


Lucas

Hannah

Sidonie

Tobias
Chapitre 16 : « Infiltration »
Année 2117 | 05 mai, 13 h 30 – QG HOPE, Santa Monica, Los Angeles - Californie
Lucas n’avait pas complètement sombré dans le désespoir après avoir visionné l’hologramme de Christian lors de la dernière réunion de préparation. Jane l’avait exhorté à reprendre ses esprits, consciente de l’importance cruciale de la mission à venir, une mission dont l’enjeu dépassait leur propre survie : il s’agissait de leur avenir à tous. Heureusement, il pouvait compter sur le soutien indéfectible de ses amis.
La comtesse, quant à elle, était envahie par une rage sourde et incontrôlable à la simple vue de cet homme qu’elle avait autrefois connu. Le Christian d’autrefois, doux, idéaliste, désespérément amoureux, était mort depuis longtemps, consumé par un désir de destruction. Il ne restait plus que ce monstre nourri par la haine des humains et la peur des variants. Neutraliser définitivement cet ennemi était devenu une priorité absolue, mais la tâche s’annonçait ardue. Christian était prêt à tout pour parvenir à ses fins, quitte à plonger le monde dans le chaos. Contrairement à de nombreux renégats qui agissaient sous l’impulsion de leurs instincts, Christian était méthodique, calculateur, un stratège redoutable. Il n’hésitait pas à emprunter les chemins les plus sinueux pour atteindre ses objectifs. Comme Jane, le temps n’était pas un obstacle pour lui : cela faisait des siècles qu’il perfectionnait son plan de domination avec une extrême efficacité.
HOPE avait informé les groupes que la mission débuterait le 6 mai, à huit heures précises. En attendant, Lucas ne pouvait s’empêcher de culpabiliser. Il regrettait de ne pas être davantage présent pour Hannah, qui traversait une grossesse difficile, isolée dans sa chambre pour se préserver elle et son enfant. Lydia, fidèle à son rôle, veillait de près sur elle, surveillant le moindre changement dans son état. Jane avait demandé à tous de ne pas évoquer la mission en sa présence afin de la préserver du stress et de l'enjeu. Même si cette consigne avait été respectée sans la moindre objection, tout le monde ne pouvait s'empêcher de ressentir un poids lattant, ne faisant qu'augmenter à l'approche de la date fatidique. La séparation s'annonçait douloureuse.
Lydia restait optimiste quant à l’évolution de la grossesse. Elle passait régulièrement du temps avec Hannah, tout en surveillant ses constantes avec l’aide de HOPE. Bien que les migraines et les malaises d’Hannah fussent fréquents, aucun signe n’indiquait une complication grave. Pourtant, quelque chose troublait Lydia : il était possible que l’enfant à naître, en tant que porteur d’une mutation génétique, fatigue davantage sa mère.
Jane était consciente des expériences inhumaines menées par la BMRA sur des femmes enceintes. Ces tests, visant à étudier la transmission des mutations, servaient aussi à alimenter la propagande anti-variants. Ils démontraient, soi-disant, les risques « tragiques » de procréer avec des variants. Ces arguments avaient même trouvé écho parmi certains ultras, opposés à toute union entre humains et variants par peur de diluer leurs capacités.
Lucas se remémorait la première échographie. Les résultats avaient été rassurants : tout semblait normal. Lydia leur avait alors proposé de découvrir le sexe de l’enfant. Mains dans la main, unis dans cet instant, ils avaient accepté. Ce serait une fille. Le visage d’Hannah s’était illuminé de larmes de joie, tandis que Lucas affichait un sourire ému. Ce moment d’intense bonheur avait marqué Lucas au plus profond de lui-même. Pour la première fois, il comprit pleinement ce que signifiait devenir père.
La nouvelle se répandit rapidement à HOPE, suscitant une vague d’enthousiasme. Pour beaucoup, cet enfant représentait un symbole d’espoir et de renouveau. Seuls Aleksandr, Tristan et Hiro demeuraient distants face à cet événement. Bientôt, la question du prénom anima les discussions, offrant une parenthèse légère au milieu des préoccupations de la mission. Même Jane, habituellement concentrée sur chaque détail, s’autorisa un rare moment de tendresse envers son descendant. La venue d’Illyria, la mère de Lucas, ajouta une touche de chaleur familiale éphémère mais précieuse.
Accompagné de Tobias, Lucas décida malgré tout de rendre visite à son amie avant leur départ en mission. Tobias, habituellement vif et fougueux, et libre de vivre sa relation avec Lucas sans utiliser la télépathie, semblait étrangement préoccupé. Peut-être était-ce l’ampleur de la mission qui pesait sur lui… ou bien autre chose qu'il refusait de révéler. Malgré son inquiétude, il s’efforça de dissimuler ses émotions devant Hannah et ses amis.
Profitant de ces derniers instants de quiétude avant une mission qui l’éloignerait de HOPE pendant plusieurs semaines, Lucas engagea une conversation avec Hannah. Son visage exprimait une mélancolie palpable, et ses yeux trahissaient des émotions qu’il peinait à verbaliser.
-
Qu’y-a-t-il, Lucas ? Tu sembles triste tout à coup, remarqua Hannah avec douceur.
-
Non, je suis très heureux de savoir que vous allez bien, toutes les deux.
-
Lucas…
-
Hannah, il va falloir que je parte pour la mission. J’ai l’impression de vous abandonner. J’aimerais tellement rester, confessa-t-il, la voix chargée d’émotion.
La jeune femme sentit son sourire vaciller. Elle savait que ce moment viendrait, mais y être confrontée rendait les choses plus difficiles. Fatiguée, elle tenta malgré tout de lui sourire, comme elle l’avait fait depuis leur première rencontre, dans cet hôtel de Seattle.
-
Je le sais. Moi aussi, j’aimerais que tout soit différent. Mais c’est plutôt à moi de m’excuser, Lucas, pour tout ce que je t’ai fait subir.
-
Ne recommence pas avec ça, s’il te plaît. Il nous faut penser à l’avenir, à notre enfant. Faire en sorte que notre fille vive dans un monde où nous n’aurons plus peur d’être ce que nous sommes vraiment. Je ne sais pas si nous y arriverons…
-
Vous le devez, Lucas, car je n’ose imaginer ce qui arrivera si la BMRA gagne. Qui l’arrêtera, si ce n’est vous ?
Sa voix se brisa, laissant transparaître sa douleur et sa peine.
-
D’un autre côté, continua-t-elle, je suis si malheureuse à l’idée de vous voir partir sans savoir si vous reviendrez sains et saufs. J’ai si peur.
Lucas lui prit délicatement la main, son regard empli de compassion.
-
Calme-toi, Hannah. Tout va bien se passer. Tu dois te reposer et garder courage, pour notre enfant.
-
Je vais essayer, murmura-t-elle en inspirant profondément.
Lucas effleura doucement son visage, écartant quelques mèches de cheveux avec tendresse.
-
De tout le monde ici, dit-il à voix basse, c’est toi qui mèneras la plus dure et la plus belle des batailles : donner la vie.
Hannah essuya les larmes qui glissaient le long de ses joues fatiguées.
-
Tu ne dois penser à rien d’autre qu’à te reposer… et à trouver un prénom pour la plus belle chose qui nous soit arrivée.
-
Alice.
-
Alice ? répéta Lucas, surpris.
-
Oui, je l’ai toujours su.
-
J’aime beaucoup, dit-il avec un sourire sincère.
Hannah le fixa avec une intensité nouvelle, déterminée.
-
S’il devait m’arriver quelque chose, commença-t-elle, je veux que tu l’appelles ainsi et que tu t’occupes d’elle, Lucas.
-
Arrête, je ne veux pas t’entendre dire ça, répliqua-t-il avec force.
-
Désolée, souffla-t-elle en baissant les yeux. Je ne sais pas pourquoi je ressens ça, mais… tu dois me promettre. S’il te plaît !
-
Notre fille s’appellera Alice, et je m’occuperai d’elle de toutes mes forces. Je te le promets.
-
Merci, Lucas.
Il posa une main délicate sur le ventre arrondi d’Hannah. Il voulait sentir cette vie qui grandissait, à l’abri des tracas et des horreurs du monde. Un mouvement imperceptible lui parvint soudain, un léger coup, indéniable, un signe de la présence de leur enfant.
-
Ta maman prendra bien soin de toi, murmura Lucas avec émotion. Et je reviendrai, Alice. Je vous le promets.
Alors que Lucas se rasseyait sur la chaise près du lit, Tobias entra avec précaution dans la pièce. Son visage fermé ne laissait transparaître aucune émotion, se contentant d’un léger signe de tête pour saluer les futurs parents. Un bref agacement l'effleura en voyant la main de Lucas posée sur le ventre d’Hannah, mais il choisit de garder ses sentiments pour lui. La jalousie n’apporterait rien de bon dans une situation déjà complexe, et Hannah n’avait pas besoin de ce poids supplémentaire.
Le bandeau sur le front de Tobias, conçu pour bloquer ses émotions, créait une bulle qui atténuait la tension ambiante. Les sentiments des autres lui parvenaient comme des murmures étouffés, loin du tumulte habituel qui l’envahissait.
-
Salut, Tobias ! lança Hannah avec un sourire forcé.
-
Coucou, répondit-il timidement.
Une silhouette familière apparut derrière lui.
-
Sidonie ! Tu es venue ! s'exclama Hannah avec surprise.
-
Oui, je suis là, répondit la jeune femme en s’avançant doucement.
Sidonie s’approcha du lit avec un regard empli de bienveillance. Elle fut frappée par le changement chez Hannah : ses traits, autrefois éclatants de vitalité, étaient fatigués, marqués par les épreuves de la grossesse. Ses cheveux avaient poussé, et ses yeux cernés témoignaient des nuits difficiles. Sidonie remarqua aussi la préoccupation évidente de Lucas et le silence inhabituel de Tobias, qui restait en retrait, fidèle aux consignes de Jane.
Un silence pesant s’installa, alourdissant l’atmosphère. Sidonie ressentit une étrange sensation, un malaise inexplicable qui fit trembler ses mains. Était-ce encore cette migraine qui la tourmentait depuis des jours ? Elle prit place près de son amie, tandis que Tobias restait debout, immobile, veillant en retrait.
-
Je suis vraiment heureuse de te revoir, Hannah, dit Sidonie pour briser le silence oppressant.
-
Je suis désolée d’avoir été si absente… Comment vas-tu ? répondit Hannah, la voix teintée de culpabilité.
-
Ça peut aller, toujours cette migraine qui me harcèle, répondit Sidonie en souriant légèrement. Mais ce n’est pas ta faute. Comment toi, tu te sens ?
