


Sidonie

Hannah

Martha

Ethan
Chapitre 5 : « Rencontres imprévues »
Année 2116 | 29 octobre (passé) – 10 h 00, quartier Bellevue, Seattle - Washington
Le plan de Sidonie, Hannah et Martha était simple : retrouver Ethan Klent, qui vivait à Bellevue, dans le quartier d’Eastside à Seattle. Ce secteur de la ville était un haut lieu de résidence pour certains des plus grands magnats de l'informatique et de la technologie du pays. Parmi les entreprises les plus célèbres se trouvait Ahinilla Corp, propriété de la famille de Yojé Ahinilla, ancien professeur et directeur des instituts NickroN. Jane l’avait côtoyé dans la première école, et bien que leurs relations aient été tendues en raison de divergences profondes, ils avaient su collaborer grâce à un respect mutuel. Personne, à l'heure actuelle, ne savait ce qu’il était devenu : tué, emprisonné par la BMRA, ou bien simplement retiré de la scène. Malgré leurs tensions passées, Jane lui reconnaissait une intelligence remarquable et un esprit aiguisé.
Bellevue était situé à l’opposé de Belltown, en centre-ouest de Seattle. Pour y arriver, il fallait traverser la route 520 qui surplombait le lac Washington. Ce quartier avait su préserver un certain calme, où la pollution semblait épargner les citoyens qui y résidaient.
Le groupe arriva devant un petit immeuble de quatre étages sur l’avenue NE, là où vivait Ethan Klent. Celui-ci avait déjà confié à Lucas l’endroit où il travaillait, et grâce à Sarah et HOPE, qui avaient piraté le réseau de son entreprise, ils purent récupérer ses coordonnées personnelles. Il travaillait comme vendeur dans une boutique de téléphonie haut de gamme de la marque Obio, où l'on pouvait se faire greffer des systèmes connectés sur l’avant-bras en quelques minutes.
Martha était au volant, Hannah occupait le siège passager, et Sidonie se trouvait à l’arrière, au milieu. Depuis une heure, elles guettaient l’entrée de l’immeuble, espérant voir Ethan sortir. Ce dernier, grand d’un mètre quatre-vingt-sept, aux yeux vert clair et aux cheveux bruns soigneusement coiffés en arrière, dégageait un certain charme. Il semblait enfin se diriger vers son véhicule.
-
Le voilà, dit Martha en indiquant Ethan d’un signe de tête.
-
J’y vais, répondit Hannah avant de sortir de la voiture.
Elle s’élança en direction du jeune homme, habillée en joggeuse, imitant les citadins adeptes de la course matinale. Ethan, vêtu d’un pantalon de costume noir et d’une chemise blanche qui soulignait ses muscles, attirait facilement l’attention. Avec son allure, il ne devait pas laisser indifférents ses clients lorsqu’il cherchait à vendre des produits hors de prix. Sa beauté physique était indéniablement un atout dans son métier.
Il tenait une tasse de café d’une main et sa veste de l’autre. Hannah, feignant la maladresse, le percuta de plein fouet, renversant le café sur lui.
-
Oh !
-
Merde ! Ça va ? s'exclama Ethan en voyant sa chemise trempée de café.
-
Oui merci… je suis vraiment désolée, je ne vous avais pas vu, dit Hannah d'un ton contrit, faisant mine d'être embarrassée. Je ne sais pas à quoi je pensais.
-
Putain… ! Non, c’est moi, je ne faisais pas attention non plus, répondit le jeune homme en essayant de rester calme.
-
Vraiment, je suis désolée… Votre chemise est fichue, et ma veste aussi est trempée.
-
Ouais, effectivement, soupira-t-il avec un sourire en coin, admirant les traits d'Hannah. Venez, on va arranger ça.
-
Chez vous ?
-
Oui, vous n’allez pas rester comme ça, trempée dans le froid. Je dois aussi me changer, sinon mon patron va me tuer. Venez, vous pourrez vous sécher pendant que je me change. Au fait, je m’appelle Ethan. Et vous ?
-
Je m’appelle…
Soudain, une moto bruyante passa à toute vitesse, coupant la conversation. Une fois le vacarme dissipé, Ethan reprit :
-
Pardon ?
-
Mes amis m’appellent Pixy.
-
Enchanté, Pixy. C’est votre vrai prénom ? demanda-t-il en lui serrant la main avec un sourire malicieux.
-
J'adore les fées depuis que je suis toute petite, expliqua Hannah avec un sourire.
-
Eh bien, fée ou pas, on peut dire que vous avez fait une entrée fracassante.
-
Oui, mais je vous rassure, d’habitude, je suis moins maladroite.
-
Je n'en doute pas, sourit-il en la regardant intensément. Allez, je vais laver ça en un clin d'œil. Séchage compris, et je vous offrirai un vrai café cette fois.
-
Avec plaisir.
Hannah, cachant un sourire, fit discrètement un signe de pouce levé à Sidonie et Martha, signalant que tout se déroulait comme prévu. Elle suivit Ethan dans l’immeuble, s’efforçant de paraître à l’aise alors qu’il ouvrait la porte. Il semblait sous le charme d’Hannah, et elle savait en jouer. Avant de monter, il envoya un message à son travail pour signaler un léger retard dû à un imprévu. Son patron, qui lui devait un service, ne serait probablement pas contrariant.
L’appartement d’Ethan était moderne et minimaliste, décoré sans excès. Quelques magazines numériques de bien-être et de fitness traînaient négligemment sur la table. Après avoir envoyé son message, il posa son sac au sol et, sans gêne, commença à déboutonner sa chemise. Ses pectoraux et abdominaux bien sculptés n’étaient pas là par hasard. Il donnait l’impression de s’être trompé de vocation.
Hannah ne put s’empêcher de le regarder discrètement. Il n’était pas désagréable à voir, du moins en apparence. Soudain, il tourna son regard vers elle, les mains sur les derniers boutons de sa chemise.
-
Vous me donnez votre veste ?
-
Ah oui, désolée, dit-elle en lui tendant la veste trempée.
-
Merci. Vous savez, je vous trouve vraiment charmante, Pixy…
-
C'est gentil, répondit-elle avec un sourire.
Ethan s’approcha, plongeant son regard dans le sien. Confiant dans son charme, il approcha son visage du sien. Hannah, calculatrice, ne recula pas. Lorsqu’il l’embrassa, elle posa doucement ses mains sur ses bras et, d’un geste imperceptible, sortit une seringue cachée dans sa poche. Tandis que le baiser se prolongeait, elle ôta discrètement le capuchon de l’aiguille et le laissa tomber au sol. En un mouvement fluide, elle lui injecta le puissant somnifère, suffisamment fort pour assommer un cheval.
Ethan recula brusquement en ressentant la douleur. Il jeta un regard confus à son bras.
-
Mais… qu’est-ce que tu m’… fait ? balbutia-t-il, ses forces le quittant rapidement.
-
De la poussière de fée, chuchota-t-elle avec un sourire.
Les yeux d’Ethan se fermèrent, et il s’effondra lourdement au sol, inconscient. Le contenu de la seringue allait non seulement l’endormir pendant plusieurs heures, mais aussi lui effacer les souvenirs récents. Hannah envoya un message à Sidonie et Martha, leur signalant que la voie était libre. Elle vérifia que le hall était vide avant de leur ouvrir la porte. Lorsque Martha entra, elle observa avec dédain le corps inerte d’Ethan, torse nu et sans défense.
-
Il embrasse bien, ce salaud ? s'amusa-t-elle.
-
Ce n'est pas le moment, trancha Hannah.
-
Tout est bon pour toi, Pixy ? demanda Sidonie.
-
Oui, je l'ai assez observé et entendu pour pouvoir recréer son apparence et sa voix.
-
Je prends son téléphone, ajouta Martha en fouillant dans son sac.
Pour l’instant, tout se déroulait comme prévu. Martha tenait désormais le téléphone d’Ethan, où elle trouva quelques photos de lui en vacances dans un album numérique. Narcissique ? Sans aucun doute. Son dégoût s’accentua lorsqu'elle tomba sur des clichés plus intimes, sexuellement explicites, tantôt seul, tantôt accompagné. Lucas avait eu de la chance de ne jamais croiser son chemin s'il espérait une relation sérieuse. Ethan n’était qu’un bourreau des cœurs, collectionnant les conquêtes pour son plaisir personnel, sans se soucier des sentiments de ses partenaires.
Il aurait été imprudent de repartir avec le téléphone, car la police pourrait le localiser grâce à son système de géolocalisation. Il fallait donc le laisser ou le détruire. Pendant ce temps, Hannah, métamorphosée en Ethan, portait les mêmes vêtements tachés de café, ayant également adopté sa voix. Sidonie esquissa un sourire en voyant sa camarade se transformer en homme, tandis que Martha restait impassible.
-
J’appelle Donovan, dit Hannah, avec sa nouvelle voix masculine.
Le téléphone sonna trois fois, et la voix de son interlocuteur résonna via le haut-parleur. La voix de Lucas était agréable à entendre, masculine et posée. Sidonie la reconnut immédiatement, et une expression de nostalgie traversa son visage.
-
Euh, allô ? fit la voix hésitante, comme s'il attendait une réponse.
-
Salut Donovan, c'est Ethan. Ça va ? répôndit Hannah, imitant parfaitement la voix d'Ethan.
-
Oh, euh, ouais. Désolé, je ne m'attendais pas à ton appel.
-
Je ne te dérange pas au moins ?
-
Non, ça va, répondit Lucas, sa voix paraissant plus douce.
-
Tu as une petite voix, qu'est-ce qui se passe ?
-
Je viens de me faire virer, avoua Lucas.
-
Oh, désolé pour toi. Tu veux que je te rappelle plus tard ?
-
Non, c'est bon, je suis content de t’entendre pour la première fois !
-
Oui, moi aussi, je suis ravi qu'on se parle enfin. Il fallait bien sauter le pas, non ?
-
C'est vrai, j'ai cru que tu voulais laisser tomber, je n'arrêtais pas d'y penser.
-
Laisser tomber un mec comme toi ? Jamais de la vie !
-
Je dois rougir là...
-
J'espère bien ! Dis, ça te dirait qu’on aille boire un verre ensemble, je me disais que ça pourrait être sympa. Demain ça te va ?
-
Oui, pourquoi pas. Où ça ? demanda Lucas.
-
Je pensais à un bon petit restaurant dans le coin, répondit Ethan. Je t’invite bien sûr. The Pink Door, à Belltown vers 11h30 ça t’irait ?
-
Ce n'est pas tout près, mais vu que je n'ai plus d'emploi du temps chargé maintenant... D'accord.
-
Je peux venir te chercher si tu veux ?
-
Non, ça ira, je peux venir par moi-même.
-
T'es sûr ?
-
Oui, merci de le proposer. J'ai vraiment hâte de te rencontrer enfin.
-
Moi aussi, j'ai hâte. Je dois filer au boulot, donc je ne pourrai pas trop discuter, mais je t'enverrai un message ce soir. Je vais d’ailleurs changer de numéro, ces foutus robots-démarcheurs n’arrêtent pas de m’appeler !
