taupe dans vos rangs, je pourrais utiliser mes contacts auprès de certains maires et gouverneurs dans les États que je connais. Bien entendu, cela implique que l’agence soutienne ma candidature aux prochaines élections présidentielles.

  • À condition, James, que la BMRA et mes conditions soient respectées en totalité, indiqua Christian d'un ton sec. William, quel est votre avis ?

  • Nous pourrions renforcer la sécurité informatique et laisser les intelligences artificielles analyser en profondeur toutes les communications internes et externes, répondit William de manière martiale. Je travaillerai avec Miss Lefer pour mettre cela en place. En cas de doute, nous pourrions mener des interrogatoires ciblés et prendre les mesures nécessaires si des réponses insatisfaisantes sont données par les suspects.

  • C’est pertinent, concéda Christian. Toutefois, comment expliquez-vous l’attaque que nous avons subie au centre pénitentiaire d’Atlanta ? Un variant de haute valeur a réussi à s’échapper, malgré son état critique. Comment justifiez-vous cela ?

  • Cela renforce votre hypothèse, monsieur le Président..., répondit William, mal à l'aise. Cependant, nous avons capturé quatre fugitifs recherchés depuis plusieurs semaines. Nos services, ainsi que le docteur Crane, tentent de leur extorquer des informations utiles.

  • En effet, confirma Solomon, hochant la tête de manière distraite. Son esprit semblait déjà réclamer une nouvelle dose d’alcool.

 

Christian observait les deux renégats tirer sans relâche dans la foule de Los Angeles. Il les connaissait bien, car ils avaient été reconditionnés grâce aux travaux de Solomon. Le sort des civils tués n’avait que peu d’importance à ses yeux ; ce qui l’intéressait, c’était de savoir contre qui ces renégats se battaient. Malheureusement, les caméras étaient trop éloignées pour identifier clairement leurs opposants. Christian détourna alors son attention vers le sénateur McBlock.

  • Sénateur, où en sommes-nous concernant le vote de la loi sur la stérilisation et l'enlèvement des enfants de variants à leurs parents ?

 

​Le sénateur se redressa légèrement, son visage empreint d'un mépris à peine contenu.

  • Je suis forcé de reconnaître que nous sommes toujours dans l'impasse à cause de ces fichus fédéralistes qui jugent cette loi contraire à la Constitution. Ces maudits démocrates progressistes ! s'exclama-t-il avec véhémence. Ils ont ruiné notre pays ! Mais il faut bien admettre qu’ils ont de redoutables orateurs qui savent instiller ce poison de bienveillance et de ‘vivre-ensemble’ que nous combattons avec acharnement. Ils n’hésitent pas à briguer toujours plus de sièges à la Chambre des représentants, tandis que nous tenons le Sénat d'une main de fer. Les débats sont particulièrement tendus, et leur commission d'enquête s'acharne à entraver certains de nos projets communs avec la BMRA.

  • Dans ce cas, nous trouverons un moyen de faire pencher la balance en notre faveur, lança Christian en esquissant un sourire. Vous m'apporterez votre expertise sur ce point, sénateur. Je suis déjà convaincu de la satisfaction que nous éprouverons lorsque ces mesures seront en place. Elles permettront de s'assurer que les femmes variantes ne se reproduisent plus en toute impunité. Il faut les affaiblir, les réduire en nombre. D'après les études de Solomon Crane, soixante-dix pour cent des variants naissent d'un parent avec des gènes mutants. Si ces individus continuent à se reproduire sans crainte de notre autorité, c'est que nous avons failli. Ils n'ont plus peur de nous et envisagent l'avenir avec espoir. Cela m'est insupportable. Nous devons éteindre cette menace en empêchant toute union impie entre variants et humains. Le second volet de cette loi nous permettra de retirer les enfants à leurs parents en fonction de leur potentiel mutation, et de les utiliser à notre avantage selon leurs capacités.

 

​Solomon Crane, qui écoutait attentivement, hocha la tête avec une satisfaction non dissimulée.

  • Merveilleux, rétorqua-t-il avec une lueur carnassière dans les yeux. Cela nous évitera de nous soucier des avortements forcés tout en réduisant la population de cette… sous-espèce !

 

William était impatient de présenter un nouveau projet commun avec Yasmine. L'idée de voir Christian informé et de recevoir enfin la reconnaissance qu'il méritait devant les autres membres de la réunion le remplissait d’anticipation.

  • Monsieur le Président, puis-je vous parler du projet que Miss Lefer et moi avons développé sur la localisation en temps réel des variants ?

  • Impressionnez-moi, lança Christian, l'air impassible.

  • J’ai…

 

Yasmine toussa sèchement, manifestant son désaccord avec le pronom utilisé par son collègue. Elle lui lança un regard sombre.

  • Nous avons pensé, reprit William, se corrigeant, que tous les mutants devraient être identifiés grâce à un système de puce unique, infalsifiable, et surveillée en temps réel.

  • Si je peux me permettre, intervint-elle, le plus important n’est pas seulement de les suivre, mais de les reconnaître visuellement. Une marque impossible à falsifier pourrait être greffée sur leur main dominante, celle déjà utilisée pour le communicateur. Ou mieux encore, une puce implantée directement dans le cerveau, impossible à retirer sans provoquer des dommages irréversibles, voire la mort. Avec un tel dispositif, nous pourrions même décider à distance qui vit et qui meurt. Cela permettrait de renforcer notre contrôle anti-variants et de rendre notre système de fichage beaucoup plus performant que celui en place.

 

Un silence pesant suivit. Christian poussa un long soupir, ses yeux fixés sur William et Yasmine, qui retinrent leur souffle dans l'attente d'une réponse.

  • Une main, ça se coupe trop facilement, répondit Christian après un moment de réflexion. Je préfère l'option de la puce dans le cerveau. Je dois dire que vous avez bien travaillé. Nous devrons présenter cela dans un amendement pour la prochaine loi. C'est exactement ce que j'attends de mes collaborateurs, ajouta-t-il en fixant les autres participants à la réunion. Des idées innovantes et pertinentes. Puis, il se tourna vers Solomon Crane : Docteur, où en êtes-vous dans vos travaux sur les tests du “groupe V” ?

Le médecin esquissa un sourire énigmatique, son visage illuminé d'une satisfaction presque malsaine.