-
Fatiguée… Mais notre future fille me donne une force incroyable, murmura Hannah en caressant son ventre avec tendresse.
Sidonie sentit un élan d'émotion, son sourire se faisant plus sincère.
-
C’est la chose la plus merveilleuse qui me soit arrivée depuis que je suis ici, avoua-t-elle en tentant de dissimuler la douleur qui palpitait à ses tempes.
-
Hannah a trouvé un très beau prénom pour elle, intervint Lucas avec un sourire complice. On l’appellera…
-
Lucas ! coupa brusquement Tobias.
Lucas le fixa soudainement, surpris par son ton sec.
-
Qu’est-ce qui ne va pas, Tobias ? demanda-t-il calmement.
-
Rien, pardon… Je suis désolé, répondit Tobias en baissant les yeux.
Un malaise palpable envahit la pièce. Lucas tenta de capter le regard de Tobias, mais ce dernier le fuyait, ses mèches brunes tombant devant ses yeux. Hannah, cherchant à alléger l’ambiance, reprit la parole, bien que sa voix trahisse une émotion contenue.
-
Ça me fait tellement plaisir que vous soyez venus… avant…
Sa phrase resta en suspens. Les larmes montèrent sans prévenir, brisant la digue qu’elle tentait de maintenir. Tobias détourna le regard, mal à l’aise face à ses pleurs, tandis que Lucas serrait les dents pour ne pas craquer. Sidonie, la gorge nouée, prit doucement la main de son amie pour la réconforter.
-
Nous reviendrons, Hannah, promit Sidonie d’une voix douce. Nous resterons en contact avec HOPE, Aleksandr et tous les autres. Ce n’est qu’une question de semaines. Je veillerai sur Lucas et Tobias pour toi.
-
Garde un œil sur eux, s’il te plaît, répondit Hannah avec un faible sourire. Ils sont capables de faire des bêtises…
Un léger rire échappa à Sidonie.
-
Oh, je n’en doute pas une seconde, plaisanta-t-elle en regardant les deux jeunes hommes.
Mais avant qu’elle ne puisse continuer, le pendentif en forme de sablier qu’elle portait vibra faiblement. La sensation étrange qu’elle avait ressentie s’intensifia. Sidonie chancela, et Tobias, attentif, réagit immédiatement en la soutenant.
-
Assieds-toi, lui murmura-t-il, la guidant vers une chaise près du lit.
Il jeta un regard inquiet vers Lucas, puis s’adressa à Hannah.
-
Nous devrions partir. Tu dois te reposer, insista-t-il doucement.
-
Non, je ne veux pas… s’il vous plaît, sanglota Hannah.
Lucas se pencha vers elle, lui prenant doucement la main.
-
Je te promets que nous reviendrons, murmura-t-il. Garde espoir, pour nous… pour elle.
Hannah hocha faiblement la tête, les larmes roulant sur ses joues. Lucas déposa un baiser sur son front, reculant lentement. Avant de quitter la pièce, il articula silencieusement : « Pour Alice ».
Sidonie, affaiblie, quitta la chambre, aidée par Tobias. Lydia l’attendait dans le couloir pour vérifier ses constantes. Peu à peu, Sidonie sentit sa migraine s’estomper, mais une sensation de vide persista.
-
On dirait un adieu, murmura-t-elle, des larmes silencieuses coulant sur ses joues.
Tobias, sombre et résolu, resta silencieusement aux côtés de Sidonie, veillant à ce qu'elle reprenne des forces. Lorsque Lucas les rejoignit dans le couloir, un silence lourd s'installa entre eux. Ils échangèrent un regard empreint de gravité, conscients que le moment de se séparer approchait à grands pas.
Sans un mot, tous trois s'étreignirent dans un geste instinctif pour rechercher du réconfort mutuel face à l'incertitude de ce qui les attendait. Tobias, bien qu’habitué à réprimer ses émotions, sentit un poids s’appesantir sur lui. Lorsqu'ils terminèrent leur étreinte, il retira rapidement son bandeau, faisant mine de remettre ses cheveux roux foncés mi-longs en ordre. Il ferma les yeux un instant et, d’un souffle télépathique, s’adressa à Sidonie : « Veille sur Lucas, je t’en prie. »
Sidonie tressaillit légèrement, surprise par cette intrusion dans son esprit. Mais elle sentit le stress de Tobias, et elle répondit intérieurement, avec une douceur teintée de détermination : « Je te le promets. »
Lucas, ignorant cet échange silencieux, posa une main ferme sur l’épaule de Tobias, lui transmettant un soutien muet.
-
Nous devons partir, murmura-t-il. Prends soin de toi, d'accord ?
Tobias acquiesça d’un léger signe de tête et donna un baiser à Lucas, un geste de tendresse éphémère afin d'atténuer cette tension persistante. Ils se murmuraient à quel point ils s'aimaient, le cœur lourd à l'idée de se séparer pour leur mission respective. Avant de partir, Tobias jeta un dernier regard envers Sidonie, comme pour s'assurer qu'elle avait bien compris l'importance de sa requête.

Jane

Catherine

Tobias

Tristan

Stanley
Année 2117 | 6 mai, 17 h 30 – Train express 485/788/484246 "Allure of Liberty" en direction d'Atlanta - Géorgie
La gare centrale de Los Angeles Union Station, située au cœur de Downtown, demeurait depuis 1939 un emblème de la ville et l’un des principaux nœuds ferroviaires de Californie. Désormais alimentée par une technologie de pointe fonctionnant à l’hydrogène, elle permettait aux voyageurs de relier les grandes métropoles américaines à une vitesse impressionnante.
Présenté comme un carburant plus propre et facilement réutilisable, l'hydrogène n'était pas exempt de critiques. Les associations de préservation de l’environnement n’avaient cessé d’alerter sur les risques de contamination des sols par les batteries usagées et sur leur recyclage, jugé impossible ou inefficace. Pourtant, les gouvernements successifs balayèrent ces inquiétudes, déployant des experts pour rassurer l’opinion publique. Selon ces derniers, les dommages environnementaux étaient "acceptables" et leurs effets sur la santé humaine "quasi inexistants".
Malgré ces déclarations officielles, les priorités demeuraient inchangées : profit et développement économique étaient les maîtres-mots, souvent au détriment de la santé des citoyens et de l’écosystème.
Au lendemain de la IIIe Guerre mondiale, la Fédération Unie lança un plan ambitieux pour moderniser son réseau ferroviaire. Dès 2070, des investissements massifs furent alloués à la mise à niveau des lignes principales, avec pour objectif de réduire la pollution atmosphérique en favorisant les transports en commun.
Cependant, ces efforts ne suffirent pas à désengorger les villes. La détérioration des routes, faute d’entretien, compliquait les déplacements urbains. Par ailleurs, les nouvelles lignes de train à grande vitesse favorisaient les liaisons entre grandes métropoles, laissant les zones rurales et les banlieues en marge.
En parallèle, le coût des billets de train augmenta drastiquement, limitant leur accessibilité pour les classes populaires. Quant aux variants, ils étaient systématiquement exclus de ces infrastructures modernes, renforçant leur marginalisation.
Pour redorer son image et satisfaire ses actionnaires, la BMRA dévoila un projet spectaculaire : un train à grande vitesse de luxe, alimenté par une batterie à hydrogène prétendument entièrement recyclable. Conçu en collaboration avec l'agence de recherche sur les mutations biologiques, ce train ciblait les élites fortunées de la Fédération Unie.
Réservé à quelques privilégiés, ce service offrait des prestations haut de gamme : restauration étoilée, champagne à volonté et facilités pour les transactions financières en faveur de donations. La BMRA espérait ainsi se positionner comme un acteur incontournable du "bien-être collectif", malgré des motivations purement lucratives.
En coulisses, la BMRA faisait face à une autre crise. Un virus mystérieux, élaboré secrètement comme arme bactériologique, commençait à se propager dans certaines régions, notamment aux alentours de Santa Clarita. Les infectés, sensibles à la chaleur et à la lumière, se transformaient en vecteurs nocturnes de cette maladie redoutable.
Pour endiguer la panique, les hôpitaux reçurent des consignes strictes : placer en quarantaine toute personne présentant des symptômes grippaux ou ayant été mordue dans les zones infectées. Pendant ce temps, le service de renseignement dirigé par Yasmine Lefer étouffait toute information compromettante.
Pour détourner l’attention, la BMRA accusa les variants d’être à l’origine de l’épidémie. Pourtant, Lydia découvrit que le virus touchait également les humains, bien que de manière plus lente. Toute tentative de contestation, qu’elle vienne des médias ou de figures politiques dissidentes, était brutalement réprimée par les troupes de William Downey, déployées dans les régions contestataires.
En première ligne face à la pression médiatique, Stanley Miller, porte-parole de la BMRA, s’efforçait de maintenir le discours officiel. Ses interventions, destinées à contrer les attaques des journalistes et à rassurer l’opinion publique, étaient calculées avec soin. Cependant, derrière les caméras, il trouvait un exutoire dans une vie personnelle tumultueuse.
Depuis plusieurs mois, Stanley entretenait une relation secrète avec Catherine O’Hara, une journaliste de la chaîne FedNews. Cette dernière, connue pour ses reportages aux allures de télé-réalité, l’accompagnait souvent dans ses déplacements officiels. Leur relation, bien que discrète, témoignait de la double vie menée par cet homme au cœur d’un système rongé par les secrets et la corruption.
Après leurs ébats passionnés et mouvementés, le couple était étendu sur le lit, leurs corps nus parsemés de gouttes de sueur. Exténué, Stanley peinait à retrouver son souffle, tandis qu'une aura de satisfaction flottait dans l'air de la chambre.
-
C’était formidable, murmura Catherine en déposant un baiser sur la poitrine de son amant.
-
Oui, génial, acquiesça-t-il avant de se redresser lentement. Je vais prendre une douche, ajouta-t-il en se levant, dévoilant sa silhouette sans gêne sous son regard insistant.
Catherine, un sourire espiègle aux lèvres, admirait les fesses de son amant avant de reprendre :
-
Au fait, lança-t-elle en s’étirant, tu dois me donner quelques renseignements pour mon émission sur le gala de la BMRA.
Stanley tourna légèrement la tête, un sourire moqueur étirant ses lèvres.
-
Ah, ton émission... À croire que tu ne penses qu’à ça, même quand on couche ensemble.
-
Évidemment ! répondit-elle, amusée, sans chercher à nier.
Il eut un léger rire, tendant les bras dans sa direction. Lorsqu'elle fut à son niveau, il ne pouvait s'empêcher d'admirer et de caresser la poitrine de la journaliste.
-
Et si on en discutait sous la douche ?
-
Pourquoi pas ? répondit-elle avec un éclat de défi dans les yeux.