-
Ah ouais ?
-
Je crois que quelqu’un m’a inscrit dans une base de données gérée par des robots. Un client mécontent, ou un collègue jaloux peut-être ?
-
Je vois.
-
Bon, je pense à toi, petit ange. Je t’embrasse !
-
Merci, Ethan, à demain !
Hannah raccrocha, un sourire en coin, parfaitement dans son rôle. Sidonie ne put s'empêcher d’admirer la capacité d’Hannah à manipuler avec une telle aisance. Une pensée fugace traversa son esprit : si Hannah pouvait se fondre aussi bien dans un personnage usurpé, à quel point était-elle loyale envers Jane et le groupe ? Sidonie chassa rapidement cette réflexion, mais une légère méfiance subsista dans un coin de son esprit.
Après l'appel, Hannah enregistra le numéro de Lucas dans sa montre connectée, puis brisa le téléphone du vrai Ethan. Elles devaient absolument empêcher ce dernier de contacter Lucas avant ou pendant leur rendez-vous le lendemain.
-
Je me demande pourquoi on s'emmerde à faire tout ça, soupira Martha. Donovan a l'air aussi inoffensif qu'un gosse. On pourrait juste lui demander son adresse et l'enlever à la nuit tombée.
-
Hors de question, Maria, répliqua fermement Sidonie. Il pourrait se douter de quelque chose et trouver cette insistance suspecte. Je ne veux pas qu'il prenne la fuite, avec le risque que la BMRA le trouve. On suit le plan comme prévu.
-
Il n'utilise plus son don ? Il est si puissant que ça, ce mec ?
-
Tu verras par toi-même, répondit Sidonie, le regard un peu plus sombre.
-
Bon, on va toutes au restaurant demain ? demanda Martha, désinvolte.
-
Non, trancha Sidonie. Tu vas surveiller le vrai Ethan chez lui et nous avertir s'il y a du mouvement. Je veux éviter les surprises.
-
D'accord. De toute façon, les sorties au restaurant, ce n’est pas mon truc.
-
Pixy, tu veux que je vienne et que j'attende dans la voiture, au cas où quelque chose tournerait mal ? proposa Sidonie
-
Non, ça ira, répondit Hannah, après avoir repris sa voix normale. Il ne doit pas te voir avec moi. En plus, je tiendrai moins longtemps si je dois te donner une autre apparence. On se retrouvera à l'hôtel après avoir pris notre verre…
Sidonie restait silencieuse, ses remords quant au plan de Jane déjà visibles dans ses yeux, même si elle tentait de les dissimuler aux autres.
Après avoir échangé un dernier regard avec Hannah, elles quittèrent l’appartement en laissant Ethan enfermé, sans moyen de communication et sous l’effet d’une drogue. D’après les calculs de HOPE, les effets de cette drogue ne devraient s’estomper qu'après leur rencontre avec Lucas prévue le lendemain.

Hannah

Lucas
Année 2116 | 30 octobre (passé) – 11 h 35, restaurant italien The Pink Door, quartier Belltown, Seattle - Washington
Lucas devait rencontrer son prétendant dans un restaurant italien atypique appelé The Pink Door à 11h30. Martha, de son côté, attendait devant l’appartement d’Ethan pour s’assurer qu’il ne sortait pas. Avec la drogue injectée la veille, son réveil promettait d’être particulièrement difficile. À l’autre bout de la ville, Sidonie et Hannah étaient installées dans un hôtel modeste, réservé pour la suite de l’opération. Hannah s'était enfermée dans la salle de bain pour effectuer sa transformation en Ethan Klent, usurpant son apparence séduisante grâce à son don. Quelques minutes plus tard, elle ressortit de la pièce, et Sidonie ne put s'empêcher d'admirer le résultat, aussi bien pour le talent de métamorphose que pour l'apparence volée de sa camarade.
-
Magnifique. Au fait, c’est comment d’être un homme ? taquina Sidonie, d’humeur légère.
-
Lena, tu crois vraiment que c’est le moment de plaisanter ? répondit Hannah, légèrement embarrassée, avant de se détendre un peu. Disons que… c’est assez bizarre, j’avoue ! Si je devais choisir, je préfère largement être une femme ! Je me sens tellement à l'étroit dans ces fringues !
Sidonie sourit avant de composer un numéro sur son téléphone, le haut-parleur activé.
-
Maria, tu es bien en place chez Ethan ? demanda-t-elle
-
Je suis devant. Alors, notre Apollon est-il prêt ? s'enquit Martha.
-
Non, mais sérieusement ! s’agaça Hannah, mal à l'aise. Je vous rappelle qu’on est en mission, et qu’on risque nos vies, au passage.
-
Détends-toi ! L’agence ne va pas débarquer dans la chambre, plaisanta Martha.
-
On se rappelle plus tard, coupa Sidonie, mettant fin à la discussion.
Hannah, sous son apparence masculine, quitta ensuite la chambre d'hôtel et monta dans une voiture de location. Personne ne pourrait faire le lien entre elle et Ethan. La circulation était fluide, et elle trouva rapidement une place discrète non loin du restaurant. Malgré son aisance habituelle, elle se sentait mal à l’aise dans ces vêtements masculins, ayant l’impression que sa chemise allait se déchirer sous son torse devenu presque trop large. Pour se fondre dans la masse, elle portait des lunettes de soleil, cachant ainsi son regard. Elle plaça discrètement une oreillette pour rester en contact avec ses partenaires, puis se posta devant The Pink Door, téléphone en main, guettant les alentours.
-
Hum, où es-tu, murmura-t-elle en scrutant la rue.
-
Tu l’as déjà en visuel ? demanda Martha via l'oreillette, d'une voix impatiente
-
Négatif, répondit Hannah, concentrée.
Peut-être qu’il préférait rester discret ? Hannah se mit à marcher lentement sur le trottoir, mimant l’attente d’un ami, tout en essayant de canaliser son stress. Ses yeux s’attardèrent soudain sur deux agents de sécurité de l’Agence qui approchaient de sa position, probablement en patrouille. De l'autre côté de la rue, plusieurs robots-patrouilleurs accompagnaient la police dans une recherche active de pickpockets. Sentant le danger, Hannah revint sur ses pas, se mêlant à la foule pour éviter d'attirer l’attention. Sa montre affichait désormais 11h45, et toujours aucune trace de Lucas. Elle se sentait observée, comme si chaque regard se posait sur elle, et l’idée de passer inaperçue semblait devenir un véritable défi.
Mais elle soupira de soulagement en apercevant enfin un jeune homme, cheveux courts coiffés de gel, marchant lentement les mains dans les poches. Il semblait soucieux, évitant soigneusement de croiser le regard des passants, jusqu’à ce qu’il aperçoive "Ethan". Son visage s’éclaira alors de reconnaissance.
-
Salut Ethan !
-
Hey… Donovan ! répondit Ethan, légèrement tendue.
-
Super, intervint Martha. Allez, fais ton numéro séduction.
-
Oui, c’est bien moi, répondit Lucas en serrant la main de son prétendu partenaire, avec une certaine retenue. On se voit enfin en chair et en os ! Tu vas bien ?
-
Ouais, fit Ethan en esquissant un sourire.
-
On dirait que tu as vu un fantôme, plaisanta Lucas, remarquant le regard furtif qu’Ethan jetait vers sa droite.
-
Non… enfin si, mais tout va bien maintenant, rassura Ethan, posant une main amicale sur l’épaule de Lucas. Je suis vraiment ravi de te rencontrer en vrai. J’ai cru un moment que tu ne viendrais pas !
-
Désolé, je suis venu à pied et je me suis un peu perdu en prenant la mauvaise rue.
-
Peu importe, l’essentiel, c’est que tu sois là, répliqua Ethan, jetant un regard charmeur.
Lucas pinça sa lèvre inférieure, hésitant sur ce qu'il avait en tête. Finalement, dans un geste furtif et audacieux, il se laissa aller à un rapide baiser sur les lèvres d'Ethan, qui fut charmé par cette initiative inattendue. Lucas était pudique, et toute forme d'affection en public lui semblait incongrue. Hannah, dans son rôle d'Ethan, le trouva attendrissant, se rappelant la conversation qu'elle avait eue avec Sidonie. Cette dernière avait déjà exprimé une certaine affection pour cet ange au regard inoffensif.
Lucas observait Ethan, le trouvant très séduisant, mais ses joues rougies trahissaient sa timidité. Hannah se sentait déjà coupable de ce qu’elle s’apprêtait à infliger à sa cible.
-
On marche un peu avant de prendre un petit verre ? proposa Ethan, tout en lançant un regard furtif en direction des deux agents de l'Agence, désormais à une dizaine de mètres du couple.
-
Avec plaisir.
Hannah remarqua l’anxiété palpable chez Lucas, difficile à dissimuler. Était-ce le stress de leur premier rendez-vous ou se savait-il suivi ? La présence des agents semblait le rendre aussi mal à l’aise qu’elle.
Elle avait l'impression de bien le connaître. En effet, elle avait passé des heures à lire les échanges entre les deux hommes, apprenant à connaître leurs personnalités, leurs fantasmes, leurs désirs, tout ce que l’on finit par partager lorsqu’on est en confiance. Quelques minutes de torture suffiraient pour obtenir le même résultat, pensa-t-elle. Les méthodes de l’Agence étaient simplement plus rapides, plus efficaces. Au final, l’être humain se comportait toujours de la même manière : il révélait les secrets de son âme pour survivre.
Hannah se rappela alors à quel point le véritable Ethan la répugnait. Contrairement à Lucas, il n’avait rien de sincère. C’était un joueur, quelqu’un qui prenait plaisir à rencontrer des gens, à s’amuser de leur crédulité pour obtenir ce qu’il voulait — des rapports sexuels sans attachement ni passion. Ethan et Lucas étaient aux antipodes l’un de l’autre. Lucas, avec sa douceur, était une proie idéale pour des hommes comme Ethan, qui l'aurait sûrement abandonné sans scrupule une fois ses désirs assouvis, ou pire encore. Hannah se félicita d’avoir drogué Ethan et de l’avoir laissé inerte, à demi nu, sur le sol de son appartement.
Lucas, simplement vêtu d’une chemise blanche épaisse et d’un jean délavé, ne portait ni sac ni accessoires. Il frissonna légèrement sous la brise fraîche qui venait de se lever. Seule une fine écharpe grise couvrait sa gorge.
-
Tu n'as pas froid ? demanda Ethan, soucieux.
-
Non, ça va pour l'instant. J'ai juste oublié ma veste en partant, répondit Lucas avec un sourire gêné.
-
Tu veux la mienne ? proposa Ethan.
-
Non merci, ça ira, c'est gentil.
Lucas ne pouvait pas avouer à son prétendant qu'il n'avait pas les moyens de se payer des vêtements chauds adéquats ni de manger trois repas par jour. Il détestait qu’on éprouve de la pitié pour lui.
Pendant qu’ils marchaient, le jeune homme scrutait l’horizon, à la recherche de la chaleur du soleil, voilée par quelques nuages légers.