  • Vous voyez à l'écran les résultats des expériences “V” Vrykolakas. Après l'injection du vaccin bloquant de nouvelle génération, l'antigène variant NVD9O3, nous avons observé que tous les variants testés ont développé de graves effets secondaires. Ils ne peuvent plus se déplacer sous les UV du soleil ni s'exposer longtemps à la chaleur ou à la lumière. En revanche, ils restent contrôlables à distance via des puces à impulsion. Cependant, cet effet est temporaire et leur portée est limitée. Ils perdent également toute sociabilité et leurs interactions sont, disons, rudimentaires. En résumé, leurs capacités intellectuelles sont fortement diminuées. Mais attention, ils deviennent extrêmement dangereux lorsqu'ils se sentent menacés ou privés de nourriture. Tous les sujets ont développé un comportement cannibale. Pour rendre nos données exploitables, nous avons décidé de tester ces sujets en conditions réelles. Le danger pour la population civile reste minime, compte tenu du lieu choisi. Si des personnes venaient à croiser leur chemin, nous estimons que les pertes potentielles chez les civils sont acceptables. Dans un tel cas, nous interviendrons avec des quarantaines strictes, en testant la contagiosité sur les humains, et surtout sur d'autres variants. J’ai de grands espoirs pour ces résultats. Ils pourraient permettre la création d'unités d’intervention dociles et facilement remplaçables, avec des améliorations au fur et à mesure des tests et de l'évolution du virus.

 

Christian fixa l'écran, sur lequel un spécimen se nourrissait de ce qui semblait être un morceau de chair humaine. Il n'éprouva aucune émotion, seulement de l'admiration dans ses yeux sombres.

  • Et concernant la presse ? demanda-t-il froidement.

  • Je suppose que notre communication sera bien rodée, répondit Solomon. Un simple accident ou des mutants hostiles... Tout le monde y croira sans difficulté.

  • Hum, je vais m'en occuper également. Merci de me l’avoir rappelé, docteur, intervint Stanley, prenant note pour coordonner la diffusion de l’information.

Christian acquiesça en observant la scène sur l’écran, son regard impassible.

  • Mes félicitations, professeur. Vous êtes parvenu à créer une nouvelle espèce...

  • Merci, monsieur le Président, répondit Solomon, tremblant d'excitation.

  • Tenez-moi informé des risques que cela pourrait comporter pour une pandémie. Nous devons anticiper tous les scénarios, et nos actionnaires seront prêts à payer cher pour obtenir un antidote.

  • Pour le moment, il n'existe pas d'antidote, répliqua Solomon en prenant une respiration nerveuse, cachant à peine ses tremblements dus au manque d'alcool. Je peux m'atteler à en développer un, mais le virus est extrêmement virulent. Il me faudra du temps pour parvenir à un remède efficace, si tenté que cela fonctionne.

  • Faites-le, sourit Christian en coin. Nous pourrions avoir besoin de vos recherches si certains de nos adversaires décident de nous tenir tête. Puis, il se tourna vers Miss Lefer : Yasmine, avez-vous eu des nouvelles de notre "contact" et de mon affaire privée ?

  • Toujours en cours d'investigation, monsieur. Je vous tiendrai informé dès que j'aurai plus de détails, répondit-elle.

 

D'un geste, Christian leva la séance. Il resta seul avec Ingrid, qui affichait un sourire satisfait. Les avancées scientifiques et politiques étaient prometteuses, mais une autre priorité s’imposait désormais. Il fallait retrouver cet espion qui osait défier la BMRA depuis trop longtemps.

Sarah Garden

Sarah

Illyria Roselys

Illyria

HOPE

HOPE

Aleksandr Orlov

Aleksandr

Année 2116 | 16 novembre, 11 h 40 – QG HOPE, Santa Monica, Los Angeles - Californie

Illyria n’était pas ressortie indemne de son entrevue avec Jane. Tout ce qu’elle désirait, par-dessus tout, c’était de revoir son fils vivant, peu importaient le passé, les divergences et les années perdues. Elle sentait une angoisse sourde monter en elle, un pressentiment désagréable qui refusait de la quitter. Si cela signifiait s’installer à Los Angeles, abandonner Europa et divorcer de Patrick, alors la dernière comtesse déchue de Roselys était prête à bouleverser sa vie entière. Ni l’opinion de Jane ni celle de son époux ne comptaient plus désormais.

Elle s’était mariée à Patrick de Cissey dans l’espoir qu’il serait un homme aimant et bienveillant, ainsi qu'une figure paternelle pour Lucas, mais il avait révélé sa véritable nature trop tard, une fois qu’elle s'était piégée dans un mariage devenu une prison. Patrick n’avait fait qu’attiser les disputes, exacerbant les tensions dans une famille déjà fragilisée.

Déterminée, Illyria se dirigea vers le bureau où se trouvait Sarah et frappa à la porte avec hésitation. Une jeune femme aux cheveux cendrés lui ouvrit, son regard froid et dépourvu d'émotion. Illyria remarqua immédiatement l'œil blanc de la jeune femme, entouré de cicatrices témoignant d’un passé violent.

  • Vous voulez quoi ? lança Sarah, sa voix chargée de mépris.

  • Hum... C’est Ann Sinclair qui m’envoie vers vous, répondit Illyria, tentant de maintenir son calme.

  • Appelez-moi Elektra, je vous prie. Venez, entrez, rétorqua Sarah d’un ton sec.

 

Illyria pénétra dans la pièce, simple et spartiate, mais remplie d’équipements informatiques. Des projections holographiques défilaient à une vitesse fulgurante tandis que Sarah manipulait les systèmes avec aisance, utilisant son don d’électrokynésie pour contrôler les données numériques. Illyria observa, impressionnée par l’agilité avec laquelle Sarah piratait des réseaux, allant jusqu’à infiltrer la BMRA lorsque ceci était nécessaire. Cependant, en l'absence de HOPE, Sarah semblait avoir besoin de plus de temps et d’efforts pour briser certaines défenses.

  • Je suis Illyria. Excusez-moi d’arriver à l’improviste, dit-elle, un peu gênée.

  • Madame la Comtesse… Veuillez m’excuser, je ne vous avais pas reconnue, répondit Sarah, surprise.

  • Ne vous en faites pas pour ça. Vous pouvez oublier les convenances, ajouta Illyria avec un léger sourire.

  • D'accord. Si madame vous envoie, en quoi puis-je vous être utile ? demanda Sarah en se redressant.