Elle se leva d’un bond, rejoignant Stanley sans hésitation. Catherine savourait l'excitation de ce jeu dangereux où sexe et pouvoir se mêlaient. Le secret de leur relation ajoutait une tension délicieuse, un piment qu’ils partageaient avec une intensité presque égale.
Pour elle, cette liaison était une chance unique d'assouvir ses ambitions. Pour Stanley, en revanche, Catherine n'était qu'un pion stratégique. Christian lui avait donné des consignes précises : exploiter cette relation pour le compte de l’agence. La journaliste de FedNews, avec ses émissions de propagande subtilement déguisées en reportages, était un levier parfait pour renforcer l'influence et le discours officiel de la BMRA.
Dans cette danse subtile de manipulation et d’attrait mutuel, chacun pensait avoir le contrôle sur l'autre, ignorant à quel point leurs propres désirs les rendaient vulnérables.
***
La mission imaginée par Tristan et Jane exigeait une préparation minutieuse. Aleksandr avait piraté le téléphone personnel de Stanley Miller, porte-parole de la BMRA, pour récupérer des informations essentielles à cette opération de communication de grande envergure, destinée à attirer les donateurs fortunés et rassurer les actionnaires.
L'objectif semblait simple en apparence : infiltrer le train des privilégiés sans se faire repérer, capturer Stanley Miller, puis extraire de lui des informations susceptibles de révéler une faille permettant d'atteindre Christian. Le PDG de la BMRA se doutait déjà que Jane finirait par refaire surface. Préférant anticiper plutôt qu’agir dans la précipitation, il se préparait à l'accueillir avec méfiance et froideur.
L'ancien militaire Tristan était au volant du véhicule qui les conduisait à la gare. Jane occupait la banquette arrière avec Tobias, tandis que Tristan, fidèle à lui-même, restait concentré, silencieux et imperturbable. Formé pour se focaliser uniquement sur les objectifs, il ne laissait transparaître ni stress ni incertitude. L'humour semblait lui être étranger, et toute forme de familiarité lui échappait. Sa vision rigide du professionnalisme le conduisait à mépriser la présence des "gosses" — Tobias, Hannah, Lucas et Sidonie — qu'il considérait comme des amateurs sans envergure, loin d’avoir l’étoffe de véritables combattants.
Dans le véhicule, un silence pesant régnait, brisé soudain par Jane qui s’adressa à Tobias dans un suédois fluide, la langue maternelle du jeune homme. Cette langue scandinave, où le tutoiement était la norme depuis 1960, perdait peu à peu de son importance au fil du temps, remplacée de force par la Britannie pour l'anglais.
Tristan n'avait aucun moyen de suivre leur échange.
-
Tu stresses, Tobias. Arrête donc de te ronger les ongles, à moins que tu ne tiennes à te ruiner les dents, lança-t-elle d’un ton à la fois sévère et moqueur.
-
Oui, je stresse, avoua le jeune homme. La dernière fois qu’on est sortis de la maison, ça s’est mal terminé.
-
Aurais-tu pris goût au confort et à la sécurité que HOPE nous offre ? ironisa-t-elle. Certes, ce que nous avons vécu était éprouvant, et la perte de Walter tragique, mais les choses auraient pu être bien pires.
-
Oui, comme être dévorés par ces "choses" ou mourir dans l’explosion du site, répliqua Tobias avec amertume. Et là, j’ai l’impression que la survie du monde repose sur nos épaules.
-
Oh, serais-tu devenu mature tout à coup ? railla Jane, un sourire en coin.
-
C’est l’instinct de survie, répondit-il simplement.
Jane hocha doucement la tête.
-
Bien. La mort nous guette à chaque instant, Tobias. Elle s’acharne souvent sur les gens comme nous. Mais tu ne dois pas la craindre. Elle n’est que l’aboutissement inévitable de toute existence.
Le jeune homme hésita avant de poser la question qui le hantait :
-
Jane, tu n’as jamais pensé à arrêter ce combat ?
Un silence s’installa, puis Jane répondit d’une voix plus douce, presque introspective :
-
Qui ne vacille pas à un moment de sa vie ? J’ai souvent hésité, Tobias. J’ai vu naître, grandir et mourir tous mes proches et descendants depuis sept siècles. Et je les ai tous impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans cette lutte interminable. Alors dis-moi, voudrais-tu traverser seul les âges ? Crois-moi, la mort finirait par te sembler être une compagne douce et apaisante...
-
Non, je ne veux pas de ça, murmura-t-il.
Jane esquissa un sourire satisfait.
-
Je m’en doutais. Alors souviens-toi : ce n’est pas notre puissance qui nous définit, mais la force avec laquelle nous défendons nos vies et celles des autres. Ne perds jamais cela de vue, surtout à ton âge.
Tobias haussa les épaules avec une nonchalance feinte.
-
Mouais. Pour l’instant, je me contente d’obéir à tes ordres, mais je commence à saturer.
Le regard de Jane s’assombrit aussitôt. Tobias osa soutenir son regard un instant, mais une angoisse viscérale lui serra la poitrine. Il savait qu’il ne pouvait rivaliser avec sa puissance psychique, et leur première confrontation télépathique lui avait laissé un souvenir amer.
-
Du calme, lâcha Jane, énigmatique. Tout sera bientôt terminé. Et personne, hormis peut-être Sidonie, ne peut savoir ce que l’avenir nous réserve. Garde un œil sur elle, ainsi que sur les autres.
Le jeune homme détourna les yeux, plongé dans ses pensées.
-
Tobias, reprit-elle avec un ton plus conciliant, tu as une nouvelle chance de prouver ta valeur. Ne me déçois pas. Lucas est également en jeu. Souviens-toi de ce que je t’ai dit. Je compte sur toi.
Le Suédois hocha la tête presque imperceptiblement. L’absence de Lucas à ses côtés rendait cette mission encore plus pesante.
Jane se redressa, son ton redevenant autoritaire :
-
Tristan, reprit-elle en anglais, lancez un appel sécurisé à l’équipe B et au QG.
-
À vos ordres, répondit l’ancien militaire sans détourner les yeux de la route.
Tobias appuya son front contre la vitre du véhicule, laissant son esprit s’égarer dans des pensées tourmentées. Le stress l’écrasait, chaque possibilité, chaque risque tournant en boucle dans son esprit. Il ne prêtait plus attention à la mission, ni au monde extérieur en proie à l’angoisse et au chaos.
Pendant ce temps, la communication avec l’équipe B fut lancée. Leur rôle consistait à rejoindre Atlanta par leurs propres moyens et à y établir un quartier général sécurisé. Aleksandr et HOPE, comme à leur habitude, géraient le soutien technique à distance.
-
Équipe B, quelle est la situation ? demanda Jane d’une voix ferme.
-
Tout est en ordre, madame. Nous approchons de notre destination, répondit Hiro à travers le haut-parleur.
-
Excellent. Continuez comme convenu. Nous restons en contact. QG, êtes-vous prêts ?
-
Affirmatif, tout est sous contrôle, répondirent Aleksandr et HOPE à l’unisson.
-
Très bien, terminé.
Tobias soupira discrètement. La voix rassurante de Lucas et Sidonie lui manquait cruellement. Leur absence ne faisait qu’accentuer son stress à mesure qu’ils se rapprochaient de la gare centrale de Los Angeles.
Le bâtiment grouillait d’une armée d’agents et de miliciens de la BMRA, inspectant minutieusement chaque voyageur. De gigantesques tableaux holographiques projetaient des horaires de train et des publicités éclatantes, tandis que des hologrammes animés flottaient au-dessus de la foule. Les portiques à l’entrée scannaient en continu les ADN des passagers et validaient leurs billets numériques, supprimant tout besoin d’interaction humaine. Robots et automates guidaient les voyageurs perdus, géraient les files d’attente ou surveillaient les transactions dans les innombrables boutiques et espaces de restauration. Cette gare automatisée était une véritable vitrine de modernité, mais derrière cette façade se cachait un système implacable conçu pour contrôler les flux humains, particulièrement en cette période de renforcement sécuritaire.
L’équipe de Jane évita l’entrée principale, optant pour une infiltration plus discrète afin d’éviter une confrontation directe avec les forces armées ou les agents de la BMRA qui patrouillaient aussi dans le train.
Tristan avait réussi à se procurer des uniformes d’agents d’entretien, accompagnés de badges d’accès contrefaits par Aleksandr et HOPE. Il avait également neutralisé les caméras de sécurité à l’entrée de service, exploitant les repérages minutieux qu’il avait réalisés sous couverture les jours précédents.
-
Ne regardez personne. Ignorez les autres employés et les robots, murmura Tristan en ajustant son uniforme. Les conversations sont enregistrées, et je n’ai aucun contrôle sur ces capteurs.
-
Laisse-nous gérer, répliqua Jane avec assurance.
HOPE et Aleksandr prirent le relais, désactivant à distance les capteurs sonores et piratant le système de surveillance en temps réel. Avec cette assistance, l’équipe put progresser sans encombre dans les premières étapes de la mission.
Jane jetait de fréquents coups d’œil à Tobias, sachant que son stress risquait de compromettre leur couverture. Sa présence était pourtant essentielle : en tant que télépathe, il pouvait capter des informations cruciales ou anticiper une menace imprévue. Cependant, ses dons le rendaient vulnérable aux émotions environnantes, un défi que seule une boucle d’oreille équipée d’une nanopuce inhibitrice permettait de gérer.
Ils atteignirent enfin une large coursive réservée au personnel, où les employés semblaient absorbés par leurs tâches. Le groupe se dirigea vers les portes automatiques menant aux quais des trains, conscient que ce passage représentait le moment le plus risqué de leur infiltration. À tout moment, un agent pouvait décider de vérifier leurs accréditations et leur identité.
Le train qu’ils devaient infiltrer, baptisé Allure of Liberty, était un colosse d’ingénierie moderne. Avec ses six kilomètres de long et ses 420 wagons, il s’agissait du train le plus luxueux et le plus imposant jamais conçu. Un billet en troisième classe coûtait déjà 100 000 FedCoins, tandis que les classes supérieures, réservées à l’élite, atteignaient des sommes astronomiques. Partant de Philadelphie, le train longeait les grandes villes du nord des États-Unis avant de descendre vers Dallas et Atlanta, terminus de son voyage et siège de la BMRA.
Des navettes automatisées transportaient les passagers directement à leurs wagons, renforçant le sentiment d’exclusivité. À cette heure, la gare était en effervescence, son activité amplifiée par la sécurité accrue et l’arrivée imminente de personnalités influentes.