Ils échangèrent des banalités pour détendre l’atmosphère. Ethan trouvait Lucas à la fois distant et poli, son regard fuyant comme s'il cherchait à dissimuler son malaise. Hannah, derrière son rôle, savait qu’il ne fallait surtout pas le brusquer, mais au contraire le mettre à l’aise.
Ils marchèrent jusqu'au restaurant The Pink Door, où une douce mélodie au piano flottait en arrière-plan. Le choix du lieu n’était pas anodin : c’était l’un des rares restaurants qui ne disposaient pas encore de détecteurs de variants. Hannah, comme toujours, portait un brouilleur à son poignet dès qu’elle devait sortir, mais Lucas n'en avait certainement pas. Ce genre d’appareil ne s’obtenait qu'au marché noir, bien trop cher pour le jeune homme. Comme la plupart des variants qui cachaient leur condition, il évitait soigneusement les endroits équipés de détecteurs.
Un serveur s’approcha chaleureusement et leur proposa une table dans un coin de la salle. L’endroit, feutré et élégant, restait calme malgré une vingtaine de clients discutant et prenant leur repas.
-
Je crois que j’adore déjà cet endroit, s’extasia Lucas en regardant tout autour de lui.
Son sourire illuminait son joli visage, ce qui déstabilisa quelque peu Hannah, rendant sa tâche plus délicate qu’elle ne l’avait imaginé.
-
C’est vraiment sympa ! reprit Ethan. Attends de voir la carte, tu ne seras pas déçu.
Hannah toucha délicatement les doigts de Lucas, cherchant à être démonstrative et entreprenante comme l’aurait fait le véritable Ethan. Le jeune homme rougit à ce geste de tendresse, une tendresse qui lui avait tant manqué.
-
Ce mec est d'un ennui ! railla Martha à l'oreille de son amie.
-
Hum... J’ai vraiment de la chance que tu sois venu, Donovan, dit Ethan.
-
Je t’aurais prévenu si je ne pouvais pas, répondit Lucas.
Le serveur arriva à leur hauteur.
-
Bonjour messieurs, que désirez-vous ? demanda-t-il.
-
Je vais prendre une Miller. Et toi ? demande Ethan.
-
T'es sérieuse ?! Une Miller, osa Martha. Fallait prendre plus fort ! osa Martha.
-
Oh, la même chose, c’est parfait ! répondit Lucas, presque pris au dépourvu.
-
Un souci ? s'enquit Ethan.
-
Non, rien, répondit Lucas en souriant timidement. Alors, parle-moi de toi ! Ta vie, ton travail ?
-
Je pense que tu sais déjà beaucoup de choses sur moi, mais pour le boulot, ça va. Comme je te l’ai dit, j’aimerais évoluer, je vaux mieux que ça ! Et toi ? Tu as des problèmes à ce que j’ai compris ?
-
Pff, tu n’as pas idée. J’ai bossé dans une boîte pourrie, lâcha Lucas, dégoûté. Préparateur de commande sur le port, ce n’est pas le job qu’on rêve de faire quand on est petit. Ils m’ont accusé de voler du poisson pourri ! C’est dingue, ils voulaient juste me virer pour me remplacer par un robot. J'avais pris ce boulot en attendant d'économiser pour trouver un meilleur logement.
Hannah estima que ce genre de travail permettait surtout de rester sous les radars des contrôles et fichages habituels, mais au prix d'un salaire misérable et de conditions de travail proches de l'esclavage.
-
Au moins tu avais un emploi. Sache que je suis là si tu as besoin de quoi que ce soit, dit Ethan.
-
Comment ça ?
-
Si jamais tu veux loger chez moi le temps de te retourner, poursuivit Ethan, sincèrement. Il n'y a qu'à demander.
-
C’est vraiment gentil de ta part, mais... je ne sais pas, répondit Lucas en détournant le regard.
Le serveur revint, posa les bières sur la table, et se retira discrètement sous les regards des deux hommes. Ethan le remercia. Ils trinquèrent amicalement et reprirent leur conversation.
-
Tu sais, je le pense vraiment. Si tu as besoin d’un toit pour un moment, ce n’est pas un problème, ça me ferait même plaisir, insista Ethan avec un sourire charmeur.
-
Je n’ai pas l’habitude que les choses aillent aussi vite, avoua Lucas, à la fois tenté et mal à l’aise. Mais j’apprécie beaucoup ton geste, Ethan. Merci.
Ethan saisit la main libre de Lucas et la caressa doucement, déstabilisant quelque peu sa cible, qui craignait la tournure que prenait ce rendez-vous. Lucas n’était pas à l’aise avec l’idée de terminer ce rendez-vous dans un lit. Il aspirait à une relation plus sérieuse, plus durable. Il ne se doutait pas qu’il était une proie.
-
Ne crois pas que je veuille te mettre dans un lit tout de suite ! lança Ethan avec un sourire.
-
T'abuses quand même, soupira Martha dans l'oreillette.
Ethan coupa la communication en passant discrètement son doigt vers son oreille.
-
Ah... répondit Lucas, rougissant encore plus à cette remarque. Il toussota, mal à l’aise. Non, enfin oui, j’en ai bien conscience.
-
Oui, petit ange. Mais une chose est sûre, tu n’es pas très démonstratif, plaisanta Ethan en levant son verre. Tout le contraire de moi. Détends-toi, relax !
-
Le trac du premier rendez-vous, sans doute, admit Lucas. Ça fait un moment que je n’en ai pas eu, d’ailleurs.
-
Timide en plus, j’adore ça. Allez, trinquons à nouveau ! À l’amitié, à l’amour, et à tous les poissons que tu ne pêcheras plus. Et puisse l’agence nous foutre la paix, ajouta-t-il avec un clin d'œil.
Hannah leva son verre et porta un toast avec son partenaire, avant de boire sous le regard amusé de Lucas. Il ne releva pas l'allusion à l'agence, trop pris par l’instant. Ethan jouait bien son rôle, réduisant progressivement la vigilance de sa future victime dans cette euphorie passagère. Lucas l’imita timidement.
-
À notre belle rencontre ! s’exclama-t-il, esquissant pour la première fois un large sourire.
Lucas se laissa aller un court instant à ce petit bonheur, savourant sa boisson et le regard d’Ethan. Il aurait voulu que ce moment dure une éternité. D’un geste lent et sensuel, Ethan se rapprocha de lui, saisissant délicatement son menton pour approcher son visage du sien. Le Français s’abandonna complètement à ce baiser romantique. Autour d’eux, quelques clients observaient le couple avec tendresse. Hannah, elle, trouvait ce baiser magnifique. Lucas était si doux et sensuel dans sa manière d’embrasser que la suite des événements lui donnait la nausée.
Ils reprirent ensuite leur place, et Lucas ne pouvait s’empêcher de sourire, ses pommettes légèrement rosies.
Soudain, le bruit d’un verre brisé résonna à quelques mètres de là. Lucas, comme tiré d’un rêve, tourna instinctivement la tête en direction du fracas. C’était l’occasion rêvée pour Hannah. Profitant de ce court instant de distraction, elle glissa discrètement sa main vers le verre de Lucas et y injecta un liquide à l’aide d’une minuscule seringue dissimulée dans sa paume. Leurs regards se croisèrent à nouveau juste après.
-
Ce n’est rien. Mais on dirait que quelque chose te tracasse, non ? remarqua Ethan, cherchant à détourner l’attention de Lucas.
-
Non, c’est juste que… je n’ai pas l’habitude de me retrouver dans des lieux publics… Et puis, tu ne me laisses pas indifférent non plus, répondit Lucas avec un sourire timide. Il but plusieurs gorgées de sa bière.
-
Petit flatteur. On peut aller ailleurs si tu veux, chez moi ? proposa Ethan en prenant la main de Lucas. En toute amitié, je te promets de rester sage ! ajouta-t-il pour le rassurer.
-
Je ne sais pas trop…
-
Allez, je t’ai envoûté, tu ne le sais pas encore ! plaisanta Ethan en mimant un geste de charme.
Les deux hommes échangèrent un sourire, mais Hannah remarqua une tristesse dans les yeux de Lucas. Le piège se refermait lentement sur lui, et son malaise grandissait.
Lucas cligna des yeux, puis les frotta tout en secouant légèrement la tête. Il appuya sa main contre son front, sentant le produit faire effet.
-
Qu’est-ce qui m’arrive ? Je ne me sens pas très bien…
-
Oh, qu'est-ce qui se passe ? demanda Ethan, feignant l’inquiétude.
-
J’ai mal à la tête tout d’un coup, ça tourne, répondit Lucas en appuyant sur ses tempes.
-
Tu veux rentrer ?
-
Je me sens vraiment mal, Ethan… grimaça Lucas en essayant de se lever, mais il renversa son verre.
-
Je vais m’occuper de toi.
-
Voulez-vous que j’appelle un médecin ? demanda un serveur, intrigué par l’état de Lucas.
-
Non, inutile, je vais le ramener chez lui, répondit Ethan rapidement.
Les clients du restaurant jetaient des regards inquiets et curieux vers eux. Ethan posa discrètement sa montre sur le terminal de paiement pour régler l’addition avant d'agripper le bras de Lucas pour le soutenir. À tout moment, Lucas risquait de s’effondrer, victime du puissant somnifère. Sa vision se brouillait, tout devenait flou.
Ils quittèrent le restaurant précipitamment. Le produit agissait plus vite que prévu. Lucas trébucha, tombant à genoux. Ethan le redressa sans effort.
-
Où tu m'emmènes ? balbutia Lucas, les yeux à demi fermés.
-
Dans un lieu sûr, répondit Ethan d'un ton calme.
Hannah et Lucas rejoignirent enfin la voiture. Par chance, ils ne croisèrent pas les gardes en sortant, ceux-ci poursuivant leur ronde. Elle ouvrit la portière arrière et y installa Lucas, affalé sur la banquette. Sans perdre de temps, elle attacha ses poignets avec des bracelets électroniques impossibles à défaire, similaires à ceux utilisés par la BMRA ou la police lors des arrestations. Il gémissait faiblement. Puis, elle recouvrit ses yeux avec une écharpe et plaça une couverture sur lui pour le dissimuler.
Lucas sombrait presque dans l’inconscience, perdu dans une torpeur induite par le somnifère. Hannah pouvait encore entendre ses faibles gémissements sous la couverture, mais bientôt, il s’endormit profondément.
Elle le fixa un instant. Quelques minutes plus tôt, il était un jeune homme plein de vie, désormais inerte et sans défense. Pressée par le danger d'être découverte, elle monta dans la voiture et démarra rapidement, craignant l’arrivée de passants ou, pire encore, des patrouilleurs de l’agence. Lucas, comateux, ressentait néanmoins chaque virage, chaque secousse de la route en mauvais état, la nausée le gagnant peu à peu. Finalement, il vomit.
Hannah l’entendit et redouta un arrêt forcé. Être arrêtée pour enlèvement serait catastrophique, mais la découverte de leur statut de variants les condamnerait à mort. Heureusement, Lucas, couché sur le côté, ne risquait pas de s’étouffer.
Elle ralluma son oreillette.
-
La cible est dans les bras de Morphée et dans le carrosse, retour dans la chambre des rêves, annonça-t-elle.