  • Ma « parente » m’a proposé de me joindre à vous jusqu’à ce que mon fils Lucas revienne dans votre refuge.

  • Oui, votre fils, le variant 4830… c’est moi qui ai effectué les recherches pour le retrouver. Nous devrions avoir des nouvelles très vite de la part de notre second groupe. J’ai bon espoir qu’il revienne bientôt, dit-elle en tentant de la rassurer.

  • Merci, répondit Illyria, irritée à l'idée que son fils soit réduit à un simple numéro.

  • Je vais créer une accréditation temporaire pour que vous puissiez rester avec nous, si tel est votre souhait. Mais avant cela, je dois procéder à quelques vérifications, continua Sarah en se tournant vers son ordinateur.

  • Des vérifications ? répéta Illyria, intriguée.

  • Ce n’est pas contre vous, mais nous avons de nombreux ennemis. L’incertitude n’est pas une option ici. Je devrai effectuer un test ADN une fois que vous serez à l’intérieur, et le comparer à celui d'Ann Sinclair et de votre fils, une fois qu’il sera là. Vous comprenez ? expliqua Sarah d’un ton ferme.

 

Illyria fronça légèrement les sourcils. Elle ne comprenait pas immédiatement pourquoi elle devait prouver son lien avec Jane et Lucas, mais l’argument de Sarah tenait la route dans ce climat de méfiance. Elle hocha finalement la tête, évitant de répondre. Sarah observa la mère de Lucas. Elle paraissait si jeune pour son âge réel. Un sourire, rare chez Sarah, s’esquissa brièvement, un effort visible pour montrer un peu de bienveillance.

Sarah se dirigea vers son ordinateur et commença à encoder une demande d’accréditation temporaire auprès de HOPE. Une exception, car seuls les membres de HOPE avaient le droit de résider dans l’enceinte, et Jane avait toujours gardé un contrôle total sur ce privilège. Cette initiative ne pouvait signifier qu’une chose : Jane avait probablement besoin de l’aide de sa « descendante » pour justifier une telle dérogation.

Sarah referma son ordinateur, attrapa son sac, et fit un signe à Illyria de la suivre. Rester plus longtemps dans le bâtiment de la BMRA n’était pas une option envisageable. Elles seraient trop vulnérables à une attaque surprise. Illyria observa la destruction méthodique de l’ordinateur par Sarah, qui utilisa son pouvoir d’électrokinésie pour désactiver et effacer toutes traces d’information, brûlant les circuits de l’appareil.

Mais avant qu’elles ne puissent partir, un robot-gardien apparut soudainement à l’entrée, surprenant Illyria. Le gardien, rigide et sans expression, énonça d’une voix mécanique les règles du bâtiment concernant la protection du matériel. Illyria sentit une vague d’inquiétude l’envahir.

Sarah réagit immédiatement. En un geste rapide, elle posa ses mains sur la tête du robot. Une impulsion électromagnétique parcourut le gardien, grillant instantanément ses circuits internes. L’automate s’écroula lourdement au sol, inerte.

  • Suivez-moi. Et si je vous dis de courir, ne vous retournez pas, ordonna Sarah calmement, en jetant un coup d’œil à Illyria.

  • Entendu, murmura Illyria, encore secouée par la rapidité des événements.

La tension monta d’un cran. Les couloirs du bâtiment semblaient interminables, et chaque bruit de pas résonnait comme une menace. Sarah, vêtue de vêtements sombres et équipées de lunettes en réalité augmentée qui masquaient la cicatrice de son œil droit, avançait d’un pas rapide et assuré. Illyria, quant à elle, n’avait pas eu le temps d’attacher ses cheveux blonds ondulés sous son foulard, augmentant son angoisse à l’idée d’être repérée.

Finalement, elles atteignirent l’ascenseur qui les mena jusqu’au parking souterrain. Sarah s’approcha de sa voiture personnelle, un véhicule usé par des années de service, un choix délibéré pour passer inaperçue dans le trafic de Los Angeles. Alors qu’elle démarrait, ses lunettes guidant chacun de ses mouvements, Illyria ne put s’empêcher de la regarder, intriguée par cette jeune femme aux capacités surprenantes. Elle nota la présence d'un bracelet discret autour du poignet de Sarah, certainement un souvenir.

  • Puis-je vous poser une question Elektra ?

  • Bien sûr, répondit Sarah.

  • Vous êtes-vous déjà rendue dans l'Empire Europa ?

  • Non. Je n’en ai pas eu l’opportunité, et je préfère éviter ce pays hostile aux variants. J’ai cependant appris le néo-français à l’école, une langue plus complexe que je ne l’imaginais. Si vous le souhaitez, je peux parler en français.

  • Non, ça ira. J’aime parler le néo-anglais, cela me rappelle mon défunt mari, répondit Illyria, une émotion palpable dans sa voix. Et vous avez raison, trop de pays deviennent hostiles aux variants. Lorsque je suis arrivée en Fédération Unie, j’ai réalisé à quel point ce pays, autrefois terre d'asile, rattrapait son retard en matière de discrimination par rapport au mien.

  • Rien ne va s’arranger si l’on en croit l’évolution des choses, madame. L'extrémisme se nourrit des véritables problèmes pour justifier la haine et l'exclusion.

  • Je le déplore, admit Illyria avec une certaine tristesse.

  • Sauf votre respect, pourquoi m’avoir demandé si j’ai déjà visité Europa ? questionna Sarah, intriguée.

  • Simple curiosité de ma part. Vous semblez si respectueuse de l'étiquette impériale, répondit Illyria avec un sourire. Vous savez, les voyages touristiques entre les continents sont devenus rapides, mais tellement coûteux. La plupart des pays refusent désormais toute immigration. Seule la Fédération Unie a conservé ce statut de terre d'asile, jusqu’à récemment…

 

Elles échangèrent quelques banalités tandis que la voiture roulait en direction de Santa Monica, une banlieue huppée à l’ouest de Los Angeles. À leur arrivée, HOPE scanna les deux occupantes du véhicule avant d'ouvrir le portail. Sarah leva les yeux, remarquant la présence d’Héliosis sur le toit.

Héliosis, un engin volant semblable à un hélicoptère, mais sans pales ni hélices, avait été conçu grâce à une technologie de pointe par un ingénieur talentueux. Si l’appareil était ici, cela signifiait qu’un résident était rentré, seul ou avec tout le groupe.