Jane, Tristan et Tobias s’approchèrent du quai, chacun jouant son rôle à la perfection. Leurs uniformes leur permettaient de se fondre parmi les autres agents, mais tous savaient qu’un seul faux pas suffirait à ruiner la mission.
Jane leur fit un signe discret pour qu’ils s’arrêtent. Elle se tourna vers Tobias et murmura :
-
Utilise ta télépathie pour communiquer. Pas de risques inutiles.
Ils se fixèrent en silence, immobiles comme des statues de cire.
-
On fait quoi ? demanda Tobias, tendu, à la comtesse.
-
Dis-lui de vous retrouver aux toilettes pour qu'on se refasse une beauté, répliqua-t-elle, un sourire ironique aux lèvres.
Tobias transmit le message à Tristan avant de réactiver sa puce inhibitrice. Monter dans le train, déguisés en agents d’entretien, était trop risqué : ils auraient été rapidement repérés par le service d’ordre ou les passagers. Heureusement, Aleksandr avait sécurisé des billets dématérialisés pour eux.
Jane s’éclipsa vers les toilettes réservées aux femmes tandis que Tobias et Tristan prirent la direction de celles des hommes. Une fois dans leur cabine, ils verrouillèrent la porte et se changèrent rapidement. Tristan ressortit en premier, habillé d’un costume de soirée destiné au futur gala de bienfaisance organisé par l’agence. L’ancien militaire, peu habitué à ce genre de tenue, grogna en tirant sur les manches ajustées.
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Magne-toi le cul, gamin ! lança-t-il d’un ton agacé à travers la porte. On n’a pas toute la nuit.
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Ça va, j’arrive, merde ! pesta Tobias en sueur.
Le jeune homme acheva d’enfiler une chemise légèrement froissée, une cravate mal ajustée, et une veste qui semblait taillée pour quelqu’un de plus grand. Il se planta devant le miroir, tentant de discipliner ses mèches rebelles tout en se murmurant mentalement qu’il n’avait pas peur. Mais le poids de la mission pesait lourd sur ses épaules. Derrière le reflet de ses yeux cernés se cachait une lueur d’espoir : celle d’un avenir où les variants ne seraient plus des parias.
De l’autre côté de la porte, Tristan, adossé au mur, les bras croisés, dissimulait un couteau dans sa manche. Ils reçurent un message d'Aleksandr dans l'oreillette :
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Restez sur vos gardes, ils sont nombreux et bien armés.
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Je sais, répondit-il calmement. J’ai compté une trentaine de gardes dans la gare, la moitié aux abords du train, et probablement le triple dehors. Sans compter ceux planqués en civil. Heureusement, la foule va les occuper un moment. Une fois à bord, on se sépare. Le morveux ira avec elle.
Tobias sortit enfin des toilettes, visiblement irrité par l’attitude de Tristan. L’animosité entre eux persistait depuis que Lucas avait publiquement menacé l’ancien militaire. Mais Tobias se força à ravaler ses commentaires, conscient qu’une confrontation ne ferait que compliquer les choses.
Tous deux avaient coiffé leurs cheveux en arrière et portaient des lunettes holographiques teintées. Ces accessoires n’étaient pas qu’esthétiques : ils contenaient une technologie capable de falsifier leurs rétines, usurpant l’identité de citoyens ordinaires, non recherchés par la BMRA.
Ils retrouvèrent Jane dans le couloir. La comtesse les attendait avec élégance, un éventail à la main. Fidèle à son goût pour les apparitions théâtrales, elle portait une robe noire scintillante, rehaussée d’une veste rouge et d’un boa blanc drapé autour de ses épaules. Tobias se demanda brièvement ce qu’elle dissimulait dans son petit sac, mais préféra garder ses questions pour lui.
Le groupe se divisa alors en deux, chacun se frayant un chemin à travers la marée humaine qui s’était amassée autour du train. Tobias, lui, luttait contre son stress croissant. La foule dense, bruyante et en perpétuel mouvement l’oppressait. Il sentait déjà la sueur perler sur son front et s’essuya discrètement avec la manche de sa veste.
Leur nouvelle identité faisait d’eux une mère et son fils : Jane se faisait passer pour Stacey Williams, tandis que Tobias endossait le rôle de James. Tous deux ressemblaient suffisamment à leurs cibles pour tromper les contrôles. Ces derniers avaient été neutralisés plusieurs jours auparavant par Tristan, qui leur avait administré une dose de somnifère avant de les abandonner dans un hôtel anonyme.
Ils approchaient maintenant de l’une des entrées principales du train. Autour d’eux, des passagers disaient au revoir à leurs proches ou s’alignaient pour monter à bord. Jane et Tobias s’arrêtèrent face à un robot-contrôleur, qui leur demanda poliment leurs billets.
Jane tendit son poignet, affichant un calme olympien, bien que l’attente lui parût interminable. Tobias, quant à lui, se tenait légèrement en retrait, faisant de son mieux pour feindre l’indifférence.
« Veuillez prendre place, le train partira dans dix minutes. Bon voyage à bord de l’Allure of Liberty », annonça le robot après vérification.
Tobias poussa un soupir de soulagement en entrant dans le wagon, suivi de près par Jane. Ils traversèrent le couloir étroit pour rejoindre leurs places en première classe. L’intérieur du compartiment reflétait une esthétique austère et ultramoderne, où le confort indéniable peinait à masquer l’absence de chaleur humaine.
De rares plantes soigneusement disposées tentaient d’insuffler une touche de vie, mais leur présence était éclipsée par les hologrammes diffusant en boucle des publicités de la compagnie ferroviaire. Les images projetées, impeccablement intégrées dans le décor, rappelaient l’omniprésence de la technologie jusque dans les moindres détails.
Cependant, derrière cette façade lisse et fonctionnelle, un dispositif plus insidieux opérait. Discrètement dissimulées, des caméras et des capteurs audios surveillaient chaque voyageur, épiant leurs moindres gestes et capturant leurs conversations. Cette surveillance, pratiquée dans le plus grand secret, transformait l’ambiance feutrée du wagon en une prison invisible, où la vigilance était la seule échappatoire.
Ils s’installèrent dans un wagon-restaurant, scrutant les passagers fortunés qui discutaient dans un brouhaha incessant. Tobias observait Jane. La comtesse, toujours imperturbable, dégageait un charisme naturel et une force d’âme qui forçaient l’admiration. Avec elle à ses côtés, il parvenait peu à peu à calmer ses nerfs. Seul, il n’aurait jamais pu supporter l’idée d’être repéré, arrêté, et livré à la BMRA.
Pendant une petite heure, ils restèrent dans le wagon, mangeant rapidement tout en analysant la situation. Le train filait déjà à pleine vitesse à travers les paysages californiens. À travers les fenêtres, la campagne défilait si vite qu’elle en devenait floue. Des écrans holographiques, diffusant des images générées par ordinateur, offraient une version idéalisée du trajet. Mais peu de passagers leur prêtaient attention, absorbés par leurs conversations ou leurs appareils personnels.
Aucune nouvelle de Tristan, parti de son côté. Leur communication étant coupée, ils ne pouvaient qu’espérer que tout se déroulait comme prévu. Jane fit signe à Tobias de la suivre jusqu’au wagon personnel qu’Aleksandr et HOPE avaient soigneusement sélectionné. Celui-ci se trouvait à quelques mètres du wagon numéro quatre, protégé par une porte sécurisée et abritant leur cible : Stanley Miller.
Avant d’aller plus loin, Jane toucha légèrement l’oreille de Tobias, désactivant sa puce anti-télépathie
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À toi de jouer, murmura-t-elle.
Tobias devait sonder les esprits des deux gardes postés devant la porte. Il se concentra intensément, mais quelque chose n’allait pas. Rien ne se produisit. Jane s’approcha alors de lui, inclinant légèrement la tête comme une mère murmurant une confidence à son fils. Cette posture avait aussi l’avantage d’empêcher les caméras de capter le mouvement de leurs lèvres.
-
Concentre-toi sur moi, uniquement sur moi, souffla-t-elle.
Tobias plongea son regard dans celui de Jane et, en un instant, se retrouva projeté dans sa psyché. La comtesse avait façonné un espace mental vaste et lumineux pour qu’il se sente à l’aise. Ici, ils pouvaient discuter sans crainte d’être entendus ou détectés.
Alors qu’il explorait cet espace éthéré, Tobias distingua une silhouette qui se matérialisait dans un coin de la pièce. Son souffle se coupa : c’était Christian. Mais l’apparition disparut presque aussitôt, comme un mirage dissipé par le vent.
-
Tu l’as vu ? demanda Jane.
-
Que fait-il ici ? répliqua Tobias, encore sous le choc.
-
Christian hante mon esprit, comme je hante le sien. N’y prête pas attention. Mais écoute-moi bien : ne tente jamais de sonder son esprit. Jamais. Sinon, tu es perdu. Et surtout, ne le regarde jamais dans les yeux.
-
D’accord…
-
Maintenant, dis-moi. Que perçois-tu chez ces agents ?
Tobias détourna son attention vers les gardes.
-
C’est étrange… j’ai l’impression qu’ils utilisent un système anti-télépathique. Impossible de pénétrer leur esprit ou de les manipuler.
-
La BMRA forme ses agents à résister aux intrusions mentales. Ce n’est pas surprenant, répondit Jane. Dans ce cas, je vais devoir improviser. Reste près de moi et attends mon signal pour intervenir.
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Tu es sûre ? fit-il, hésitant.
-
Absolument. Prépare-toi.
La connexion mentale se rompit brusquement, ramenant Tobias à la réalité. Il inspira profondément pour chasser l’impression persistante de vertige et suivit Jane, qui avançait déjà vers les deux agents.
Les gardes stationnés devant la porte sécurisée semblaient concentrés, mais Tobias ne pouvait pas s’empêcher de sentir la tension monter. La migraine commençait à s’installer dans son crâne, conséquence inévitable de son effort télépathique. Malgré son entraînement, il savait que cet état ne ferait qu’empirer au fil de la mission. Pourtant, il n’avait pas d’autre choix que de tenir bon.
Les deux hommes portaient des costumes sombres élégants, mais sous leur apparence soignée, Tobias perçut une menace froide et calculée. Chacun dissimulait une arme létale sous sa veste, et leur posture imposait l’idée qu’un affrontement physique ne ferait qu’aggraver la situation. Jane savait qu’utiliser son don ici serait trop risqué : trop de regards, trop de témoins susceptibles d’alerter la sécurité. Elle opta pour une approche subtile et s’avança vers eux avec une expression faussement gênée.
-
Vous ne pouvez pas passer ici, déclara l’un des gardes d’un ton glacial.
-
Excusez-moi, messieurs, dit Jane d’une voix contrite. Mon fils ne se sent pas très bien. Je pensais que les toilettes se trouvaient derrière cette porte…
-
Non, cette zone est strictement interdite au public, répondit le second garde.