-
Reçu, on continue comme prévu, répondit Martha.
Aucune réponse de Sidonie.

Lucas

Hannah

Sidonie

Martha
Année 2116 | 30 octobre (passé) – 14 h 40, Civic Hotel, quartier d'Uptown, Seattle - Washington
Hannah arriva devant le Civic Hotel, situé dans le quartier d’Uptown, au sud de Seattle. L’endroit était quasiment désert, la basse saison avant les fêtes de Noël n'attirant pas les foules. Les touristes préféraient les hôtels plus centraux et confortables. Le Civic Hotel, lui, avait une clientèle particulière : des séjours courts ou des affaires plus discrètes. L’établissement misait sur cette réputation, offrant des services d’insonorisation totale, des musiques d’ambiance personnalisées, des produits érotiques, et même des services d'escortes.
Hannah, sous tension, avait l’impression d’être suivie, un effet du stress qui la forçait à jeter des coups d'œil nerveux tout autour. Lucas, toujours inconscient, n’avait pas bougé depuis qu’il avait sombré. Hannah, dissimulée sous l'apparence d’Ethan, gara la voiture dans le parking souterrain réservé aux clients. Ce dernier était à peine éclairé, certaines lumières clignotaient, d’autres étaient complètement hors service. Cela créait des zones d’ombre inquiétantes, renforçant l’atmosphère sinistre, surtout pour des femmes seules osant s’aventurer dans ces recoins.
Une fois assurée que personne ne rodait dans les parages, Hannah retira la couverture dissimulant Lucas. Elle remarqua qu’il avait vomi, sûrement à cause du trajet et des nausées causées par le somnifère. Elle lui essuya la bouche, s'assurant qu'il respirait normalement. De temps en temps, des râles échappaient du jeune homme, toujours plongé dans un sommeil artificiel. Aux yeux d’Hannah, il paraissait terriblement vulnérable, naïf même. Elle saisit Lucas par son bras lié et le tira pour le faire asseoir correctement. Sa tête pencha mollement en avant.
Malgré sa nouvelle force, qui n'était qu'une illusion, Hannah savait qu'elle allait avoir beaucoup de mal à trainer le jeune homme inconscient jusqu’à la chambre sans risquer d’être vu par un autre client ou le service d’étage. Lucas ne pouvait pas marcher dans cet état, ses jambes ne l’auraient jamais soutenu.
-
Lena, j’ai besoin de ton aide… Maria, t'es où ? appela Hannah à travers son oreillette, espérant une réponse.
-
Toujours sur la route, ça n’avance pas, répondit Martha, agacée.
-
Putain ! pesta Hannah, furieuse du silence de Sidonie.
-
Improvise, lança Martha sans détour.
Rester dans ce parking lugubre devenait trop risqué. Hannah décida de prendre les choses en main, comme le conseillait Martha. Elle défit les liens des poignets de Lucas, puis mobilisa toutes ses forces pour le traîner jusqu’à l’ascenseur. Elle passa son bras autour de son épaule, le tenant fermement par la ceinture de son jean. Le duo chancelait, manquant à plusieurs reprises de trébucher sur le sol glissant et crasseux.
Lorsque les portes de l'ascenseur s’ouvrirent, Hannah eut un sursaut violent. Un autre client se trouvait déjà à l'intérieur, et elle crut un instant que tout était fini, que leur couverture allait s’effondrer. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, et il lui fallut rassembler tout son sang-froid pour ne pas laisser transparaître sa panique. Elle inspira profondément et, après un bref moment de flottement, lança un regard désolé à l’homme d’une soixantaine d’années. Elle priait intérieurement qu’il ne soit pas membre du personnel ou un client trop suspicieux. La BMRA avait ancré la suspicion et la délation dans les comportements quotidiens du début de ce siècle, et il fallait espérer que ce vieux réflexe d’honnêteté feinte suffirait cette fois-ci.
-
Bonjour… Désolé monsieur, mon ami a un peu forcé sur la boisson, dit-elle d'une voix teintée de gêne sous l'apparence d'Ethan.
L'homme d'âge mûr fronça les sourcils.
-
À cette heure-ci ? Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? demanda-t-il, le ton suspicieux.
-
Le pauvre… Il vient d’apprendre que sa copine le trompait, expliqua Hannah avec un sourire contrit. Heureusement que j'étais là. On est juste de passage, alors je l’ai ramené ici pour qu’il puisse se reposer.
L'homme hocha la tête, son expression s'adoucissant légèrement.
-
Ah, la jeunesse et les histoires d’amour… C’est compliqué de nos jours. Le réveil sera difficile pour ce jeune homme. Une bonne douche et un cachet pour la tête, et tout ira mieux ! dit-il en souriant.
-
Oui... Merci pour votre conseil, répondit Hannah, feignant un sourire de gratitude.
-
C'est mon étage, bon après-midi, jeune homme.
-
Merci, à vous aussi, monsieur !
Les portes se refermèrent, et Hannah poussa un long soupir de soulagement. Elle l’avait échappé belle, mais rien n’était encore gagné. Lucas, allongé contre elle, gémit soudain plusieurs fois, comme s’il était pris d'une douleur profonde. Le temps jouait contre elle, et elle espérait désespérément que l'ascenseur accélère pour les mener à leur étage avant qu'un autre obstacle ne se présente.
Une fois arrivés à l'étage, Hannah, toujours sous les traits d'Ethan, plaqua Lucas contre le mur avec une brusquerie contrôlée. Au bout du couloir, deux couples, probablement des échangistes, traversaient en discutant joyeusement, insouciants du drame qui se jouait près d’eux. Pour éviter d’attirer l’attention, elle couvrit la bouche de Lucas avec sa main, au cas où il émettrait un quelconque son. Elle ne pouvait pas se permettre de laisser filtrer le moindre indice de ce qu’elle était en train de faire.
Une fois les couples hors de vue, Hannah reprit son difficile périple, traînant Lucas jusque devant la porte de leur chambre. Ils avaient pris soin de choisir une option d’insonorisation complète, une précaution nécessaire au cas où Lucas, une fois réveillé, se montrerait bruyant ou tenterait de se débattre. Dès qu'ils furent à l'intérieur, elle referma la porte avec soulagement et déposa Lucas sur le grand lit en forme de cœur qui trônait au centre de la pièce. Sans perdre de temps, elle activa l’option d'insonorisation via un écran holographique intégré au mur.
Lucas restait inerte, étendu sur le ventre, ses bras ballants le long de son corps. Même dans son sommeil, son visage arborait cette tristesse profonde, celle d’un jeune homme perdu dans un monde trop cruel pour lui. Hannah, sentant un mélange d’empathie et de culpabilité l’envahir, s’approcha du lit. Elle le retourna afin qu'il soit allongé sur le dos et rendre sa position moins inconfortable. Puis, elle attacha méthodiquement les poignets de Lucas de chaque côté du lit, ainsi que ses chevilles et ses genoux à l’aide des accessoires trouvés dans un kit bondage fourni par l'hôtel.
Le silence retomba dans la chambre, un silence pesant, seulement interrompu par les respirations lourdes de Lucas. Le temps, lui, sembla s’étirer à l’infini. Les minutes devinrent des heures. Sidonie n’avait toujours pas donné signe de vie, et Martha était coincée dans le trafic à l’autre bout de la ville. Hannah commençait à s’inquiéter, redoutant que quelque chose de grave ne soit arrivé. Martha pouvait se débrouiller, elle en était certaine. Mais Sidonie… Elle n’était pas si sûre de pouvoir compter sur elle. Le doute l’assaillait.
Le stress monta d’un cran. Et si l'homme de l'ascenseur avait contacté la sécurité ? Et s’ils étaient déjà sur la piste ? Ces pensées tourbillonnaient dans sa tête, alimentant une angoisse croissante. Elle se mit à faire les cent pas dans la petite chambre, jetant des coups d'œil nerveux à sa montre digitale, à la fenêtre, et enfin à Lucas, toujours inconscient sur le lit.
Elle finit par s’asseoir sur une chaise, en face du lit. Ses pensées étaient un chaos total. Elle regrettait amèrement d'avoir plongé Lucas dans cette situation. Il ne méritait pas d'être traité ainsi. Gentil, naïf, et sans défense, il était devenu une victime dans un monde où la bonté et le bien n'avaient pas leur place. La gorge nouée, elle prit une gorgée d’eau dans une tentative désespérée de calmer ses nerfs. Dans sa confusion, elle désactiva accidentellement son oreillette, coupant toute communication avec Martha et Sidonie.
Le silence dans la pièce était oppressant, et Hannah ne pouvait s’empêcher de ressentir un poids sur sa conscience. Elle se leva finalement et s’approcha du lit pour essuyer une nouvelle fois la bouche de Lucas avec un mouchoir. Ce fut un geste doux, presque tendre. Son regard se fixa un instant sur le visage du jeune homme. Son doigt effleura sa joue, une caresse involontaire, comme si elle voulait s’excuser, effacer ses fautes par ce contact délicat. Ses doigts descendirent sur ses lèvres légèrement entrouvertes. En l'admirant quelques instants, elle repensa à une personne qui avait tant compté à ses yeux. Il lui ressemblait tellement…
Dans un élan de culpabilité et de remords, elle détourna brusquement le regard pour laisser échapper une froide colère refoulée depuis trop longtemps. Hannah fouilla rapidement les poches de Lucas et trouva son téléphone ainsi que sa carte-clé, qu’elle posa sur la table de chevet. En l’observant ainsi, vulnérable et complètement soumis, Hannah ne put s’empêcher de se souvenir de sa propre extraction, brutale et déshumanisante. Aujourd'hui, elle se trouvait à la place du bourreau, et le destin semblait prendre un malin plaisir à la confronter à ce cruel renversement de rôle.
Elle resta là, assise près de Lucas, observant le passé et le présent se confondre, un nœud de regret se formant dans son estomac.
Lucas émergeait lentement de l’obscurité, les paupières lourdes. Il tentait de bouger, mais ses poignets étaient fermement attachés aux barreaux froids du lit. La sensation de panique montait en lui, comme une marée impossible à contrôler. Il tenta de tirer sur les menottes qui lui faisaient mal.
-
Quoi... ? Mais qu’est-ce qui se passe... pourquoi je suis attaché ? balbutia-t-il, la voix tremblante, affaiblie par la peur.
-
Hé, doucement..., murmura une voix suave à côté de lui.
Lucas tourna la tête et aperçut Ethan – ou du moins, l’homme qu’il croyait être Ethan – assis calmement sur le bord du lit. Il posa une main sur le torse de Lucas, alors qu'un sourire rassurant flottait sur son visage. L'expression étrange d'Ethan, dégageant quelque chose d'imperceptible, fit naître un malaise profond chez Lucas.
-
Tu es en sécurité, c’est juste pour t’aider à te calmer...
-
Enlève-moi ça, demanda Lucas, de plus en plus confus.
Ethan se pencha légèrement en avant, une main effleurant doucement la joue de Lucas, qui tourna la tête de l'autre côté, méfiant et de plus en plus agité.