Sarah inséra son badge personnel dans la fente prévue à l’entrée pour déverrouiller la porte. En pénétrant dans le grand hall marbré, les deux femmes entendirent un bruit étrange provenant de la salle Enigma. En s’approchant, elles aperçurent un homme en train de tirer un grand objet, lourd et encombrant, sur le sol, ressemblant à un sac.

Illyria observa la scène, sans comprendre ce qui se passait. L’homme ne prêta pas attention à elles, ni à Sarah, qui, visiblement, ignorait également la situation. Il semblait marmonner dans une langue inconnue, probablement du néo-russe, un dialecte commun de la Novoya Russia, qui avait beaucoup évolué depuis le XXIe siècle.

Soudain, la porte de la salle se referma, interrompant la scène. Illyria et Sarah restèrent immobiles jusqu’à ce que HOPE apparaisse sous sa forme holographique. Son visage bleuté, mimant une certaine jovialité, flotta devant Illyria.

  • Bonjour et bienvenue, Madame de Roselys. Je suis HOPE, l’intelligence artificielle de ce complexe. Je pourrais vous servir de guide et vous assister durant votre séjour, et vous expliquer les mesures de sécurité du site.

  • Oh… merci pour votre sollicitude, sursauta Illyria, légèrement surprise.

  • Je dénote une pointe de surprise dans votre voix. Vous aurais-je causé du tort en apparaissant ainsi ?

  • Non, je vous assure. Peut-être un peu, mais vous êtes très courtoise. Je n’hésiterai pas à vous demander de l’aide si nécessaire.

  • HOPE, peux-tu me dire quelle est la situation ici ? intervint Sarah.

  • Aleksandr vient de rentrer de mission. Puisque Madame Jane Roselys est absente, c'est à toi de régler notre mercenaire, Sarah. Je peux m'en charger, mais tu devras valider la transaction sécurisée. Je ne suis pas autorisée à le faire seule. Sidonie, Hannah et Martha sont parties il y a plus d’une heure et, d’après leurs communications, elles se sont rendues sur le site Bêta pour effectuer un saut temporel. Madame Jane est informée.

  • Comment ça, un mercenaire et des sauts temporels ? demanda Illyria, visiblement confuse.

  • Aleksandr travaille pour nous. Madame Jane le considère comme un collaborateur fiable, et je dois reconnaître qu'il n'a jamais failli à ses objectifs lors des missions. Ils ont un accord financier pour couvrir ses frais, son matériel et l'utilisation d'un appareil volant rapide et performant, que vous avez probablement aperçu sur le toit. Cet appareil est utilisé pour des missions de reconnaissance ou d’intervention sur des sites éloignés et parfois dangereux.

  • Êtes-vous en train de me dire que cet homme a participé à la mission pour retrouver mon fils ?

  • Non, madame, la personne en charge de retrouver votre fils s’appelle Sidonie. Elle dirige une petite équipe et a la capacité d’effectuer des sauts temporels.

  • Sidonie ? répéta Illyria, intriguée. 

  • Oui, madame, celle que vous avez probablement croisée à NickroN en 2103, si mes données sont exactes.

  • Vaguement… Tout cela me semble si lointain. J’espère sincèrement qu’il n’arrivera rien à mon fils, ni à ces personnes.

  • Nous verrons bien, madame. Sans vouloir vous brusquer, je vais maintenant procéder au test ADN. Vous pourrez ensuite vous reposer et patienter jusqu’au retour de Madame Jane ou de l’autre groupe. Suivez-moi, je vous prie.

 

Illyria était impressionnée par l'organisation méthodique des lieux. Elle fut également surprise par la présence de plusieurs robots qui profitaient de l’absence des résidents pour nettoyer la maison de fond en comble. HOPE les avait programmés pour vérifier l’état des défenses et effectuer une inspection rapide des zones stratégiques. Posséder de tels robots n'était pas commun en raison de leur coût élevé et de la nécessité de les connecter à une unité centrale. HOPE se chargeait de leur contrôle sans intervention extérieure.

lllyria se rassura en voyant que Jane dirigeait une équipe compétente, capable de tenir tête à la BMRA. Cette pensée ne l’étonnait guère, connaissant Jane et ses innombrables ressources. L'ancienne comtesse suivit Sarah, tout en admirant la beauté épurée et aseptisée des lieux. Elles passèrent une porte près du salon pour entrer dans ce qui semblait être un laboratoire moderne et bien équipé, situé juste en face de la salle Enigma. HOPE réapparut alors près des deux femmes.

  • Prenez place et essayez de vous détendre, madame. Avant votre entrée dans la maison, je n’ai détecté aucun mouchard, puce ou implant après une analyse sommaire. Pourriez-vous me préciser vos capacités afin que je centralise ces informations dans notre base de données ?

  • Étant donné que je serai présente de manière temporaire, est-ce vraiment nécessaire ? demanda Illyria, légèrement méfiante.

  • Vous êtes libre de ne pas répondre, madame, répondit HOPE avec courtoisie.

  • Cela fait bien longtemps que je n’utilise plus mon don, non pas par honte ou par manque d’expérience, soyons clairs. Je contrôle la matière et peux l’empêcher de se mouvoir durant un court laps de temps. Ou, pour l’expliquer plus simplement, je peux figer les choses.

  • Je vous remercie pour ces précisions, madame, répondit HOPE.

  • C’est impressionnant, si je peux me permettre, ajouta Sarah, sincèrement admirative.

  • J’aurais préféré que les choses soient différentes, confia Illyria à haute voix, presque pour elle-même.

  • Je ne vous suis pas, madame ? demanda Sarah, perplexe.

  • Veuillez m’excuser. Je suis un peu stressée par tous ces événements. Revoir Lucas me réjouit, mais cela me rend également très nerveuse.

 

Sarah lui adressa un regard compréhensif, ce qui était rare chez elle.

  • Gardez espoir. C’est la seule chose qu’il nous reste, répondit Sarah avec une sincérité qui toucha Illyria.

 

Sarah s’approcha alors avec un stylo doté d'une fine aiguille, conçue pour réaliser des prises de sang rapides. Illyria retroussa la manche de son chemisier, ressentant une légère piqûre dans le creux de son bras gauche. Une fois la prise de sang effectuée, Sarah désinfecta la zone, puis y apposa un morceau de coton maintenu par du sparadrap.