Jane fit un pas de plus, puis trébucha soudainement. L’un des gardes tendit le bras pour la rattraper in extremis.
-
Oh, veuillez m’excuser, je suis tellement maladroite, dit-elle en se redressant.
-
Ce n’est rien, répondit l’agent avec une politesse distante. Les toilettes sont dans le wagon opposé, madame.
-
Merci infiniment ! Viens, mon fils, n'importunons plus ces messieurs.
Elle fit un signe discret à Tobias, qui lui emboîta le pas, et ils quittèrent la zone. Ils traversèrent les couloirs jusqu’aux toilettes somptueuses de leur wagon, où Jane frappa trois fois à la porte. Tristan l’ouvrit immédiatement et les fit entrer avant de refermer précipitamment derrière eux.
Tobias et Jane découvrirent deux corps allongés sur le sol. Leur immobilité était troublante.
-
Des gêneurs ? demanda Jane, son ton dépourvu d’émotion.
-
Oui, et je les ai descendus, répondit Tristan sèchement. Ils m'ont suivi, probablement parce que ma gueule ne leur revenait pas.
-
Ce sont des agents de la BMRA qui se font passer pour des invités. Soyez vigilants et parlez seulement si c’est absolument nécessaire, reprit Jane avec fermeté. J’espère que personne ne vous a entendu ou suivi.
-
Non, j’ai verrouillé la porte grâce aux infos du Russe, et je leur ai brisé le cou. Simple et propre, déclara Tristan d’un ton glacial.
Jane observa un instant son compagnon. Aucune émotion n’était perceptible sur son visage, si ce n’était une froide détermination. Un cocard à l’œil gauche témoignait néanmoins de l’intensité de l’altercation.
-
La voie est libre ? demanda-t-il enfin.
-
Les agents de la BMRA sont protégés contre les intrusions télépathiques, expliqua Jane.
-
Bordel. Alors, laissez-moi faire ! Ce gamin est inutile avec ses "pouvoirs de merde" ! pesta Tristan en sortant un couteau.
-
Tu sais ce qu’il te dit, le gamin ?! s’indigna Tobias.
-
Silence ! coupa Jane, d’un ton tranchant. Soldat, ayez au moins la décence de masquer vos méfaits. Nous sommes en territoire ennemi.
Tristan grogna en guise de réponse et commença à déplacer les corps avec une force impressionnante.
-
Prenez leurs vêtements et leurs équipements, ordonna Jane. Vous nous couvrez jusqu’à ce qu’on atteigne le wagon numéro quatre. Une fois à l’intérieur, nous devrons agir vite. Je ne suis pas encore certaine de ce que nous y trouverons.
-
Et ces deux-là ? demanda Tobias en désignant les corps.
Jane esquissa un sourire glacial.
-
J’ai désactivé le système anti-télépathie de l’homme sur lequel j’ai trébuché. Tu sais ce qu’il te reste à faire, Tobias. Exécution.
Tobias acquiesça, bien qu’un nœud se forma dans son estomac. Tristan, quant à lui, se débarrassa des cadavres en les faisant glisser dans une trappe de maintenance. Tobias détourna le regard, mais l’expression de mort sur les visages des deux agents le hanterait. Il sentit un haut-le-cœur irrépressible et vomit dans un lavabo sous le regard amusé de Tristan.
-
Tu tiens à peine debout, railla l’ex-soldat. Tu ferais mieux de rester à l’arrière.
Une voix métallique retentit soudain dans la radio d’un des agents.
-
« À toutes les unités, dirigez-vous vers le wagon numéro cinq. Deux agents ne répondent plus. Terminé. »
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Négatif, intervint Tristan d’une voix modifiée.
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« Échec de la reconnaissance vocale. Identité et matricule requis. »
-
Ahem, grogna Tristan, feignant un rhume. Agent Diego Landoro, numéro XIE09D2E. Mon coéquipier, l’agent Fieldram, est aux chiottes. Vous voulez vraiment que je vous dise ce qu’il fait ?
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« Négatif. Ordre annulé. Prochain rapport dans quinze minutes. Restez sur vos gardes. Nous suspectons la présence de variants terroristes dans le train. Priorité : sécurité du porte-parole. Terminé. »
Tristan coupa la communication et lança un regard appuyé à ses compagnons.
-
On bouge, ordonna-t-il.
-
Vous pensez qu’ils nous ont repérés ? demanda Jane, ses traits marqués par la tension.
-
Pas encore. Mais je ne vais pas leur faire la conversation longtemps. Quinze minutes, pas plus, pour atteindre notre cible.
Jane hocha la tête.
-
Restez ici, ordonna-t-elle à Tristan, avant de se tourner vers Tobias. À toi de jouer, mon garçon.
Le jeune homme s’assit, le dos raide et les muscles tendus, avant de plonger dans l’esprit du garde. Ce dernier, loin de se laisser faire, opposa une résistance farouche. Une lutte intense s’engagea au sein d’une stase psychique où le garde, d’une férocité implacable, se précipita sur Tobias.
Le télépathe mobilisa toutes ses forces mentales, usant de persuasion et de stratégie pour repousser les assauts incessants. La confrontation était épuisante, chaque échange drainant davantage son énergie. Tobias transpirait abondamment, des gouttes coulant le long de son visage contracté. Son corps, secoué de tremblements, peinait à suivre l’effort démesuré imposé par ce duel invisible.
Chaque seconde semblait s’étirer en une éternité oppressante, mais il tint bon. Son esprit, vacillant mais déterminé, triompha finalement. Dans un dernier éclat de volonté, Tobias brisa les défenses de son adversaire, et l’agent céda, laissant le contrôle au jeune télépathe.
Il obligea l’homme à saisir son arme munie d’un silencieux, dissimulée dans sa veste, et à la pointer sur son collègue. L’autre agent, pris au dépourvu, n’eut même pas le temps de réagir avant que la détonation ne résonne faiblement. Le corps s’effondra lourdement au sol, sans vie.
Le jeune télépathe maintenait son contrôle mental sur l’agent survivant, luttant contre la peur et la panique qui envahissaient l’esprit de l’homme. Tobias donna alors un nouvel ordre : diriger l’arme contre sa propre tempe.
Jane observa la scène avec une froide concentration, mais au fond d’elle, elle pouvait sentir les vagues de terreur qui émanaient de l’esprit de l’agent. Ses suppliques résonnaient dans la psyché de Tobias :
-
Pitié, j’ai une famille.
Des images jaillirent brusquement dans l’esprit de Tobias, envahissant son champ mental avec une intensité troublante. Une femme et deux enfants lui apparurent d’abord, leurs sourires chaleureux et innocents contrastant avec la dureté de la lutte psychique qu’il menait. La scène semblait baigner dans une douceur presque idyllique.
Mais, à mesure qu’il explorait les replis de l’esprit de l’agent, une autre vision, bien plus sombre, se superposa à la première. Le vernis de cette vie parfaite se craquela, révélant une vérité glaçante. Derrière les apparences se cachait un secret inavouable. Cet homme, perçu comme un protecteur, s’avérait être un bourreau domestique. Sous l’emprise de l’alcool, il brisait non seulement les corps, mais aussi les âmes de ceux qu’il était censé aimer et protéger.
Les éclats de colère, les cris étouffés, les regards effrayés des enfants et la résignation silencieuse de la femme frappèrent Tobias comme un coup de poignard. Ces souvenirs, bien que volés, portaient en eux des cicatrices invisibles, bien plus profondes que celles laissées sur la chair. Un frisson le traversa tandis qu’il se confrontait à cette part d’ombre, se demandant s’il devait en faire abstraction ou s’en servir contre l’homme.
Tobias sentit son estomac se nouer. Son souffle se fit court, et des larmes silencieuses coulèrent sur ses joues. Mais il n’avait pas d’autre choix. La mission passait avant tout.
-
Je suis désolé, murmura-t-il intérieurement, même si l’agent ne pouvait pas l’entendre.
Un dernier ordre traversa l’esprit brisé de l’homme. La détonation fut sourde mais brutale. Tobias, les yeux fermés, s’effondra au sol en même temps que l’agent.
Le sang éclaboussa la vitre blindée, traçant un motif sinistre qui témoignait du chaos silencieux qui venait de se jouer. Le corps de l’agent glissa mollement sur le côté, inerte. Jane se précipita vers Tobias, son expression mêlant inquiétude et détermination.
-
Tiens bon, murmura-t-elle.
Elle activa rapidement le système anti-télépathie du jeune homme pour lui couper toute connexion avec les résidus mentaux de l’agent. La souffrance de Tobias était palpable : il haletait, tremblait, et son visage était ravagé par une douleur psychique presque insupportable. Sa tête allait exploser d'une douleur mortelle.
Pendant ce temps, Tristan agissait avec une efficacité implacable. Sans dire un mot, il souleva les corps et les traîna jusqu’à une trappe de maintenance qu’il ouvrit d’un coup sec. Il fit disparaître les cadavres sans un regard en arrière.
-
Nettoyez les traces de sang, ordonna Jane d’une voix sèche, son regard rivé sur Tobias.
Tristan acquiesça et sortit un kit d’urgence de sa poche pour effacer les preuves. Aleksandr, via HOPE, verrouilla la porte opposée à distance, offrant à l’équipe un court répit.
Jane posa une main rassurante sur l’épaule de Tobias, qui tentait de reprendre son souffle.
-
Tu as fait ce qu’il fallait, murmura-t-elle.
Mais au fond d’elle, elle savait que les cicatrices de cet acte resteraient gravées dans l’âme du jeune homme.
Tristan, après avoir terminé son travail, se redressa et s'approcha.
-
On bouge, lança-t-il d’un ton sec. Plus on reste ici, plus on risque de se faire coincer.
Jane hocha la tête.
-
Prenez une minute, Tobias, et reprenez-vous. Nous avons encore beaucoup à faire.
Le jeune homme inspira profondément, essayant de refouler l’amertume et la douleur, et se redressa lentement. La mission n’était pas terminée, et chaque seconde comptait.
***
Stanley et Catherine étaient enveloppés dans une atmosphère de passion, leurs corps à peine couverts par des serviettes blanches. L'odeur envoûtante des bougies parfumées emplissait la pièce, ajoutant à l'érotisme de l'instant. Alors qu'ils s'embrassaient avec fougue, leurs cheveux encore humides tombant en cascade autour d'eux, des coups inattendus retentirent à la porte.
Stanley fut interrompu dans son élan, surpris par cette intrusion soudaine. Qui cela pouvait-il bien être ? Il avait spécifiquement demandé à ne pas être dérangé jusqu'à la soirée de charité. Catherine, retirant lentement sa serviette au niveau de sa poitrine, partageait le sentiment d'intrigue de Stanley.