-
C’est pour ton bien, répondit Ethan en caressant la joue de Lucas. Tu étais dans un sale état, quand on est partis du restaurant. Tu t'es montré violent.
Lucas ferma les yeux un instant, essayant de rassembler ses pensées brouillées. Il ne parvenait pas à croire ce qu’Ethan lui disait.
-
Mon bien... ? Mais... je ne comprends pas... Je ne me souviens de rien.
-
Mon ange, ne joue pas l'innocent avec moi, répondit Ethan avec fermeté, perçant la surface de ce masque amical. Tu sais très bien ce que je veux,
-
Non ! Enlève-moi ça tout de suite ! hurla Lucas.
Hannah plaqua fermement sa main sur la bouche du jeune homme tandis que son autre bras appuyait sur son torse pour l’immobiliser. Lucas se débattit, mais son ravisseur avait trop de facilité à le maîtriser. La pression de la main sur son visage signifiait que tout ceci n’était en aucun cas un jeu érotique avant de passer aux choses sérieuses. Lucas émit des gémissements de peur à travers ses narines, et l’air commença à lui manquer sous la poigne ferme d’Ethan, qui se pencha davantage vers lui, chuchotant.
-
Chut… Ça ne sert à rien de crier. Personne ne t'entendra. Je vais retirer ma main, et t’as intérêt à rester tranquille, c’est compris ?
Lucas n’arrivait pas à croire que cet homme avait osé le droguer et l’enlever, le tenant captif quelque part. Il tremblait pour sa vie à cet instant précis, complètement pétrifié à l’idée d’être entravé avec un possible criminel au-dessus de lui. La sidération et le stress intense l’empêchaient de penser clairement, le poussant à réaliser qu’il n’avait pas été assez vigilant.
Son corps, désormais incapable de réagir autrement, se soumettait à l’avertissement d’Ethan.
Lucas suffoqua, hochant la tête de manière saccadée sous la main puissante qui lui bloquait la bouche. Ethan la retira enfin, et Lucas peina à retrouver son souffle, toussant à plusieurs reprises.
-
Pour... pourquoi tu me fais ça ?! Laisse-moi partir ! implora-t-il d'une voix tremblante.
Il craignait qu’Ethan ne mette ses menaces à exécution, mais au lieu de cela, celui-ci relâcha son emprise. Lucas avait atrocement mal aux poignets, alors que de violentes nausées le submergeaient.
Ethan se redressa, le fixant de toute sa hauteur. Lucas n'osait pas le regarder.
-
Je t'ai eu aussi facilement, un vrai jeu d'enfant, chuchota Ethan, sa voix pleine de menaces.
-
Espèce de salaud ! rétorqua Lucas, la peur mêlée à la colère.
Soudain, Ethan le gifla sans ménagement. Puis, ses mains glissèrent sur ses côtes et descendirent jusqu’à ses fesses, déclenchant une vague de panique chez Lucas, qui se raidit à l’idée d’être abusé. La terreur le paralysait, l’empêchant de crier malgré l’intense détresse qui bouillonnait en lui.
Le jeune homme regrettait amèrement d’avoir accepté de rencontrer cet inconnu qui dissimulait si bien ses intentions. Lui qui s’était imposé de vivre discrètement depuis des années, évitant soigneusement tout ennui avec la BMRA ou d’autres individus malveillants.
Ethan semblait chercher à briser ses dernières barrières émotionnelles, à la manière de la BMRA qui utilisait ces méthodes sur les variants récalcitrants. La destruction physique et mentale pour mieux reconstruire et manipuler n’était pas une stratégie nouvelle, mais elle avait fait ses preuves depuis des siècles. Jane elle-même n’était pas étrangère à ce procédé, qu’elle appliquait dans une certaine mesure au sein de son propre groupe, sous prétexte de sauver des variants et de soutenir le Projet HOPE.
-
Arrête ! Non ! Ne me touche pas ! supplia Lucas, pris de panique.
-
Chut..., murmura Ethan, narquois, en plaçant son doigt sur les lèvres tremblantes de sa victime. Et si je te retirais ces vêtements, hein ? Pour voir ce qu’il y a en dessous ? Peut-être que ça te ferait taire…
-
Va te faire foutre ! répliqua Lucas, une lueur de dégoût dans les yeux.
-
C'est toi qui vas passer un sale quart d'heure mon ange, ricana Ethan. Il te reste peu de temps à vivre !
-
Quoi ?! s'écria Lucas, l'effroi envahissant son visage.
Ethan s’empara d’une paire de ciseaux, rendant sa menace plus palpable. Il pressa l’acier froid contre la joue de Lucas, qui se crispa, terrifié à l’idée d’être tailladé ou poignardé. Ethan déboutonna lentement la chemise de Lucas, admirant son torse imberbe et bien dessiné. Le ventre du jeune homme se contractait sous l’effet de la peur, tandis que des larmes coulaient silencieusement le long de son visage, son corps ne pouvant plus supporter cette lente torture mentale et physique.
Lucas sanglotait, tentant de rester aussi silencieux que possible, mordant sa lèvre inférieure avec force. Il voulait vivre, s’en sortir, comme n’importe quel être humain dans une telle situation.
-
Je t'en supplie, arrête. Je ne veux pas mourir..., murmura Lucas, sa voix brisée par la peur.
Hannah hésita tout à coup. Elle réalisait qu’elle avait peut-être été trop loin dans son rôle de tortionnaire. La vue de ce jeune homme, craquant sous la pression, la mettait mal à l’aise. Pourtant, la rancune qu’elle avait refoulée toutes ces années revenait à la surface, et Lucas était sa victime. De plus, Jane leur avait ordonné de ne pas ménager Lucas, leur conseillant de maquiller la vérité pour le forcer à rejoindre HOPE.
Si Sidonie avait été là, tout cela aurait probablement été différent. Elles auraient sans doute dû le bousculer un peu, mais pas avec une telle cruauté.
Après plusieurs minutes de silence pesant, Hannah prit la nuque de Lucas, qui crut sentir la fin approcher. Paniqué, il essaya une nouvelle fois de se débattre, mais une gifle brutale l’arrêta net.
Une fois calmé, Hannah repositionna doucement sa tête sur un oreiller, adoucissant légèrement sa posture inconfortable. Quand Lucas comprit que la fin n’était pas encore venue, son rythme cardiaque, bien qu’encore élevé, se stabilisa quelque peu. Chaque inspiration s’accompagnait d’un râle plaintif, le jeune homme étant encore terrorisé par chaque seconde qui passait. Face à cette situation désespérée, Lucas avait envie de crier de toutes ses forces dans l’espoir d’attirer une aide quelconque. Mais devait-il prendre ce risque ? Il ne pouvait que rester là, immobile, et subir. Des flashs de son passé lui traversaient l’esprit, ainsi que des souvenirs des personnes qui comptaient pour lui. Pourquoi moi ? Que va-t-il m’arriver ? se demandait-il.
-
Ethan… Pitié, osa Lucas d'une voix tremblante.
-
Arrête, ça ne sert à rien de supplier. Reste tranquille, ça va piquer, dit-il d'un ton ferme.
-
Mais qu'est-ce que tu fais ? Non ! Arrête ! s'alarma Lucas, tentant en vain de se débattre.
-
Ferme ta gueule, rétorqua Ethan, en maintenant fermement son bras gauche qu'il piqua avec une seringue.
-
Aie ! Putain ! Non ! s’écria Lucas, sa voix brisée par la douleur lancinante.
Il sentit une chaleur se répandre dans son bras, le produit injecté remontant lentement vers son épaule et envahissant tout son corps. Était-ce de la drogue ? Un poison ? Lucas pleurait face à cette nouvelle vague de torture.
-
Qu’est-ce que tu m’as injecté ?! demanda-t-il, désespéré.
-
Il faut que tu sois en forme quand ils viendront te chercher…, répondit calmement Ethan.
-
Qui ça ?
La seringue contenait en réalité un médicament rapide contre les maux de tête, mais Lucas ne pouvait pas le savoir. De toute façon, il était impuissant face à son sort. Le jeune homme tourna lentement la tête vers Ethan, tentant de lire quelque chose dans son regard, espérant trouver une lueur de raison dans cet océan de cruauté. Il se contenta simplement d'observer Lucas, qui ne pouvait plus résister à la peur.
-
Détache-moi…
-
Non.
-
Détache-moi connard ! hurla Lucas ne pouvant plus se contenir.
-
Tu l'auras voulu, petit con ! menaça Ethan qui s'empara d'un objet.
-
Qu’est-ce qui va m'arriver ?! Qu'est-ce que tu vas faire ?! s'écria Lucas, désespéré.
-
T’es de la vermine de variant de NickroN, et tu mérites de disparaître ! Mais avant ça, tu vas nous dire ce qu’on veut entendre.
-
Mais je ne sais rien du tout ! Je n'ai pas d'argent ou rien d'autre bordel...
-
C'est toi qu'ils veulent.
-
Pourquoi je t'ai rencontré, t'es qu'un sale menteur, regretta Lucas.
-
Eh oui, mon gars, la BMRA connait ta véritable nature et ils vont s’occuper de toi. Tu sais ce qu’ils font aux gens de ton espèce ?
-
Non pas ça ! Ethan, je t’en supplie, ne fais pas ça ! Je ne suis pas un variant.
-
C'est ça, ouais. Pourtant, ils savent que Lucas Roselys est un variant ! La BMRA va vous tuer !
-
Comment connais-tu mon nom… ?! demanda Lucas, la voix tremblante.
Ethan le fixa avec une fureur froide, lui maintenant le menton d'une poigne de fer.
-
Tu crois que jouer aux humains te rendra comme nous ? T’as tout loupé, mon gars. Je vais te faire une promesse, je vais leur demander qu’ils te torturent, qu’ils t’en fassent baver ! Une fois qu’ils t’auront arraché les yeux et les mains, tu les supplieras de t’achever.
-
Oh non ! Lâche-moi ! Argh ! paniqua Lucas, se débattant sous l'étreinte d'Ethan.
Lucas se retrouva complètement à bout. Le fait qu’Ethan ait prononcé son véritable nom le dévastait, brisant ses dernières défenses mentales. Il transpirait abondamment, tremblant de tout son corps. Ethan, se délectant de sa terreur, s’approcha et embrassa Lucas de force. Le jeune homme fut tétanisé par le dégoût, et il n’osa pas le mordre. Une nouvelle vague de répulsion s'empara de lui ; il se sentait sali, souillé.
Sans un mot, Ethan priva Lucas de parole en lui plaçant un bâillon boule dans la bouche, provenant d’un kit sexuel. Le jeune homme sursauta de surprise, secoué par cette humiliation supplémentaire. Il hurla en vain, ses cris étouffés par l’objet. Dépassé par la rage et le désespoir, il se débattait de toutes ses forces, mais ses mouvements étaient inutiles. Tremblant, il émettait des gémissements rauques, désespérés. Perdre l’usage de la parole, c’était la dernière étape avant de sombrer complètement dans la folie. La salive dégoulinait sur le côté de sa bouche, et il lui était impossible de prononcer le moindre mot.