En sortant du laboratoire pour retrouver la lumière du jour et la propreté presque clinique de la maison, Illyria se retrouva face à l’homme qu’elle avait aperçu plus tôt. Cet homme d’origine russe venait de fêter ses trente-quatre ans. Ses cheveux blond-châtain, mi-longs, commençaient à se clairsemer, signe d'une calvitie naissante. Il portait une veste en cuir marron par-dessus une chemise bleue légèrement ouverte, laissant entrevoir son torse viril. Son visage marqué, avec un œil gauche et une partie de sa joue tatouée de motifs circulaires bleu turquoise, contrastait avec ses yeux d’un bleu foncé. Sur sa joue droite, une cicatrice en croix de plusieurs centimètres témoignait d'une ancienne blessure. Il aurait pu la faire enlever, mais, fidèle à son caractère rustre, il la considérait comme un trophée.

À cette époque, il était courant de se tatouer le visage ou le contour des yeux pour des raisons esthétiques, particulièrement chez les jeunes suivant les tendances de mode et les nouveaux standards de beauté. Pour certains, ces tatouages étaient également des symboles d’appartenance à un groupe, une secte, ou une mouvance contre l'oppression.

  • Oh, pardonnez-moi, je ne vous avais pas vu, sursauta Illyria.

  • Kto ty ? lança-t-il dans sa langue natale, avant de répéter en anglais avec un fort accent soviétique : Who are you?

  • Je suis Illyria Roselys, répondit-elle calmement.

  • Roselys ? s'étonna Aleksandr. Comme Jane Roselys ?

  • C’est exact, acquiesça Illyria. Elle est ma lointaine ancêtre. Et vous, qui êtes-vous ?

  • Mon vrai nom est Aleksandr Orlov, ou Lonan, répondit-il en baissant la voix. Missis* Roselys, si Jane est absente, c’est à vous de me donner mon paiement pour les missions qu’on m’a confiées.

  • Non, ce n'est pas moi, répondit-elle avec certitude. Il me semble que c’est Sarah qui doit s’en charger.

  • Sarah…, soupira Aleksandr, visiblement agacé.

La jeune femme arriva alors près d’eux, consciente de la réputation d’Aleksandr pour son manque de tact en société.

​​

  • Bonjour Aleksandr, salua Sarah, avec une distance maîtrisée. Je suppose que tu as accompli ce que Jane t’avait demandé ?

  • Privet Sarah, répondit-il d'un ton sec. Salle Enigma condamnée jusqu’à nouvel ordre. J’attends mon paiement, et vite.

  • Ne t’inquiète pas pour ton argent, tu l’auras, répliqua Sarah avec fermeté.

  • Les temps sont durs, tu sais. Je ne travaille pas gratuitement, ajouta-t-il en la fixant.

  • Je vais arranger ça, répondit-elle, impassible. Au fait, qu’est-ce qui est arrivé à ta joue ?

 

Illyria remarqua enfin que la joue droite de l'homme portait une entaille fraîche, à peine cicatrisée. Elle n'appréciait déjà pas le tatouage d’Aleksandr, espérant que son fils Lucas n’ait jamais été tenté par de telles extravagances.

  • Blessure de guerre, pas de problème, répondit-il, laconique.

  • N’oublie pas de faire un rapport détaillé à HOPE, rappela Sarah avant de quitter la pièce. Je reviens tout de suite et je te laisse avec notre invitée.

 

Un lourd silence s'installa entre Illyria et le Russe. Ne sachant pas comment engager la conversation avec un homme aussi rustre, elle se dirigea vers l'une des grandes baies vitrées qui donnaient sur la pelouse parfaitement entretenue. Aleksandr, quant à lui, s'affala sur un canapé, visiblement épuisé, mais son regard ne quittait pas la silhouette gracieuse d'Illyria.

  • Vous êtes donc de la famille de missis Jane, c’est bien ça ? demanda-t-il soudain.

  • En effet, répondit-elle sans se retourner.

  • Et vous allez rester ici ?

  • Je ne pense pas, ce n’est pas moi qui décide. Mais je resterai dans les parages pour mon fils, le temps qu’il faudra.

  • Votre fils ? s’étonna-t-il. Vous avez un fils ?

  • Oui, j’ai un fils unique, de vingt-huit ans, quelque part dans ce pays.

  • Ah ! Tout cela me semble compliqué à comprendre, mais ça ne me regarde pas. Quel âge avez-vous, d’ailleurs ?

  • J’ai cinquante-deux ans. Ne vous fiez pas aux apparences, jeune homme. Nous sommes des variants, et mon visage peut cacher bien plus d'années et d'expérience que vous ne l'imaginez.

 

Aleksandr esquissa un léger sourire, sa curiosité prenant le dessus.

  • Vous m'intriguez...

 

Illyria se tourna vers lui, son regard fier et distant, qui n'atteignait pas pour autant la froideur calculée de Jane. Ancienne comtesse de Roselys, on lui avait appris à maintenir une attitude neutre et glaciale en société, peu importe les circonstances.

  • Et vous ? Qui êtes-vous réellement ? lança-t-elle d'un ton méfiant.

  • Moi ? Je ne suis que ce que vous voyez, répondit-il avec désinvolture. Fatigué, mais toujours désireux de poursuivre mes activités.

  • Vous venez de Novoya Russia ?

  • Vous êtes perspicace. Mais cela fait longtemps que ma patrie néo-russe est derrière moi. Parlez-moi plutôt de vous. En tant que descendante de Jane, vous êtes donc Europiste ?

  • Je ne peux rien vous cacher, répondit-elle calmement.

  • Intéressant, dit-il en hochant la tête. Vous savez, je n’ai rien contre vous, personnellement. Mais votre pays... il a causé beaucoup de tort aux miens pendant des années. Votre empereur et ses nobles sont odieux. Ils ont déclenché une guerre totale en Europe sans raison ! lança-t-il en la pointant du doigt avec colère.

 

Illyria fronça de nouveau les sourcils, irritée par ce jugement trop rapide à son encontre.

  • Et moi, j’ai entendu dire que la guerre a frappé le monde entier, répondit-elle avec froideur. Je n’excuse pas ce qu’a fait l’Empire français, loin de là. Toute violence me répugne, surtout lorsqu'elle entraîne l'extermination de populations pour des raisons absurdes. Je ne vais pas m'excuser parce que je suis une comtesse d’origine française, ou parce que je suis née variante dans ce pays. Ne jugez pas si facilement les autres pour leurs origines. Vous feriez le jeu de la BMRA et de tous ceux qui rejettent les variants. Ce n'est pas en cherchant des coupables que nous avancerons, mais en trouvant des solutions pour sortir de ce désespoir.