Déterminé à éloigner les importuns et à satisfaire sa maîtresse, Stanley se dirigea vers la porte avec une impatience contenue, ses yeux fixés sur Catherine, désirant ardemment cette femme insatiable qui jouait avec ses désirs.
-
Qui… ouh… qui est là ? demanda-t-il d’une voix balbutiante.
-
On a un problème, monsieur, votre sécurité est compromise, répondit une voix masculine grave.
-
Je vais me rhabiller, lança Catherine, qui se leva précipitamment.
Stanley leva un doigt pour signifier à Catherine de rester où elle était, pendant qu'elle se hâtait de replacer sa serviette autour de sa poitrine. Il prévoyait de régler rapidement ce qui semblait être une intrusion imprévue. D'un geste, il déverrouilla la porte, qui glissa sur le côté, révélant un homme à la stature imposante et au visage anguleux. Stanley recula instinctivement en voyant que l'inconnu était accompagné de plusieurs individus qui ne semblaient pas être des agents de sécurité. Trop tard.
-
Mais qu’est-ce que… ?
Le poing de Tristan s'abattit violemment sur la joue du porte-parole de la BMRA, le projetant au sol avec une violence brutale. La douleur se dessina sur son visage alors qu'il chutait lourdement, son nez saignant abondamment sur ses lèvres et son torse viril. La menace de l'arme pointée sur sa tête l'empêchait de crier ou de se défendre, le laissant vulnérable face à ses agresseurs.
Catherine, prise de panique face à l'intrusion et à la violence subie par son amant, tenta de s'échapper en courant vers la salle de bain pour alerter la sécurité. Cependant, elle fut arrêtée dans sa course par Jane, qui la maintenait sous la menace de son arme. Tremblante de terreur, Catherine se retrouva immobile, incapable de trouver une issue à cette situation cauchemardesque. Pendant ce temps, l'ancien militaire, imperturbable, fit signe à Catherine de lui remettre son téléphone, qu'il écrasa d'un coup de pied déterminé. Ensemble, ils rejoignirent la pièce principale où se trouvait Stanley, hurlant de douleur après chaque nouveau coup porté sur son visage. Jane observa la scène avec un calme glacial, son visage impassible contrastant avec la violence qui régnait dans la pièce.
Stanley, gisant au sol, tentait de se protéger du mieux qu'il le pouvait sous les nouveaux assauts de Tristan, qui le frappait de plusieurs coups de pied violents dans le ventre. Sa rage contre la BMRA se libérait à travers chacun de ses gestes, ses yeux tatoués déversant toute la haine accumulée contre ceux qui avaient causé la mort de sa famille. Malgré son désir ardent de faire souffrir le porte-parole de la BMRA, Tristan se rappela du plan soigneusement élaboré par Jane, et il savait qu'il devait s'y conformer.
-
Argh, arrêtez ! cria-t-il en tentant de se protéger.
-
Ferme ta gueule, enculé ! invectiva Tristan, qui releva Stanley sans aucun ménagement. Il le jeta sur le lit aux côtés de Catherine, pétrifiée. Elle se pencha vers lui.
-
Il suffit, Finn, ordonna Jane.
L’ancien militaire grogna quelques secondes et pointa son arme vers le porte-parole de la BMRA ainsi que la journaliste.
-
Qui êtes-vous ? Pourquoi vous faites ça ?! osa Catherine, nue et apeurée.
-
Je n’ai pas le temps pour des présentations en règle, répondit la comtesse. Je compte bien obtenir des réponses à mes questions, et j’y arriverai d’une façon ou d’une autre.
Tobias croisa brièvement le regard de Catherine, et une étincelle d’incertitude s’alluma dans ses yeux. Elle semblait chercher à se souvenir, à faire le lien entre son visage et une mémoire enfouie. Une partie d’elle était convaincue de l’avoir déjà vu quelque part, mais l’autre hésitait, incapable de cerner ce qui clochait. Peut-être était-ce l’intensité de son regard, ou l’aura d’une vérité tue qui semblait émaner de lui.
Mal à l’aise, Tobias baissa rapidement les yeux vers le sol. Il savait que sa véritable identité n’avait aucune importance dans l’immédiat. Ce n’était ni le lieu ni le moment de laisser ses pensées s’embourber dans des soupçons inutiles. Pourtant, il ne pouvait ignorer ce qu’il ressentait.
L’angoisse sourde et l’incompréhension du couple face d'otages lui parvenaient comme une vague écrasante, mêlées à une douleur si profonde qu’elle semblait imprégner l’air autour d’eux. Il pouvait presque toucher ces émotions tant elles étaient puissantes, comme un écho psychique qu’il ne pouvait étouffer.
Bien qu’il ait suivi des entraînements rigoureux avec HOPE et à NickroN pour apprendre à maîtriser son empathie, ce genre de confrontation le laissait encore vulnérable. Rien ne l’avait préparé à affronter une telle intensité émotionnelle, brute et chaotique. Tobias serra les poings discrètement, cherchant à contenir ce flot d’émotions étrangères qui menaçaient de l’engloutir.
Il releva légèrement la tête, croisant à nouveau le regard de Catherine, cette fois avec une détermination feinte. Il devait garder son calme, masquer ses propres doutes et incertitudes. Tout en lui criait de se concentrer, de ne pas laisser ces sentiments envahir son esprit. Mais au fond, il savait que chaque décision, chaque pensée, était teintée de cette empathie qu’il avait tant de mal à maîtriser.
De son côté, Stanley dévisagea la femme brune d'âge mûr, qu’il identifia comme la cheffe des assaillants. Il savait qu'ils n’étaient pas là pour plaisanter ; jamais auparavant il n'avait subi une telle menace. En observant la femme, il se souvint des récits de Christian, le PDG de la BMRA, qui mentionnait cette mystérieuse terroriste ces dernières semaines. Elle se tenait là, impassible, déterminée à obtenir ce qu'elle voulait. Son regard perçant et son visage charismatique inspiraient le respect autant que l’appréhension. Sa voix grave, dénuée de tremblement, renforçait l’aura d’autorité qui émanait d’elle. Stanley sentit son cœur se serrer. Il était conscient que la situation était désastreuse, d'autant plus avec un témoin supplémentaire que ces individus n’hésiteraient pas à utiliser contre lui.
Jane posa une main ferme sur l’épaule de Tobias, l’incitant à relever les yeux. Celui-ci fixa les otages avec attention, surveillant le moindre de leurs mouvements.
-
C’est vous, la terroriste de Los Angeles, celle que notre PDG recherche depuis longtemps ? demanda Stanley.
-
Vous êtes perspicace, monsieur Miller, répondit Jane avec un sourire en coin.
-
Douze minutes, madame, indiqua Tristan d’un ton ferme.
-
C’est vous qui avez tué tous ces innocents ?! s’indigna soudain Catherine.
La comtesse s'avança vers la journaliste, qui recula légèrement, prise de peur. Catherine craignait que cette femme décide de l'abattre pour son jugement direct et hâtif. Mais Jane se contenta de sourire, ses yeux scrutant intensément ceux de Catherine.
-
Votre amant ne vous a pas dit que la BMRA emploie des terroristes ? Ce sont eux qui nous ont attaqués à Los Angeles. Mais après tout, vous, les journalistes, avez une manière détestable de maquiller la vérité à votre convenance.
-
Je ne comprends pas de quoi vous parlez, répliqua Catherine, sa voix tremblante.
-
Oh si, mademoiselle O'Hara. Vous avez gâché votre talent de journaliste en véhiculant des mensonges à la télévision et sur les réseaux sociaux, au service de l’agence. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
-
Les gens sont libres d’être informés de ce que vous faites et sur le danger des variants !
-
Jane se retint de la gifler, se contenant difficilement.
-
Ah oui ? fit-elle avec un mépris palpable. Croire aux mensonges n’en fait pas des vérités. Vous le faites avec une telle détermination que cela en devient criminel et dangereux. Les gens avalent vos paroles. Combien de variants ont été tués à force d’attiser le rejet dans l’esprit d’une population déjà désespérée et en perte de repères ?
Catherine resta silencieuse. Elle peinait à concevoir que les informations diffusées par l’agence puissent être fausses, fabriquées de toutes pièces pour maintenir leur contrôle sur la population en désignant les variants comme responsables de tous les maux. Pendant des années, elle s'était convaincue que l’agence agissait pour le bien commun. Rien, jusqu’à présent, n’avait remis en question cette certitude.
Jane se redressa, un sourire glacial sur le visage.
-
Je vais vous annoncer une nouvelle, ma chère Catherine, ou plutôt un scoop hors du commun : nous allons bientôt détruire l’agence.
-
Vous n’y arriverez pas ! On vous en empêchera ! avertit Stanley en se redressant légèrement.
-
Ah oui ? Ne sous-estimez pas la menace qui se tient devant vous. Vous êtes loin d’imaginer ce dont nous sommes capables pour lutter contre votre tyrannie.
-
Si, nous savons très bien de quoi vous êtes capables ! surenchérit le porte-parole.
-
Moi aussi, je le sais, Stanley, répondit Jane, d'un aplomb certain. Vous n’êtes qu’un pion sur l’échiquier de Christian. Il ne fera rien pour vous sauver si vous ne faites plus partie de ses objectifs. Je vous ai observé pendant vos conférences de presse, mesurant à chaque instant votre bêtise. Vous n’êtes qu’un idiot opportuniste, agissant par crainte. Sincèrement, pensez-vous vraiment que cela en vaille la peine ?
Jane se pencha légèrement vers lui, son regard se faisant plus incisif.
-
Je pourrais vous éviter bien des souffrances si vous me révélez comment atteindre Christian Pieriam au siège de la BMRA.
-
Je refuse de vous dire quoi que ce soit ! s’insurgea Stanley
D’un geste rapide et précis, Tristan plaça le canon de son arme contre la tempe de Catherine. La jeune femme laissa échapper un cri étouffé, terrifiée à l’idée de mourir pour un secret qu’elle ne maîtrisait même pas. Stanley, cependant, resta de marbre, ne montrant ni émotion ni protestation. Catherine, bouleversée, vit son indifférence et sentit la panique monter. Jane reprit la parole, imperturbable.
-
Quel courage... Cet homme préfère vous sacrifier plutôt que de tenter de sauver votre vie, Catherine. Et vous osez traiter les variants de sous-humains dangereux ?
-
Brûlez en enfer ! Je ne vous dirai rien ! hurla Stanley.
Tristan, agacé, fit glisser une lame dissimulée dans sa manche.
-
Un instant Finn, ordonna Jane d'un ton sec.