-
Quel dommage, nous n'aurons pas le temps de nous amuser tous les deux, susurra sensuellement Ethan en caressant l’entrejambe de Lucas pour appuyer ses mots. J'en ai fait gémir plusieurs comme toi, juste pour leur rappeler que les humains sont supérieurs aux variants.
Lucas laissa échapper plusieurs râles étouffés, son esprit envahi par des souvenirs douloureux, des images refoulées du passé qui revenaient le hanter sans relâche. Il avait mis tant de temps à surmonter ses traumatismes, mais certaines blessures ne guérissent jamais complètement. Et à cet instant précis, elles ressurgissaient avec une violence inouïe.
Dégoûté, Lucas faisait tout pour tenter d’échapper aux mains intrusives d’Ethan, espérant, sans trop y croire, qu’il arrêterait enfin de le toucher de cette manière.
Hannah se sentit soudainement différente, comme si une force invisible la quittait. Sa voix grave et menaçante, qui jusqu'à présent semblait appartenir à un autre, perdait de son intensité. Pire encore, la partie inférieure de son corps commença à scintiller, comme si l'illusion qu'elle avait créée se désagrégeait. Avant que Lucas ne puisse comprendre ce qui se passait, elle s’empressa de lui placer un bandeau sur les yeux. Il laissa échapper plusieurs gémissements de terreur, son corps entier tremblant sous le poids de l’angoisse.
L'illusion qui avait permis à Hannah de jouer ce rôle cruel s'effondrait rapidement. Quelques secondes plus tard, son apparence redevint normale, dévoilant ses traits féminins. Elle était désormais incapable de maintenir l’apparence d’Ethan, son pouvoir l’abandonnant sous l'effet de l’épuisement. La fatigue s'empara d'elle, la laissant vulnérable, presque fragile.
Sans un mot, Hannah se précipita vers la salle de bain adjacente pour se changer, laissant Lucas dans un état de détresse totale. Le jeune homme, les yeux bandés, abandonné à son sort, cessa de se débattre, épuisé par la terreur et l’incompréhension. Sa respiration était haletante, sa gorge brûlante après tant de cris étouffés. Il ne pouvait que se résigner, incapable de comprendre ce qui venait de se passer ni de crier davantage.
La pièce était maintenant envahie par un silence oppressant, uniquement perturbé par les sanglots étouffés de Lucas et le bruit des vêtements que Hannah retirait précipitamment dans la petite salle de bain de la chambre.
***
Trente minutes avant que Hannah ne prévienne ses partenaires de son arrivée imminente à l'hôtel, Sidonie avait ressenti le besoin de s'aérer l'esprit. Elle s'était rendue au Lake Union Park, situé à quelques rues de là. Rester seule dans la chambre l’oppressait, et la marche semblait être une bonne façon de se libérer de son anxiété. Le parc, bien que modeste, offrait des chemins bordés de verdure, une fontaine près d’un muséum, et une marina en toile de fond. Après avoir contemplé l’horizon, Sidonie se dirigea vers un banc, face au lac, où la vue imprenable et la tranquillité l'invitaient à réfléchir.
Elle consulta sa montre : encore trente minutes à tuer. Une éternité. Elle glissa la montre dans sa poche avant de remarquer une petite fille, âgée d’environ sept ans, qui courait joyeusement vers le ponton au bord de l'eau. Leurs regards se croisèrent brièvement, et Sidonie lui sourit sans y penser. Mais quelque chose dans l’air lui semblait soudain différent, presque dérangeant.
Ses pensées furent interrompues par l’arrivée d’un homme qui rejoignit la fillette. De là où elle se trouvait, Sidonie ne pouvait distinguer son visage, l’homme lui tournant le dos, mais il y avait quelque chose de familier dans sa posture, dans ses gestes. Le lien entre lui et la petite fille semblait évident à la manière dont ils riaient ensemble — probablement son père, se dit-elle.
L’homme s’accroupit pour prendre une photo, capturant sa fille et la fontaine en arrière-plan. Sidonie ressentit une étrange impression de déjà-vu, comme un écho lointain dans sa mémoire. Pourtant, avec les voyages temporels qu’elle avait effectués, elle savait que ses souvenirs pouvaient être altérés ou flous. L’homme tourna légèrement la tête, et Sidonie crut le reconnaître, sans pouvoir mettre un nom sur ce visage. Il était charmant, d'une beauté troublante.
Alors, il sortit une petite boîte de sa poche, un écrin de velours. La fillette sauta de joie en découvrant le cadeau à l’intérieur, sans doute un bijou. Sidonie plissa les yeux pour essayer de deviner ce qu'il contenait, mais elle était trop loin pour en discerner les détails. Intriguée, elle décida de ne pas s’approcher. Elle n’avait aucune raison de se mêler à leur moment intime, et cela pourrait la compromettre.
Mais alors, la petite fille tourna soudainement son regard vers Sidonie, son visage rayonnant de malice. Elle pointa du doigt dans sa direction, un large sourire sur les lèvres, avant de se mettre à courir vers elle. Sidonie sentit son cœur s'emballer. Plus la fillette s’approchait, plus elle réalisait à quel point elle lui ressemblait. Et au même moment, son pendentif vibra intensément, émettant un sifflement strident dans sa tête.
Elle porta instinctivement ses mains à ses tempes, écrasée par une douleur soudaine. Sa vision se brouilla, et tout devint noir.
Lorsqu’elle revint à elle, Sidonie était toujours assise sur le banc. L’homme et la petite fille avaient disparu, comme s’ils n’avaient jamais été là. Confuse, elle vérifia son téléphone : elle était restée dans le parc pendant plus d’une heure, inconsciente. Tout semblait en place, ses affaires intactes, mais une étrange inquiétude la prenait aux tripes. Elle jeta un dernier regard autour d’elle et entendit une sirène approcher au loin. Paniquée, elle se leva précipitamment et se hâta de quitter le parc, sans se retourner.
***
Sidonie avait informé Hannah via son oreillette qu’elle était en route. Les quelques secondes d'attente s'éternisaient pour Hannah, et encore plus pour Lucas, qui gémissait sans cesse. Les nausées qui le tourmentaient semblaient s’être apaisées grâce au médicament, mais son angoisse persistait.
Hannah guettait Sidonie derrière la porte, et dès que cette dernière arriva, elle ouvrit la chambre pour lui faire face. Lucas, entendant l’ouverture, fut pris de panique, craignant d’être capturé par la BMRA. Lucas repensa à sa mère, à son demi-frère, et à toutes les personnes qui avaient compté pour lui. Il n’aspirait plus qu’à une fin rapide, sans souffrance.
Hannah referma la porte d’un geste sec et se précipita vers Sidonie. Le retard de cette dernière avait failli compromettre la mission, et Lucas était au bord de l’effondrement, privé de liberté, de la parole et de la vue.
Avant de prononcer le moindre reproche, Hannah remarqua l’expression vide et pâle de Sidonie. Quelque chose clochait. Était-ce réel ? Ou bien un paradoxe, une conséquence des bonds temporels trop fréquents ? Rien n’était certain. Préférant garder son calme, elle évita de faire une scène dans le couloir. À travers la porte, ni Hannah ni Sidonie ne pouvaient entendre les supplications étouffées de Lucas. Les dispositifs de sécurité acoustique fonctionnaient parfaitement.
-
Lena, où étais-tu passée ?! s’agaça Hannah, une pointe d’inquiétude dans la voix.
-
Je… je… j’ai pris l'air, juste à côté… et je les ai vus, je n’arrive pas à comprendre…
-
De qui tu parles ?
-
Une petite fille... J’ai perdu connaissance, et je suis revenue, balbutia Sidonie avec une voix lente.
-
T’aurais jamais dû t’éloigner ! répondit Hannah, contrariée.
À cet instant, Martha arriva d’un pas ferme dans le couloir, rejoignant les deux femmes. Le groupe était enfin réuni, et la deuxième phase du plan devait commencer avant que Lucas ne sombre totalement dans la folie.
-
Tu te sens capable de lui parler ? demanda Hannah à Sidonie.
-
Qu’est-ce qui se passe Lena ? T'as l'air bizarre, ajouta Martha.
-
Non, ça va aller... assura Sidonie, d'une voix moins certaine qu'elle ne l'aurait voulu.
-
T'étais où, au juste ? renchérit Martha.
-
On en parlera plus tard, lâcha Sidonie, essayant de se recentrer. Il est là ?
-
Ouais, il est terrifié, avoua Hannah. J'ai peut-être été trop dure avec lui...
-
Comment ça dure ? s'inquiéta Sidonie, passant machinalement la main dans ses cheveux.
-
C'est trop tard pour reculer, on y va, trancha Martha d’un ton sec.
L'absence de bruit autour de lui n'était pas de bon augure pour Lucas. Il tenta de bouger ses jambes entravées, mais chaque mouvement ne faisait qu'accentuer la douleur qui irradiait dans ses membres. Appeler à l'aide ne servirait à rien. Personne ne l'entendrait. Ses poignets, maintenus de chaque côté du lit, le faisaient souffrir atrocement. Son regard se tourna vers la porte, qui s'ouvrait lentement. Terrifié, il secoua la tête en signe de refus, désespéré. Sa respiration s’accéléra, gonflant son ventre à chaque inspiration, et chaque expiration se transformait en un gémissement étouffé par le bâillon. Il avait l’impression que son cœur allait exploser sous la pression de la peur.
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Oh mon Dieu on l’a retrouvé, c'est bien lui ! s’exclama Sidonie.
Cette voix. Comme un écho d’un passé lointain, réprimé dans les profondeurs de sa mémoire. Malgré son état de panique, Lucas savait qu'il avait déjà entendu cette voix, même s’il n'arrivait pas encore à la replacer. Il imagina un autre scénario, où ce n'était pas Sidonie qui franchissait la porte, mais les unités d’intervention de la BMRA. Si c’avait été eux, il aurait déjà été sédaté et emmené dans un centre de reconditionnement, un endroit sinistre où ils l’auraient réduit à l’état d’objet, explorant son corps et son esprit jusqu’à l’épuiser de tout ce qu’il pouvait offrir.
Immobile, il attendait, résigné à l'idée que la fin approchait.
Puis, quelqu’un s’approcha et ôta le bâillon de sa bouche, ainsi que le bandeau couvrant ses yeux. Quand il ouvrit les paupières, ses yeux s’écarquillèrent, incrédules. Il s’attendait à voir des hommes armés, mais ce n’était pas le cas. C’était Sidonie. Ses cheveux roux, l’expression mélancolique et résolue sur son visage, et ce pendentif qu’elle portait toujours… il n’y avait aucun doute. C'était bien elle. Le choc le figea. Il la contempla longuement, comme si un éclat d'espoir naissait au cœur de son obscurité.
Des larmes coulèrent sur ses joues, non pas de douleur, mais de soulagement. Il n’allait pas mourir. Sidonie posa doucement sa main sur sa joue, un geste de réconfort presque maternel. La scène semblait irréelle, lui qui n’avait jamais imaginé la revoir, encore moins dans une telle situation.