 

Aleksandr éclata soudain d'un rire amer, un éclat presque moqueur qui trahissait son amusement face à l'audace de la comtesse déchue. Pourtant, Illyria, attentive, perçut l'ombre fugace d'une douleur enfouie et d'une colère contenue dans le regard du néo-Russe. C’était comme s’il s’efforçait de masquer un passé lourd de tragédies, étouffé dans l’austérité glaciale de la Nouvelle Russie. Ce vaste pays était dorénavant gouverné d’une main de fer par Vasiliev Zedrovich, connue pour sa cruauté envers les variants et ses opposants.

  • Het (non), vous ne savez pas, vous ! reprit Aleksandr, la colère fronçant ses sourcils. Vous n’avez pas vécu les hivers rudes de Russie ou d’Alaska. J’ai vu la guerre, le sang, la mort. Les variants, en Novoya Russia, meurent chaque jour dans les camps de travail. Le désespoir ? Vous ne savez pas ce que c’est.

  • Je ne suis pas d’accord, répliqua Illyria, imperturbable. Le désespoir, nous y sommes tous confrontés, d’une manière ou d’une autre. Ce que vous décrivez est terrible, et c’est justement pour cela que je crois en l’espoir. Je veux retrouver mon fils.

  • Alors, c'est pour cela que vous avez fait tout ce chemin, juste pour le retrouver ?

  • C’est ce que ferait n’importe quelle mère.

  • Non, pas toutes. S’il a mis de la distance entre vous, c’est peut-être volontaire ! Peut-être qu’il veut vivre sans vous.

  • Vous ne savez rien, et je n’ai pas de leçon à recevoir de vous, monsieur, s’énerva Illyria.

Illyria se contint. Elle avait envie d'utiliser son pouvoir pour geler cet homme arrogant sur place, mais elle se retint. Elle savait que, d'une certaine manière, ses mots la dérangeaient car ils contenaient une vérité qu'elle refusait d'admettre. Heureusement, Sarah revint à cet instant, tenant un feuillet numérique.

  • Voici ton paiement, Aleksandr, dit-elle en interrompant la tension.

  • Je pensais que tu me paierais en main propre, Sarah.

  • Nous ne sommes pas une banque. Ton argent est transféré sur ton compte.

  • Toujours dans les règles, hein Sarah ? grogna-t-il, visiblement agacé. Mais ces transactions sont traçables.

  • Ne t’inquiète pas. HOPE s’est assuré de tout camoufler. C’est à prendre ou à laisser.

  • Très bien, j’accepte, soupira-t-il. HOPE, où sont les autres ?

 

La voix de l'intelligence artificielle retentit :

  • Bonjour, Aleksandr. Madame Jane, Hiro et Walter sont actuellement en ville pour un rendez-vous. Sidonie, Martha et Hannah sont parties pour le site Beta.

  • Sidonie ?

  • Notre dernière recrue, précisa Sarah. Voici son dossier.

 

Un hologramme apparut, dévoilant les informations de Sidonie. Aleksandr s’attarda un instant sur son portrait, remarquant ses cheveux roux et son regard profond.

  • Elle est jolie, murmura-t-il pensivement.

  • Aleksandr, un peu de sérieux, le gronda Sarah.

  • Désolé, mesdames. Mais je préfère rester sur mes gardes, au cas où.

 

Le Russe monta les escaliers en jetant un dernier regard vers Illyria, visiblement déstabilisée par cet échange houleux. Aleksandr était un mercenaire qui n'avait que faire des bonnes manières ou des mondanités où seul le paraître régnait. Si l'on devait comparer son caractère à un autre résident, Martha semblait être la plus proche de lui. La vie d’Aleksandr avait été marquée par des péripéties douloureuses, qui l’avaient rendu plus résistant, détaché, et souvent cynique. Il n’évoquait que rarement son passé, sa famille, ou ce qu’il avait fait dans son pays. Mais Jane lui faisait confiance, autant pour ses compétences que pour son sens du devoir envers elle et les missions périlleuses qu’elle lui confiait. Pour Jane, cette relation d’échange n’était pas un problème.

Durant leur bref échange, Illyria ne put s’empêcher de constater qu’Aleksandr était l’exact opposé de Lucas. Bien que tous deux aient l'énergie de la jeunesse, l'homme d'origine néo-russe semblait bien trop différent dans son caractère. Il était bourru, affirmé dans ses paroles et sa démarche. Bien qu’elle ne connaisse rien des détails de sa vie, Illyria sentait que cet homme serait difficile à supporter pour son fils, si Lucas revenait à HOPE. Les Néo-russes n’étaient pas réputés pour leur ouverture d’esprit, notamment sur la sexualité et encore moins vis-à-vis des europistes.

Sarah revint près d’Illyria, consciente que l’échange avait dû être désagréable pour elle.

  • Bonne nouvelle. Les analyses sont formelles, vous êtes bien la descendante de Jane Roselys. Souhaitez-vous boire ou manger quelque chose ?

  • Non merci, Sarah, je voudrais me reposer si cela ne vous dérange pas.

  • Aucun problème. Je vais vous montrer la chambre que vous partagerez avec votre fils. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, HOPE est à votre disposition, il vous suffit de l’appeler.

 

Illyria marqua une pause avant de poser une question qui lui brûlait les lèvres.

  • Sarah, que pensez-vous de cet homme... insolent ?

  • Aleksandr ? Insolent, peut-être, mais efficace. Nous ne nous connaissons pas assez pour que je puisse en dire davantage. Je me contente de collaborer avec les résidents pour les missions.

  • J’imagine que ce ne doit pas être facile, reconnut Illyria

  • J’ai bien senti que vos points de vue divergeaient, surtout concernant la guerre entre vos deux pays d'origine.

 

Illyria soupira, son regard s'assombrissant.

  • C'est ce genre de discussions futiles qui engendre les guerres et la violence. Tant de vies perdues, simplement parce que les gens refusent de faire un pas vers l'autre. Plutôt que de chercher des compromis, ils choisissent la haine. Lorsque j'étais comtesse, j'ai tout fait pour apaiser les tensions avec la République Allemande Unifiée (R.A.U.). Mais il y a des blessures difficiles à guérir, des actes impardonnables, et notre Empereur a commis des crimes contre de nombreux peuples. D'ailleurs, mes idées progressistes en faveur des variants m'ont causé bien des ennuis.