Elle s’avança vers Stanley, un sourire cynique étirant ses lèvres.
-
Je l’avais prévu, monsieur Miller. Un homme soumis à la torture finit toujours par avouer n’importe quoi, vrai ou faux. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup de temps devant moi. C’est pourquoi nous allons utiliser une autre méthode, bien plus fiable.
-
Quoi ? Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Stanley ?! s’alarma Catherine.
-
On m’a entraîné pour ce genre de situation, répondit Stanley, son cœur battant à tout rompre.
Catherine, elle, ne comprenait rien à ce qu’il voulait dire, et son regard exprimait sa terreur.
-
C’est ce que nous verrons, rétorqua Jane avec un sourire en coin.
Stanley ouvrit la bouche pour protester, mais un cri étranglé s’échappa de sa gorge quand Tristan s'empara de son cou et le serra jusqu’à ce que Stanley perde connaissance, incapable de lutter contre la technique d’étranglement maîtrisée par son adversaire.
Catherine, terrifiée, hurla en voyant son amant s’effondrer. Excédée, Jane la fit taire en l'assommant avec le canon de son arme. La journaliste s'effondra sur le lit, inconsciente.
Tobias, en retrait et mal à l'aise à cette explosion de violence, posa calmement sa main sur l’épaule de Jane. Il se concentra pour plonger dans l’esprit de Stanley Miller. Une scène se forma dans l’univers mental : une pièce sombre, éclairée seulement par un faisceau de lumière tombant du plafond. Il n’y avait aucune issue. Quelques instants plus tard, Tristan apparut dans cette illusion, transportant le corps inerte de Stanley qu’il disposa sur une table de torture.
Stanley reprit conscience avec un hurlement, réalisant que ses quatre membres étaient immobilisés par des lanières de cuir. Il se débattit, mais en vain. Tobias maintenait cette stase télépathique avec difficulté ; il savait qu’elle ne tiendrait pas indéfiniment.
-
Où suis-je ? Qu’est-ce que vous faites ?! paniqua Stanley, son regard affolé balayant la pièce.
Une voix grave résonna dans l'obscurité.
-
Je vais te faire payer, sale enfoiré, grogna Tristan.
Seuls ses yeux verts perçaient les ténèbres, scintillant comme deux émeraudes, tandis que sa chevelure pâle captait la lumière.
Jane s’approcha de la table, son visage sévère et impassible.
-
Dites-moi comment je peux atteindre Christian et quels sont ses objectifs, ordonna-t-elle.
-
Jamais je ne vous dirai quoi que ce soit ! cria Stanley, tentant vainement de se libérer.
Jane recula d'un pas et croisa les bras.
-
Allez-y Finn, ma patience a des limites.
-
Non ! Non, pas ça ! hurla Stanley en se débattant violemment, sans espoir d’échapper à son sort.
Tristan s’approcha lentement, son expression glaciale contrastant avec l’horreur qu’il s’apprêtait à infliger. Il attrapa l’une des mains de Stanley et planta sa lame, aussi aiguisée qu’un scalpel, sous un ongle. Le cri de Stanley déchira l’air. La douleur était insupportable, presque inhumaine. Tristan fit doucement pivoter la lame, amplifiant l’agonie, puis l’enfonça davantage.
Les hurlements de Stanley firent vaciller Tobias. Malgré son entraînement, l’empathie naturelle de son don le poussait à ressentir une part de cette souffrance. Il se détourna, se plaçant aussi loin que possible pour tenter de diminuer l’impact psychique.
Le temps semblait suspendu, chaque seconde étirée dans cette stase mentale où la réalité perdait toute mesure. Jane observait la scène avec une froideur détachée, ses pensées la ramenant à des souvenirs d’un passé lointain, où les tortures publiques de l’Inquisition semblaient presque similaires. Peu importe l’époque, les humains avaient toujours su infliger les pires souffrances à leurs semblables.
Du coin de l’œil, Tobias aperçut des gouttes de sang perler le sol. La vue, combinée à la détresse de leur victime, l’écrasa davantage. Il s’effondra, recroquevillé, incapable de supporter l’atrocité de la situation.
Après avoir retiré tous les ongles de la main gauche de Stanley, Tristan recula légèrement. Le porte-parole, épuisé, n’émettait plus que des gémissements étouffés. Sa voix s’était brisée sous l’intensité des hurlements, et des larmes coulaient sur son visage ravagé par la douleur.
Jane s’approcha, impassible, et sortit un mouchoir brodé de ses initiales. Elle essuya doucement le front en sueur de Stanley, un geste presque maternel.
-
Pitié… arrêtez… Je vous en supplie, je vais parler… balbutia-t-il, terrassé.
Jane inclina légèrement la tête, un sourire froid se dessinant sur ses lèvres.
-
Je préfère cela, monsieur Miller. Je vous écoute.
Stanley reprit son souffle avec difficulté, son corps tremblant.
-
Christian… ne sort jamais de la BMRA. Il… reste constamment dans son bureau.
Le sourire de Jane disparut instantanément. Ses yeux se plissèrent, et, sans prévenir, elle saisit la gorge de Stanley.
-
Vous me prenez pour une idiote ! tonna-t-elle. Je n’ai pas besoin de torture ni d’espion pour obtenir une telle information !
Elle relâcha son emprise, le laissant suffoquer, puis se redressa.
-
Une dernière fois : comment pouvons-nous atteindre Christian au siège de la BMRA et quels sont ses objectifs ?
Stanley hoqueta, ses forces l’abandonnant, tandis que Tristan se plaça à ses pieds. La lame ensanglantée qu’il brandissait suffit à faire pâlir le porte-parole.
-
C’est… vous qu’il veut, lâcha Stanley dans un souffle.
-
Soyez plus précis, ordonna Jane d’un ton tranchant.
Stanley hésita, avant de murmurer :
-
Il… compte initier le projet final…
Jane se figea, son visage soudain livide comme si la mort se présentait devant elle.
-
Vous mentez ! C’est impossible ! reprit-elle, vaincue.
-
Non… je ne mens pas, balbutia Stanley, paniqué.
-
Est-ce vrai ? demanda-t-elle d’une voix tremblante à Tobias toujours recroquevillé au sol.
Le télépathe releva la tête, ses yeux rougis par des larmes silencieuses. Il hocha lentement la tête, confirmant ce qu’il avait lu dans l’esprit de Stanley. Les visions apocalyptiques du projet final étaient déjà gravées dans son esprit, si terrifiantes qu’elles lui coupaient le souffle.
-
Espèce de fou ! s’écria Jane, sa colère éclatant contre Stanley. Comment l’arrêter ?!
Le porte-parole resta silencieux, refusant de répondre.
-
Réponds, salopard ! rugit Tristan, son couteau s’approchant du petit orteil de Stanley.
-
Argh… non ! lança Stanley dans un cri étranglé.
-
Attendez, Finn, intervint Jane d’une voix glaciale. Puis, se tournant de nouveau vers Stanley : Et qu’avait-il prévu après m’avoir neutralisée ?
Stanley trembla, sa voix brisée :
-
Il… il veut annihiler toute résistance.
Le silence qui suivit fut lourd, oppressant, comme si le poids de la révélation s’abattait sur chaque individu présent dans cette scène macabre.
L’homme sanglotait déjà, terrifié à l’idée de révéler comment déverrouiller la sécurité optimale qui leur permettrait d’atteindre Christian. Son refus déclencha la fureur de Tristan, qui lui trancha sans hésitation le petit orteil du pied. Un hurlement atroce retentit, résonnant dans l’espace confiné de la stase psychique. Mais Tristan ne s’arrêta pas là. Il recommença, arrachant un autre orteil.
Le bruit de l’os fracturé et de la chair tranchée força Tobias à détourner le regard. Le jeune télépathe plaqua ses mains sur ses oreilles, tentant de se couper des hurlements insoutenables. Ces cris résonnaient jusque dans les parois éthérées de la stase, amplifiant l’horreur de la scène.
Tristan poursuivait son œuvre implacable, usant d’un sadisme froid pour arracher les informations cruciales nécessaires à la mission. Stanley, brisé, finit par murmurer un mot, inaudible pour quiconque excepté Tobias.
Jane, remarquant la détresse du télépathe, s’agenouilla près de lui, captant ce murmure :
-
Œil, souffla-t-il.
La comtesse plissa les yeux, hésitant. Cette réponse lui paraissait bien trop simple, presque irréelle.
-
Merci, murmura-t-elle doucement à Tobias. Cela va bientôt s’arrêter.
Puis, d’une voix ferme, elle s’adressa à Tristan :
-
Finn, nous avons ce que nous voulons.
-
Ce salaud n’a pas répondu à la seconde question ! rétorqua l’ancien militaire.
-
Inutile de rester ici, Edward m’a donné la réponse.
-
Et c’est quoi ?
Jane porta un doigt à sa paupière, un geste suffisant pour que Tristan comprenne.
-
Un scanner rétinien, réalisa-t-il.
Cela expliquait tout : l’accès au bunker sécurisé de Christian était protégé par son empreinte oculaire. Le plan se précisait. HOPE et Aleksandr pourraient manipuler un enregistrement de sa voix à partir de ses interventions télévisées, tandis qu’un prélèvement de ses empreintes serait simple à effectuer dans les lieux qu’ils allaient infiltrer.
-
Je sais quoi faire, affirma Tristan, le regard dur.
Jane se redressa :
-
Tenez-vous prêts, la stase va s’effondrer.
De retour dans la réalité, Jane se précipita vers Tobias, conscient de l’état de choc dans lequel il se trouvait. Elle activa rapidement sa puce anti-télépathie pour limiter l’impact de son empathie, espérant l’aider à retrouver un semblant de calme. Mais l’attention de Tobias fut rapidement attirée par une vision glaçante : des traces de sang maculaient le sommier et le mur de la pièce.
Stanley, reprenant conscience de son environnement, poussa un cri d’horreur. Ses yeux s’écarquillèrent en apercevant le corps de sa compagne, allongé dans une mare de sang. Elle avait été tuée d’une balle, visiblement avant leur intrusion dans la stase psychique.
Jane se tourna brusquement vers Tristan, le regard chargé d’accusations.
-
Pourquoi l’avez-vous tuée, Finn ? Que s’est-il passé ?
L’ancien militaire, impassible, répondit d’un ton sombre :
-
Elle ne méritait pas de vivre. Cette garce ne pourra plus mentir au peuple !
Un sanglot étranglé s’échappa de Stanley, qui s’agenouilla près du corps inerte de Catherine. Ses mains tremblantes caressaient les cheveux poisseux de sang, tandis qu’il murmurait son nom dans un mélange de douleur et de rage. Son visage se transforma bientôt en masque de colère pure.