Elle entreprit de détacher les liens qui entravaient ses poignets et ses jambes meurtries. Ses poignets étaient rouges, irrités par les liens qui les avaient maintenus si longtemps. Libéré, Lucas se redressa, s’appuyant contre la tête du lit. Il était encore sous le choc, terrifié par le traumatisme qu’il venait de vivre. Ses mains frottaient doucement ses poignets endoloris, puis il boutonna rapidement sa chemise, gêné de sa situation.
Il regarda autour de lui, apercevant deux autres femmes qu’il ne connaissait pas, Martha et Hannah. Elles l’observaient en silence, et Hannah baissa les yeux, assaillie par le regret. La présence inconnue des deux jeunes femmes raviva sa crainte, même si Sidonie était à ses côtés.
Encore sous le choc, Lucas bondit hors du lit, ses yeux écarquillés de terreur. Il attrapa ses effets personnels posés sur la table de chevet et se précipita vers la porte, cherchant à fuir. Mais il fut rapidement stoppé.
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Hey, mon joli, tu restes ici ! s’interposa Martha, utilisant son don de vélocité pour se glisser derrière le jeune homme et lui tordre le bras dans une prise ferme.
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Laissez-moi partir ! cria Lucas, paniqué, en tentant de se débattre. Je suis en danger, ils vont me tuer !!!
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Maria, lâche-le, ordonna Sidonie d'une voix ferme.
Martha, hésitante, relâcha finalement son emprise, et Lucas, encore tremblant, ramena son bras endolori contre lui. Il se retourna vers Sidonie, cherchant des réponses dans le regard de celle qui avait autrefois été son amie, et observa l’autre femme, inconnue pour lui.
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Qui veut te tuer ? demanda Hannah, feignant la surprise avec une pointe de malice.
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La BMRA ! Ethan va les prévenir que je suis un variant et ils vont me capturer si je reste là ! répondit Lucas, la peur de la voix.
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Il ne pourra pas les prévenir, assura Sidonie avec une froide détermination.
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Quoi ? Lucas la regarda, perplexe, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
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Tu es hors de danger, Lucas. Viens t’asseoir, nous devons parler, toi et moi. Je te présente Pixy et Maria, elles m’ont énormément aidée pour te retrouver avant qu'ils ne le fassent.
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Tu as eu beaucoup de chance, ajouta Hannah avec un sourire en coin.
Lucas resta un moment silencieux, ses yeux passant de Sidonie à Martha, puis à Hannah. Son cœur battait toujours la chamade, mais il sentait que quelque chose était différent, une lueur d’espoir s’allumait dans son esprit.
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Pouvez-vous nous laisser, s'il vous plaît ? demanda Sidonie, en se tournant vers les deux autres femmes.
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Ok, répondit Hannah, hochant la tête.
Les deux femmes quittèrent la pièce, laissant Lucas seul avec Sidonie dans cette chambre sordide. Tentant désespérément de s’échapper, il se précipita vers la porte, mais ses espoirs furent vite réduits à néant. Martha avait verrouillé la porte en prévision de ce geste. Bloqué, il fit volte-face, le souffle court, et croisa le regard de Sidonie qui l’invita à nouveau à la rejoindre sur le lit, rouge vif et en forme de cœur, où il avait subi cette épreuve traumatisante. Lucas se sentait plus vulnérable que jamais, submergé par la honte et la douleur d’avoir été manipulé aussi facilement.
Sidonie, avec douceur, prit sa main droite dans la sienne, puis posa délicatement ses doigts sous son menton, forçant doucement son visage à se redresser. Lucas, les yeux humides, évitait toujours son regard. Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues. Il tremblait, son esprit encore piégé dans les brumes de la peur et de la confusion.
Elle sortit un mouchoir de sa poche et essuya ses larmes avec un geste tendre.
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Voilà, c’est terminé. Tu es sain et sauf maintenant, murmura-t-elle.
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C’est quoi toute cette histoire ? Pourquoi il m’a fait ça ? Pourquoi ! lâcha Lucas, désespéré. Je ne comprends rien…
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Je suis là, calme-toi, répondit Sidonie d'une voix apaisante. Ethan est un humain, et la BMRA utilise souvent des indicateurs comme lui pour traquer les variants. Tu es recherché par l’agence, et c’est… difficile à entendre.
Sidonie inspira profondément, le poids de ses propres souvenirs alourdissant ses mots. Elle se rappela de Jane, lui répétant des vérités similaires.
-
Il y a plusieurs semaines, j’ai moi aussi failli être capturée par la BMRA. Mais le groupe auquel j’appartiens maintenant, dirigé par un de tes ancêtres, m’a sauvée, expliqua-t-elle.
Lucas, les yeux écarquillés, se crispa. La crainte le gagna à nouveau.
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Oh non… pas elle… Putain, elle m’a retrouvé, pas vrai ?! balbutia-t-il avec une panique palpable. Pourquoi t'envoie-t-elle, Sid’ ?
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Calme-toi, ça va aller, assura Sidonie en posant une main rassurante sur son épaule. Grâce à elle et à son équipe, nous t’avons localisé avant la BMRA. Mais c’était juste à temps.
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Je veux rentrer chez moi, Sid’. J’en peux plus de fuir, c’est trop dur… avoua Lucas, la voix tremblante.
-
Je ne te demande pas de fuir, Lucas. Seul, tu ne pourras pas te cacher indéfiniment. Regarde ce qui vient de se passer. Si je suis ici, c’est parce que mon moi du futur a prévenu ton ancêtre que tu devais être sauvé. Et je ne pouvais pas te laisser tomber… pas un ami.
Sidonie parlait avec sincérité. Pour elle, Lucas représentait un ami précieux, et c’est pour cette raison qu’elle mettait tant d’énergie dans cette mission. Lucas, lui, semblait totalement désemparé, accablé par un destin impitoyable.
-
J’ai peur… Je vis dans la crainte depuis des années, souffla-t-il, la voix brisée.
-
Je sais, répondit Sidonie en se rapprochant de lui. Moi aussi, j’ai peur. Mais la vie est cruelle, Lucas, et le monde l’est encore plus. Tu pourrais te cacher quelques jours, quelques mois, voire des années. Mais un jour, ils te trouveront. Et tu seras seul, à toujours douter de la confiance des autres. L’agence nous traquera sans relâche. Tu le sais.
-
Qu’est-ce que je dois faire, alors ? En finir tout de suite ?
-
Ne dis pas ça ! protesta Sidonie. Il y a un autre chemin. Comme moi, comme Maria et Pixy, tu as un choix à faire. Tu peux venir avec nous, rejoindre des gens comme toi. Si ce n’était pas le cas, je ne serais pas ici pour te le dire.
-
Je ne veux pas la revoir…
-
Ton ancêtre aboie beaucoup, je te l’accorde, et je ne l’aime pas non plus. Mais à sa manière, je crois que tu comptes pour elle. Sois heureux d’avoir encore une famille. Beaucoup d’entre nous sont rejetés pour ce que nous sommes. Et crois-moi, Lucas, je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. Je suis là pour te protéger.
Lucas baissa les yeux, pris dans une tempête intérieure. Il ne voulait qu'une chose : fuir, échapper à ce cauchemar qui le poursuivait. Il fit non de la tête pour toute réponse.
Soudain, le pendentif de Sidonie vibra légèrement, un phénomène étrange qu’elle remarqua cette fois. Un froncement de sourcils se dessina sur son visage. Son expression changea, devenant plus dure, plus résolue.
-
NON ! s’écria-t-elle, coupant court à toute réflexion. Pas question, Lucas. Nous n’allons pas attendre que tu te décides pendant que nous prenons des risques énormes. Ce que tu viens de vivre n’est qu’un aperçu de ce qu’ils te feront s’ils t’attrapent. Ils sont experts pour torturer et effacer les variants. Tu saisis ? Ils veulent notre extinction. Mais je peux te promettre qu’on prendra soin de toi. Fais-moi confiance, Lucas, tu peux compter sur nous.
Le pendentif continuait de vibrer doucement, mais Lucas, toujours en proie au doute, restait silencieux. Son regard était rivé au sol, perdu, ne sachant plus quoi faire.
-
Lucas ? insista Sidonie, ses yeux brûlant de détermination.
Le jeune homme hésitait, tiraillé entre sa solitude de fugitif et la promesse d’un refuge que lui offrait Sidonie. Elle lui prit les mains, espérant le convaincre par ce contact rassurant. Mais une migraine commençait à s’insinuer dans la tête de la jeune femme.
-
J’ai peur de m’engager dans tout ça. Je ne suis pas comme toi, Sid’. Je n’ai ni ton courage ni ta détermination. Je ne veux pas me battre contre le monde entier…
-
Tu n’es pas obligé de tout affronter seul, répondit Sidonie avec force. Je ne crois pas au destin, Lucas. Ce sont nos choix qui comptent. Et là, tu dois faire le tien. C’est ta vie. Pour la dernière fois… viens avec moi.
Lucas baissa à nouveau les yeux. Il n’avait pas la force de dire ce mot simple, mais il hocha la tête, acceptant finalement de suivre Sidonie. Le pendentif cessa de vibrer.
Sidonie, sentant la tension qui habitait Lucas, l’enlaça doucement, comme ils avaient l’habitude de le faire autrefois. Ce geste réconfortant apaisa quelque peu le jeune homme, qui apprécia d’être auprès d’une personne qui l’avait tant aidé par le passé, surtout lors des attentats à NickroN Renaissance trois ans plus tôt.
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Et Ethan ? C’était un agent de la BMRA ? demanda Lucas, inquiet.
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Un partisan, oui, et un rabatteur, répondit Sidonie calmement. Son but était de te capturer pour ensuite te livrer à l’agence contre une prime. La BMRA met des contrats sur la tête des variants recherchés, et tu es l'un d'entre eux à cause de ta présence à NickroN Renaissance.
-
Quel salaud… Je me suis trompé sur toute la ligne, murmura Lucas, la voix emplie de frustration.
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Mais tu es sauf, c’est tout ce qui compte, ajouta-t-elle en le regardant avec bienveillance.
Lucas, la tête baissée, se laissa submerger par la honte.
-
Tout ça est de ma faute, je suis tellement faible et idiot…
-
Ne perds pas espoir, rétorqua Sidonie d’une voix douce mais assurée. Tu as plus de bonté en toi que bien des gens sur cette terre, tu comprends ?
Elle lui sourit avec bienveillance, essayant de dissiper sa détresse. Lucas, toujours accablé, osa lui poser une question qui le hantait depuis un moment :
-
Si je dois m’en aller pour toujours… est-ce que je peux récupérer quelques affaires chez moi ?
Sidonie hésita un instant, réfléchissant à la faisabilité de sa demande.
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C’est possible, mais seulement s’il n’y a aucun danger. Et tu n’iras pas seul, Lucas. Désormais, nous restons ensemble. Compris ?
Lucas se frotta le visage de ses mains tremblantes et hocha lentement la tête.
-
J’espère ne pas faire une connerie…
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La vie est dangereuse, répondit Sidonie avec gravité. Crois-moi, je sais de quoi je parle. Mais elle est plus supportable quand on n’est pas seul.