 

Sarah hocha la tête, silencieuse, manifestant une compréhension respectueuse. Elle ne chercha pas à poursuivre la discussion et se contenta de guider Illyria dans les escaliers. Arrivées à l’étage, elle ouvrit la porte de la chambre destinée à Lucas, une pièce sobre mais fonctionnelle, comme toutes les autres.

Illyria posa sa veste et son sac sur un fauteuil, incapable de chasser une inquiétude persistante. Quelque chose la troublait profondément, et elle savait qu’elle ne pouvait pas en parler à Sarah, encore moins à Aleksandr, en qui elle n’avait aucune confiance. Elle se rendit dans la salle de bain pour se rafraîchir le visage et réfléchir à la suite. De retour dans la chambre, elle s’assit sur le lit, essayant de se détendre.

  • HOPE ?

  • Chargement en cours… Que désirez-vous, madame ?

  • Est-il possible que je contacte Jane, s’il vous plait ?

  • Appel en cours… Désolée, Madame Jane ne répond pas.

  • Étrange. Puis-je lui envoyer un message écrit, ou… pouvez-vous lui transmettre un enregistrement sécurisé de ma part ?

  • Cela semble important. Puis-je peut-être vous aider ?

  • Avez-vous des informations sur l'église d'Asmodée ?

  • D’après mes résultats, l’église d’Asmodée, ou de Sydonai, était une secte europiste dissoute en 2104. Elle prônait l’éradication des humains, mais s’attaquait aussi aux variants prônant la cohabitation pacifique. Elle a orchestré plusieurs attentats pour attiser la haine et provoquer des conflits entre les communautés. Le gourou n’a jamais été retrouvé et est toujours recherché par la police impériale. Souhaitez-vous une description plus précise ?

  • Non, je veux simplement contacter Jane, ordonna Illyria, en proie à des souvenirs douloureux des horreurs perpétrées par cette secte. Elle s'en souvenait encore comme si c'était hier.

  • À mon signal, l’enregistrement commencera...

 

Pendant ce temps, Sarah analysait les informations sur Illyria Roselys dans la base de données. Tout devenait de plus en plus clair pour l'analyste du site Alpha, et elle savait qu’elle devrait en référer à Jane. Concentrée devant son écran, elle sursauta en entendant la voix d’Aleksandr derrière elle.

  • Tu m’as fait peur, idiot !

  • Détends-toi. J’aurais préféré parler à quelqu’un d’autre, mais tu es la seule disponible. Mes machines et les robots ne sont pas très bavards, et je n’ai pas la chance d’avoir une IA comme HOPE dans Héliosis.

  • Tu n’as pas été très tendre avec Dame Illyria.

  • La vérité fait mal, Sarah, même si elle n’est pas responsable de tout ce qui s’est passé. À cause de gens comme elle, des centaines de milliers de soldats ont été envoyés à la mort, et des civils ont été torturés ou tués. Pour quoi, au juste ? Enfin, tu me connais, je ne vais pas m'excuser.

  • Parce que la Novoya Russia a été totalement innocente dans la guerre, peut-être ?

  • Nous, pas attaqué les premiers, répondit sèchement le Russe.

  • Possible, mais le résultat est le même, Aleksandr. Vivre dans le passé ne nous aidera pas à avancer. La seule chose que nous pouvons faire, c'est essayer de ne pas reproduire les mêmes erreurs.

  • Trop idéaliste, Sarah. Et cette histoire de retrouver son enfant, c’est pathétique.

  • Il a au moins la chance d’avoir une mère qui ferait tout pour le retrouver. Je ne peux pas en dire autant de la mienne, et je n’ose même pas te demander quoi que ce soit sur ta famille.

  • Il ne vaut mieux pas, non, répondit sèchement le néo-russe.

  • Dans ce cas, arrête de juger les autres, d’accord ?

  • C’est toi qui dis ça, Sarah…, dit Aleksandr en la fixant. N’oublie pas que tu as créé bien des problèmes, au point de pousser Isabel à partir vers Epsilon.

Le nom d’Isabel attisa la rage de Sarah, bien visible dans son œil gauche encore intacte, alors qu’elle serrait les poings pour contenir son exaspération. Aleksandr se délectait un peu de la voir perdre son calme, sachant qu’Isabel était un sujet tabou pour elle depuis son départ vers un autre site.

  • J’ai des choses à faire, Aleksandr. Et au fait, quelle est ta mission ?

  • Secret confidentiel, jusqu’à nouvel ordre, même pour toi.

  • Bien sûr…

 

Quelques minutes plus tard, HOPE réapparut avec un message d'urgence. La silhouette virtuelle changea du bleu au rouge, signe qu'une situation critique se préparait.

  • Protocole d’urgence Héliosis activé, Aleksandr. Vous êtes réquisitionné pour une mission prioritaire. Certains résidents sont en danger. Je vous communiquerai les coordonnées de vol une fois que vous aurez décollé.

  • J’y vais ! répondit Aleksandr sans perdre de temps.

 

Il se précipita vers le toit pour monter à bord de son vaisseau Héliosis et décolla aussitôt, mettant le cap sur le centre de Los Angeles.

  • Que se passe-t-il, HOPE ? s’inquiéta Sarah en faisant apparaître à l’écran les données médicales des variants, sauf celles de Sidonie, Hannah et Martha, toujours dans la boucle temporelle. Quelque chose n’allait pas…

Ethan Klent

Ethan

Année 2116 | 30 octobre (passé) – 18 h 30, quartier Bellevue, Seattle - Washington

Le réveil d’Ethan fut difficile. Il peinait à se souvenir de ce qui lui était arrivé, et un mal de tête lancinant le tenait. Pendant plusieurs minutes, il tenta de remettre de l’ordre dans ses souvenirs, des flashs des événements récents avec Pixy lui revenaient. En s'observant, il se vit taché de café, la chemise ouverte, et son téléphone brisé sur le sol. Il se souvenait vaguement de sortir pour prendre sa voiture comme chaque matin. Puis cette jeune femme, ravissante, avait foncé droit sur lui.

Encore confus, il jeta un coup d'œil à son appartement. Rien ne semblait avoir été volé.