-
Vous… n’êtes que des monstres ! cracha-t-il.
Tristan s’approcha, la mâchoire serrée, et répliqua :
-
Je ne suis pas un variant, espèce de connard ! Vous avez tué ma femme et ma fille ! hurla Tristan avec colère. Vous tuez les gens avec votre putain de virus et vos mensonges ! Vous êtes responsable !
Les mots claquèrent, frappant Stanley comme une vérité brutale qu’il ne pouvait plus ignorer. La réalité macabre des agissements de la BMRA l’écrasait. Les expérimentations de Solomon Crane, les horreurs du virus qu’il avait aidé à propager… Tout cela, il l’avait justifié au nom du devoir. Mais à cet instant, le poids de ses choix le réduisit à un homme brisé, incapable de trouver une excuse valable à ses actes.
Jane brisa le silence :
-
Il est temps de partir.
Tobias, encore tremblant, lança d’une voix faible :
-
Il… il va venir avec nous ?
-
Pas de quartier pour ces enfoirés de la BMRA et leurs complices, trancha Tristan. J’ai déjà relevé ses empreintes.
Stanley, hébété et incapable de répondre, sentit son monde s’effondrer. Tandis que la tension retombait dans la pièce, Jane se tourna vers la porte. Ils entendirent un bip dans leur oreillette.
-
Équipe A, une escouade se dirige vers vous ! La porte ne tiendra pas longtemps ! prévint Aleksandr à travers le communicateur.
Jane lança un regard appuyé vers Tristan :
-
Merci, Lonan. Finn, terminez le travail et extrayez ce dont nous avons besoin. Soyez rapide, des invités arrivent.
-
À vos ordres, répondit Tristan d’un ton martial, empoignant fermement Stanley.
-
Non ! Arrêtez ! s’écria ce dernier, paniqué.
Les coups de bélier sur la porte verrouillée par Aleksandr se faisaient plus pressants. Les agents de la BMRA ne mettraient pas longtemps à la forcer. Stanley, un bref instant, s’accrocha à l’espoir illusoire d’être sauvé.
Jane ouvrit la marche, traversant la coursive déserte du wagon spécial. Tobias la suivait, le visage blême, alors qu’au loin retentissaient les hurlements déchirants de Stanley, semblables à ses lamentations dans la stase psychique. Puis, soudain, ce fut le silence.
Une fois dans le wagon suivant, Tobias fut saisi d’effroi à la vue de Tristan. L’ancien militaire réapparut, son couteau dégoulinant de sang dans une main et, dans l’autre, un sachet plastique contenant les globes oculaires de Stanley Miller.
-
Il est encore en vie ? demanda Tobias, la gorge nouée.
Tristan se contenta d’un regard sombre, ne révélant rien. Jane détourna les yeux, bien consciente de ce que "terminer le travail" signifiait pour l’ancien militaire. Elle ne posa aucune question, sachant qu’il avait, sans doute, mis fin aux souffrances de Stanley d’un coup précis au cœur.
-
La guerre n’épargne personne, souffla-t-elle, comme pour se convaincre elle-même.
Après un bref instant d’accalmie, Tristan sortit à nouveau sa lame ensanglantée.
-
Restez en arrière avec le gosse, ordonna-t-il en s’avançant. Je m’occupe d’eux.
La scène qui suivit fut brutale. Tristan combattait les agents de la BMRA avec une précision implacable, chaque mouvement létal et méthodique. Les cris des assaillants s’éteignaient aussi rapidement qu’ils s’élevaient. Jane observait sans ciller, ses traits marqués par une détermination glaciale. Chaque seconde gagnée leur était précieuse.
Tobias, figé près de Jane, essayait de maîtriser sa peur. Ses mains tremblaient légèrement, mais il restait prêt à intervenir si la situation l’exigeait. La tension était étouffante, chaque bruit amplifié par l’urgence de leur fuite.
Une fois le dernier adversaire neutralisé, ils rejoignirent le wagon de maintenance. Tristan dévoila deux parachutes soigneusement dissimulés. Tobias remarqua immédiatement l’absence d’un troisième.
-
Un problème ? demanda Jane, pressée de comprendre.
-
Non, cheffe. Vous deux, vous partez. Moi, je reste pour assurer vos arrières.
-
Finn, ce n’est pas négociable, ils risquent de vous capturer !
-
Ne sous-estimez pas mes talents, répondit-il avec un sourire en coin tout en changeant rapidement ses vêtements. Mon ADN humain me permet de passer leurs contrôles sans souci. Je vais infiltrer leurs lignes et vous rejoindre à Atlanta.
-
Vous prenez un risque insensé ! Si la BMRA vous attrape, vous ne survivrez pas.
-
Dans ce cas, je ferai un maximum de dégâts avant qu’ils ne m’aient, lâcha-t-il avec une froide résolution.
Jane pinça les lèvres, hésitant un instant. Puis elle posa une main ferme sur l’épaule de Tristan.
-
Je vous ordonne de rester en vie, Finn. Ce n’est pas encore terminé.
-
Entendu. Maintenant, allez-y, ils sont proches.
Tristan activa la trappe de secours, et Jane n’attendit pas davantage. Elle aida Tobias à ajuster son parachute avant de se préparer elle-même.
-
À bientôt, Finn, lança-t-elle en montant dans la trappe.
-
Oui, murmura-t-il en les regardant disparaître. Maintenant, à eux de jouer.
La trappe se referma dans un grincement métallique, laissant Tristan seul. Le bruit des bottes approchantes retentissait déjà dans le couloir. D’un geste assuré, il vérifia la lame qu’il tenait toujours en main, prêt à affronter ce qui l’attendait.
Une échelle apparut pour accéder au toit du train. Jane fut la première à grimper, suivie de Tobias. Le jeune Suédois sentit son cœur s’emballer alors que l’air, froid et tranchant, fouettait violemment sa combinaison.
La vitesse vertigineuse du train les empêchait de parler ou même de respirer correctement sans casque équipé d’une radio et d’un atténuateur de bruit. Tobias peinait à avancer sur ce terrain instable, la puissance du vent le déséquilibrant à chaque pas. Même Jane, habituée aux situations extrêmes, trouvait l’environnement éprouvant, surtout lorsqu’ils pénétrèrent dans un tunnel interminable, plongés dans une obscurité oppressante.
Avec difficulté, Tobias parvint à libérer une main pour désactiver sa puce anti-télépathie, le seul moyen de communiquer avec Jane. Ce simple geste manqua de le déséquilibrer.
-
Qu’est-ce qu’on fait ?! lança-t-il télépathiquement, sa voix résonnant dans l’esprit de la comtesse.
-
Jeune fou ! Garde tes deux mains accrochées ! On attend la fin du tunnel avant de déployer les parachutes.
-
Aïe ! Merde !
-
Tobias ? Que se passe-t-il ?!
Un coup de feu claqua dans le vacarme ambiant, suivi d’un cri étouffé. Une balle venait de frôler la jambe de Tobias, laissant une entaille sanglante.
-
Ça va, mon garçon ?
-
Je crois... que je suis touché...
-
Tiens bon ! Mets-toi à couvert et préviens Tristan ! ordonna Jane, luttant pour se maintenir contre les bourrasques.
Ils ne pouvaient riposter depuis cette position précaire, et tenter de le faire risquait de les envoyer valser hors du train à une vitesse mortelle. Tobias tenta d’utiliser ses capacités psychiques pour influencer leurs assaillants, mais le chaos ambiant brouillait sa concentration. Les tirs continuaient de fuser, chacun plus menaçant que le précédent.
Jane, les mâchoires serrées, dégaina une petite grenade qu’elle lança avec précision. L’explosion résonna non loin de la trappe par laquelle ils s’étaient échappés, forçant leurs poursuivants à se disperser temporairement. Elle usa ensuite de son don pour altérer l’ADN d’un des tireurs, le réduisant en cendres. Mais cette capacité exigeait trop d’énergie pour qu’elle puisse éliminer tous leurs ennemis. Ils devaient fuir.
Le soleil baigna soudain le toit du train lorsqu’ils émergèrent du tunnel. Jane et Tobias, à bout de souffle, comprirent que les tirs avaient cessé. Les agents de la BMRA préparaient-ils une attaque au corps à corps en grimpant sur le toit ?
Jane, toujours en alerte, reprit contact avec Tobias télépathiquement.
-
C’est le moment ! Lâche prise et ouvre ton parachute immédiatement !
Les deux variants lâchèrent leurs ventouses et furent immédiatement emportés par les courants d’air, leurs combinaisons spécialement conçues leur permettant de planer. Les rafales fouettaient leurs corps, les projetant dans une danse chaotique au-dessus des rails. Le paysage défilait à une vitesse effrayante, tandis que la gravité semblait vouloir les happer à chaque instant.
Tobias tapota frénétiquement son harnais. Le mécanisme resta immobile. Son parachute refusait de s’ouvrir. La panique s’insinua, glaciale, dans son esprit. L’air sifflait, les secondes s’étiraient cruellement. La chute était inexorable.
Les pensées du jeune homme se figèrent dans un mélange de peur et de résignation. Il tenta une dernière fois de tirer sur le harnais, en vain. L’adrénaline laissa place à une étrange sérénité. Il ferma les yeux, acceptant ce qui semblait inévitable. Le paysage, si majestueux quelques instants plus tôt, disparut dans un brouillard d’émotions. Puis ce fut le silence, profond et oppressant.
Tobias perdit connaissance. Son corps, inerte, se précipitait vers le sol. Mais avant l’impact, une force invisible le stoppa net. Une tornade parfaitement contrôlée l’engloba, ralentissant sa chute jusqu’à ce qu’il se pose en douceur. Le tourbillon était l’œuvre d’Aleksandr, qui avait agi à la dernière seconde pour sauver le jeune Suédois.
Depuis le poste de pilotage d’Héliosis 2, Aleksandr observait l’opération avec précision. Grâce à un système de camouflage avancé, l’appareil avait échappé aux radars de la BMRA, l’appareil avait échappé aux radars de la BMRA, atteignant le train en seulement vingt minutes depuis Los Angeles.
À bord du convoi, Tristan achevait sa mission. Une grenade savamment placée avait neutralisé les derniers agents de la BMRA présents dans le compartiment. Le train, désormais incontrôlable et vidé de toute résistance, continuait sa route solitaire vers Atlanta.
Plus tard, une communication cryptée émanant de HOPE confirma le succès de l’opération. Tobias avait été récupéré, bien qu’il fût blessé. Aleksandr et les autres étaient sains et saufs. Tristan esquissa un rictus à cette nouvelle. Dans l’ombre du wagon, il demeurait infiltré, prêt à poursuivre la mission avec la froide efficacité qui le caractérisait.