Dans l'ombre, Martha et Hannah, qui suivaient la conversation via leur oreillette, échangèrent un regard. Les deux jeunes femmes comprenaient désormais pourquoi Jane avait insisté pour que Sidonie prenne part à cette mission. Hannah, cependant, garda pour elle le fait que Sidonie avait pris du retard en début de mission. Ce n'était ni le lieu ni le moment d'en parler, et cela n'aurait rien changé au résultat.
Hannah ressentait un mélange d'empathie et de culpabilité face à la douleur de Lucas, mais savoir qu’il venait de son plein gré la soulageait quelque peu.
Le temps était venu pour le groupe de passer à la troisième étape du plan. Lucas, méfiant, jeta un coup d'œil à Hannah et Martha. Il restait sur ses gardes, craignant qu'elles puissent encore le tromper d’une quelconque manière. Il se sentait toujours sali et honteux d’avoir été piégé de la sorte. Heureusement pour lui, il ignorait encore toute la vérité.
Troublé par les récents événements, Lucas ne se sentait pas en sécurité. Le regard vide, il craignait l'inconnu qui l'attendait à nouveau, de quitter cette vie banale à laquelle il s'était péniblement habitué. Son équilibre fragile avait volé en éclats à cause de cette rencontre, pourtant si innocente à première vue, sur ce site de rencontres. Maintenant, après tout ce qu’il venait d’apprendre, plus rien n’avait de sens pour lui, et l’image de son visage radieux lorsqu’il avait rencontré Ethan ne réapparaîtrait pas de sitôt.
Le groupe descendit dans le parking sombre et mal éclairé. L’obscurité fit remonter une nouvelle vague d’angoisse chez Lucas. Cependant, la présence rassurante de Sidonie à ses côtés l’aida à traverser ce moment difficile. Le parking semblait désert, ce qui, en d’autres circonstances, aurait été une bonne nouvelle.
Lucas prit place à l’arrière du véhicule, aux côtés de Sidonie, tandis que Hannah s'installait sur le siège passager et Martha derrière le volant. Cette dernière enfila des lunettes de réalité augmentée qui lui afficheraient la route ainsi que les différents itinéraires en temps réel.
Hannah et Sidonie observaient Lucas, qui fixait l’extérieur à travers la vitre, comme si tout ce qu'il venait de vivre n'était qu’un mauvais rêve. Le destin l'avait rattrapé, et s'il échappait à la BMRA, Jane Roselys, elle, ne le ménagerait certainement pas. Il fut tiré de ses pensées quand Martha, concentrée sur la route, posa une question.
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On va où ? demanda-t-elle en jetant un coup d'œil à Sidonie.
-
J’ai promis à Lucas que nous passerions récupérer ses affaires, à condition qu'il n'y ait aucun danger. Maria, tu l’accompagneras, s’il te plaît.
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Ça marche. Mais je te préviens, mon joli, tu as intérêt à me suivre sans faire d'histoires. Je ne le répéterai pas deux fois, lança Martha avec son ton habituel, à la fois direct et autoritaire.
Lucas hocha de la tête, un peu déconcerté par cette fermeté inattendue.
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Ton adresse ? demanda Martha en tournant la tête vers lui.
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Sur Broad Street, en face du port de Seattle, répondit Lucas sans émotion.
Alors qu’ils roulaient en direction du port, deux voitures de police passèrent en sens inverse, se dirigeant vers le Civic Hotel. L’esprit de Lucas s'emballa ; il crut que c’était la fin pour eux et, dans un réflexe, sa main se posa sur la poignée de la portière. Il hésita, pris de panique, mais n’eut pas le courage de l’ouvrir, de peur de se faire renverser. Finalement, il pensa qu'il valait mieux rester auprès des jeunes femmes, au moins pour l'instant.
Sentant sa tension monter, Sidonie posa calmement sa main sur celle de Lucas et croisa son regard, lui intimant silencieusement de ne pas céder à la panique. Il retira sa main de la poignée et, dans un geste presque instinctif, serra légèrement celle de Sidonie. Tourmenté, mais reconnaissant, il savait qu’il ne pouvait pas se permettre d’être ingrat.
Lucas reporta à nouveau son regard sur l’extérieur, observant les passants, les voitures, les bruits de la ville… Tout ce qui symbolisait la liberté. Une liberté qui lui semblait désormais hors de portée.
Lorsque le véhicule s’arrêta enfin à Broad Street, non loin du port de Seattle, Martha jeta un coup d'œil circulaire pour s'assurer qu’aucune voiture de la BMRA ne rodait dans les parages. Satisfaite, elle descendit de la voiture en compagnie de Lucas, laissant Sidonie et Hannah dans le véhicule. Sidonie savait que Martha, avec son don particulier, serait plus à même de réagir en cas d’imprévu.
Un lourd silence s’installa dans la voiture, que Sidonie brisa au bout de quelques minutes :
-
Je suis désolée de ne pas être arrivée plus tôt.
Hannah, qui jusque-là observait la rue, tourna enfin la tête vers elle.
-
Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle, intriguée.
-
C’est étrange… C’était comme une vision. Elle semblait si réelle, une époque passée ou peut-être même future, je n'arrive pas à l'expliquer. J’ai vu une petite fille venir vers moi, et ensuite… je me suis évanouie.
-
Et ça t’arrive souvent ? répliqua Hannah, perplexe. Ce n’est pas la première fois que tu perds pied comme ça, Sidonie. J’ai vraiment eu peur pour toi cette fois. Il faudrait en parler à Jane, c’est le genre de choses qui pourraient nous mettre tous en danger en mission.
-
Je ne contrôle pas ces visions, et parfois je ne sais même plus si ce sont des souvenirs ou juste des rêves, répondit Sidonie, visiblement agacée. Et puis, mon boulot, c’était de nous faire revenir dans le temps pour retrouver Lucas et le convaincre de venir avec nous… Tout le reste, c’était à toi et à Martha de gérer !
-
Ne t’énerve pas, tempéra Hannah en percevant la frustration dans la voix de Sidonie. Ce qui compte, c’est que nous ayons retrouvé Lucas, non ?
-
Oui, c’est vrai… mais j’ai failli tout gâcher, souffla Sidonie, désolée. Heureusement que tu étais là, Hannah.
-
Merci, Sidonie. Mais tu sais, j’ai remarqué quelque chose d’étrange chez Lucas. Quand je l’ai maintenu… sa peau était brûlante.
-
Je sais, acquiesça Sidonie. Comme il ne peut pas matérialiser son énergie, ça arrive parfois qu'elle fasse surchauffer son corps. Et dans une situation de détresse comme celle-là, c'est encore plus intense.
-
Je m’en veux tellement de l’avoir fait autant souffrir, murmura Hannah, troublée en repensant à cet instant. Il fallait le maintenir dans un état de peur pour qu'il accepte de nous suivre, mais... je ne sais pas… c'est comme si quelque chose m’avait envahie. De la rage, peut-être.
-
Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Sidonie, curieuse.
-
Je t’en parlerai plus tard. Mais s'il te plaît, Sidonie, garde ça pour toi. S’il apprend ce que j'ai fait, il nous détestera, supplia Hannah, la voix tremblante.
-
Nous devons garder ça pour nous, concéda Sidonie à contrecœur. Même si je déteste mentir, il doit continuer à avoir confiance en moi… en nous. C’est primordial.
Hannah hocha la tête en signe d’approbation, un poids visible sur ses épaules.
L’immeuble où vivait Lucas était gardé par une concierge vulgaire, toujours encline à se mêler des affaires des autres. La délation semblait faire partie de ses missions non officielles. Cette femme, avec son regard mesquin et son physique ingrat, n’avait de cesse de harceler ses locataires. Elle exigea de Lucas le paiement de son loyer, en retard de plus d’un mois. Le jeune homme, récemment licencié sans compensation, se sentait déjà acculé. En remarquant ses yeux rouges, encore marqués par la séquestration qu'il venait de subir, elle en conclut hâtivement qu’il avait sombré dans la drogue. Pour ne rien arranger, elle lui rappela de manière insidieuse que sa "proposition" tenait toujours : régler sa dette en échange de faveurs sexuelles.
Lucas, paralysé par le dégoût et l’embarras, ne savait comment réagir. Martha le remarqua et prit rapidement les choses en main. Sans un mot, elle remonta sa manche, s'approcha de Lucas en lui prenant la main, puis déclara avec assurance :
-
Je suis sa nouvelle petite amie. Et pour régler votre petit problème, on va procéder immédiatement au paiement.
Martha effectua un « paiement cutané », un geste rapide qui transféra de l’argent directement à la concierge. Cette dernière, malgré ses soixante-dix ans qu’elle semblait avoir depuis toujours, esquissa un sourire carnassier en sentant la transaction s’opérer. La somme suffisait largement, et son visage ridé se décrispa. Elle retourna alors à ses occupations avec un sourire narquois, se délectant à l’idée de tourmenter mentalement son jeune locataire dans le futur. Si elle allait prévenir la BMRA de cette situation suspecte ? Cela restait une possibilité. Elle n’hésitait jamais à signaler ce qui lui paraissait « anormal ». Depuis son arrivée, elle avait trouvé Lucas suspect : toujours seul, taciturne, et avec ce visage d’ange qui, selon elle, cachait forcément quelque chose.
-
La vieille va sûrement nous dénoncer, on a quelques minutes, avertit Martha. Prends juste ce qu’il te faut.
Lucas, sous l’effet de la panique, se mit à rassembler ses affaires à la hâte. Il attrapa quelques vêtements, quelques objets qu’il jugea indispensables, et fourra tout dans un petit sac. Puis, il s’arrêta brusquement. Ses yeux se posèrent sur un cadre : une photo de lui, de sa mère Illyria et de son père John, tous réunis, souriants, avant que le monde ne bascule. Cette image lui rappelait l’amour de ses parents, la paix d’une époque révolue. Il la prit délicatement entre ses doigts, comme pour s’accrocher à ce fragment de bonheur passé. Martha, en le voyant immobile, posa doucement sa main sur son épaule.
-
Tu as terminé ? demanda-t-elle d'une voix ferme mais compatissante.
-
Oui… presque, répondit Lucas, les yeux encore fixés sur la photo.
Il glissa précautionneusement la photo dans son sac, et accéléra le mouvement.
-
Pourquoi es-tu venu vivre ici ? demanda soudainement Martha.
Lucas hésita un instant, puis répondit :
-
Je voulais fuir New York après la destruction de NickroN Renaissance. Rien que d’y repenser, c’est horrible… fit-il, la voix chargée d’émotion. J’avais besoin de m’éloigner, de fuir à la fois les autorités et ce passé qui me hante. Ici, j’ai pu trouver ce petit studio et un boulot au port. C’était loin d’être parfait, mais au moins… j’avais l’impression de pouvoir mener une vie normale. Même si je ne devais rien à personne, sauf à elle…
-
Je vois, fit-elle sobrement en hochant la tête. Allez, on se tire !
Avant de quitter l’appartement, Lucas jeta un dernier coup d'œil à ce modeste studio qui avait été son refuge pendant trois ans. Une vie simple, parfois difficile, mais où il avait pu goûter à un semblant de normalité. Il ferma la porte derrière lui, pour toujours.