Il se sentait mal. La faim et la soif n’arrangeaient rien, elles accentuaient ce malaise qui rappelait un lendemain de soirée arrosée de substances illicites. Mais il n’y avait eu ni fête, ni soirée. Il en était sûr. Et son téléphone, brisé, ruinait ses plans : plusieurs rendez-vous et les bénéfices financiers qui en découlaient venaient de s'envoler. Il devait rapidement prévenir l’agence.

Vers dix-neuf heures, après une douche et vêtu de vêtements confortables, quelqu’un frappa à la porte. Jetant un coup d'œil par l'œil-de-bœuf, il reconnut son contact de l’agence, un homme mince portant des lunettes noires et une longue veste sombre qui accentuaient son allure inquiétante. Il entra sans attendre d’invitation.

L’appartement était resté dans l’état, prêt pour une éventuelle inspection des techniciens de l’agence. Les deux hommes se connaissaient bien. Ethan aidait l’agence à identifier des variants en échange d’avantages financiers. Il croyait œuvrer pour le bien de son pays, même si ses méthodes étaient immorales. À cause de lui, de nombreux variants avaient été capturés, neutralisés, et emmenés dans les complexes de la BMRA.

  • Pourquoi m’avez-vous fait venir ? demanda l'homme en noir d'une voix sèche.

  • Il s’est passé quelque chose. Je crois avoir été attaqué… et drogué !

  • Fâcheux. De quoi vous souvenez-vous ?

  • Une jeune femme, blonde, la vingtaine, expliqua-t-il, encore choqué d’avoir été dupé. Elle m’a foncé dessus alors que je sortais de chez moi avec un café. Je l’ai invitée à monter… et elle m’a piqué avec une seringue.

  • Original, commenta l'homme, impassible. Et c’est tout ? Quel était son nom ?

  • Elle s'est présentée sous le nom de Pixy.

 

L’agent saisit l’information dans le fichier de la BMRA, mais ne trouva aucune correspondance avec un variant connu. L’alias d’Hannah avait bien servi à brouiller les pistes.

 

  • Aucune trace sous ce nom, monsieur Klent. Si elle vous visait, je doute qu’elle vous ait donné son véritable prénom.

  • Elle me visait ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

  • Vous avez été démasqué, répondit l'agent, implacable.

  • Merde...

  • Avez-vous des caméras de surveillance ici, ou dans l’immeuble ?

  • Oui, dans ma chambre et dans le salon, confirma Ethan, hésitant.

  • Mais ?

  • Impossible de voir leurs visages. Elles étaient trois.

  • Intéressant, dit-il en restant pensif un instant. Elles utilisent des brouilleurs perfectionnés pour masquer leur identité.

 

L’homme déambula quelques instants dans la pièce, observant l’endroit sans vraiment s’y attarder. Il n’avait pas l’intention de relever des empreintes digitales dans l’appartement d’Ethan, jugeant cela inutile. Se tournant vers le jeune homme, encore sous le choc, il reprit d'une voix froide :

 

  • Et qu’en est-il de ce fameux Donovan, qui semblait intéressant pour la BMRA ?

  • Vous pensez que c’est lié ? répondit Ethan, inquiet.

  • Tout porte à le croire, acquiesça l'inconnu. Ce variant est dangereux, et votre petite mésaventure prouve que nous sommes sur la bonne piste.

  • Il ne m’a rien dit lors de nos échanges. Il m’a fait perdre mon temps en refusant de céder à mes avances, grogna Ethan.

  • Vous aviez pourtant une tâche très simple, monsieur Klent. C’est vous qui avez fait perdre du temps à l’agence.

  • Comment ça ?! Je ne peux pas forcer les gens à me rencontrer s’ils ne veulent pas !

  • Baissez d’un ton, répliqua l’homme, son regard perçant. N’oubliez pas qui vous paie, et qui vous emploie… pour l’instant.

 

Ethan sentait la colère monter en lui. L’insolence de ce type le rendait fou. Mais c’est surtout l’image d’Hannah qui lui revenait en tête, réveillant en lui une rage incontrôlable.

 

  • Cette petite pute m’a attaqué par surprise ! Je peux faire un portrait-robot, si vous voulez, lâcha-t-il avec amertume.

  • Ce ne sera pas nécessaire, rétorqua l'inconnu avec indifférence.

  • Pourquoi ?

  • Parce que nous avons d'autres moyens pour retrouver ces fugitifs, répondit-il calmement.

 

Ethan perdit patience, frappant du poing sur la table :

  • Vous êtes en train de me dire que vous vous en foutez de ce qui m'est arrivé ?! Pourquoi est-ce que je devrais risquer ma peau pour l’agence ? Autant arrêter là et reprendre ma vie normale !

  • Très bien.

 

L’homme en noir n’avait même pas haussé un sourcil. Sans un mot, il sortit de la poche intérieure de sa veste une arme de poing. Ethan, stupéfait, eut à peine le temps de réagir. Tout se passa en une fraction de seconde.

Un coup de feu retentit. La balle transperça son torse, près du cœur. Il s’écroula au sol, incapable de bouger, le souffle court. Ses yeux, écarquillés, fixaient le plafond tandis qu’il luttait pour respirer, sans comprendre ce qui venait de se passer.

  • Monsieur Klent, dit l’homme avec une étrange sérénité. L’agence ne tolère aucun échec. Surtout lorsqu’il s’agit d’objectifs d’une telle importance.

 

Ethan, étendu sur le sol, tentait désespérément de rester conscient. Mais du sang s’accumulait dans sa bouche, obstruant ses voies respiratoires. Son visage autrefois séduisant était maintenant défiguré par la douleur et la terreur. Ses mains agrippaient vainement le vide, cherchant un dernier espoir.

L'homme, imperturbable, fit un pas en avant, son expression toujours impassible. Il tira une seconde balle, cette fois dans la tête d’Ethan, l'achevant définitivement.

Il fouilla dans sa poche et en sortit une affiche numérique qu’il déposa près du corps. Sur l’écran s'affichait en lettres rouges : « Les variants vous vaincront ! Mort aux humains ! À bas la BMRA ! ».

Puis, sortant son téléphone, il passa un appel, son ton redevenu froid et professionnel :

  • J'ai un code 58 à ma position. Prévenez nos contacts et les médias. Diffusez l'alerte sur trois ou quatre variants fugitifs, potentiellement dangereux, opérant sur la côte ouest. Mettez aussi la photo de Lucas Roselys.

*Madame en russe.

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