top of page
Tristan.png
Jeanne Roselys

Jane

Tobias Olsson

Tobias

Lucas Roselys

Lucas

Sidonie Wallorn

Sidonie

Hannah Galaway

Hannah

Kahlan Raven

Kahlan

Lydia Sorel

Lydia

Tristan Harker

Tristan

Chapitre 15 : « Adaptation »

Année 2117 | 17 mars, 10 h 15 – QG HOPE,  Santa Monica - Los Angeles - Californie

 

Le 17 mars 2117, trois mois après les derniers événements et trois jours après son anniversaire, Lucas se sentait plus anxieux que jamais. HOPE l’avait averti que Jane souhaitait le voir dans son bureau, et tout indiquait que l’entretien serait important. Malgré l’évolution de leurs échanges, Lucas percevait une tension croissante dans l’atmosphère de la maison.

Depuis son arrivée à HOPE, Tristan imposait une discipline stricte à tous les résidents, les préparant physiquement et stratégiquement pour les missions à venir. Jane était convaincue qu’ils devaient être prêts à tout moment. Personne n’avait réellement eu le temps de se remettre des tragiques événements du site Mu, et chacun subissait désormais une rigueur quasi militaire. Entraînements sportifs, musculation, combats virtuels ou réels avec utilisation intensive de leurs dons, sommeil minuté : Tristan ne ménageait aucun effort pour les conditionner à cette discipline implacable. De son côté, Jane restait en retrait, concentrant ses efforts sur la cohésion entre les sites pour planifier une riposte décisive contre la BMRA.

Hannah, cependant, avait été exemptée des exercices physiques et de l’utilisation de son don sur recommandation du docteur Sorel. Ce traitement de faveur intriguait tout le monde, d’autant plus qu’elle se faisait de plus en plus discrète. Lors de ses rares apparitions, elle semblait esquiver les regards, se contentant d’assurer à ses camarades que les récents événements l’avaient profondément affectée et qu’elle avait besoin de repos. Lucas, Sidonie et Hiro avaient remarqué son changement d’attitude, mais comme toujours, Jane les avait simplement rassurés en leur disant qu’elle gérait la situation, sans donner davantage d’explications. Une question demeurait cependant dans l’esprit de ses camarades : que leur cachait-on ?

Dans sa chambre, Lucas se tenait immobile devant un miroir, torse nu, probablement en train de se préparer pour rejoindre la pièce commune. Il sentit soudain des bras l’enlacer doucement autour de la taille, suivis de lèvres qui déposaient des baisers légers et sensuels sur son cou. Une vague de répit l’envahit, dissipant un instant ses préoccupations.

  • Désolé… hum, je n’ai pas la tête à ça ce matin, murmura-t-il.

  • Qu’est-ce qui te préoccupe ? demanda une voix douce, tandis que les baisers continuaient de parcourir sa peau.

  • Oh…, gémit-il, je pense à tout ce qui est en train de partir en vrille dehors. Et… hum… arrête, s’il te plaît. Jane veut me voir. J’ai un mauvais pressentiment.

 

À contrecœur, Tobias interrompit ses gestes, comme si le simple nom de Jane avait brisé l’instant. Pourtant, il resta étroitement collé à Lucas, son menton reposant sur son épaule et ses bras toujours enroulés autour de sa taille.

  • Tu crois que cette vieille peau se doute de quelque chose pour nous deux ? Je m’en fiche de ce qu’elle peut penser, lança Tobias avec détermination.

  • Même si je t’ai avoué ce que j’ai fait avec Hannah, et…

  • Arrête, coupa doucement Lucas. Nous n’étions pas ensemble à ce moment-là. Et puis…, susurra-t-il en caressant le torse de Lucas, maintenant, tu sais ce que je ressens pour toi. Tu m’as tellement aidé à faire face à ma dépendance à l’alcool et à ma peur du noir. Mon seul regret, c’est de ne pas t’avoir avoué mes sentiments plus tôt, à NickroN. Peut-être que tout aurait été différent…

 

Lucas posa délicatement ses mains sur celles de Tobias, ému par ses paroles. Tobias était bien plus qu’un ami pour lui. À NickroN Renaissance, il avait été un pilier au milieu du chaos émotionnel et des incertitudes.

Aujourd’hui, leur amour était une source de réconfort autant qu’un fardeau. Pour protéger leur relation, ils jouaient la comédie en public, se querellant parfois pour détourner les soupçons. Mais chaque nuit, grâce à la télépathie, ils se retrouvaient dans un espace intime où ils pouvaient enfin être eux-mêmes.

Lucas, toutefois, tempérait souvent les élans passionnés de Tobias, refusant de se perdre dans une illusion, aussi réconfortante soit-elle, pour fuir une réalité oppressante. Leur télépathie leur permettait de partager des moments précieux : discuter, se rassurer, et même simuler la chaleur d’une étreinte ou le répit d’un sommeil partagé. C’était un refuge, une parenthèse d’apaisement au milieu du chaos.

Ces instants étaient essentiels pour leur équilibre, mais au fond de lui, Lucas aspirait à quelque chose de plus concret. Il rêvait d’un amour tangible, d’une passion vécue au grand jour, sans mensonges, sans secrets, sans la nécessité de se dissimuler constamment.

Pourtant, même dans cet instant de tendresse, Lucas était conscient du regard vigilant de Jane et des caméras de surveillance contrôlées par l'intelligence artificielle. Leur intimité était éphémère, telle un songe, et elle devait malheureusement être écourtée.

  • Tobias, s’il te plaît. Tu sais comme moi que Jane est capable de tout pour nous séparer si elle découvre la vérité.

  • Alors nous devons lui tenir tête, ensemble ! s’exclama Tobias. J’assume tout, Lucas, et je me moque complètement de ce qu’elle ou Tristan peuvent penser. C’est toi que je veux, toi et personne d’autre !

  • Merci… c’est important pour moi de l’entendre.

 

Lucas se retourna pour offrir un baiser empli d’affection à son compagnon. Leur étreinte prit fin lorsque la stase psychique se dissipa, laissant Tobias disparaître de sa vue. Lucas se retrouva seul face au miroir, conscient que l’entretien avec Jane l’attendait, avec tout ce qu’il risquait d’impliquer.

Le jeune homme enfila rapidement un t-shirt clair et sortit de sa chambre, le cœur serré d’appréhension, en direction du bureau de son ancêtre. Lorsque la porte s’ouvrit, il salua Jane d’une légère inclination de la tête avant de s’installer sur l’un des canapés de la pièce. Jane lui proposa une boisson chaude, mais Lucas déclina poliment, son estomac noué par l’anxiété.

Son regard trahissait son inquiétude, contrairement à Jane, dont le visage impassible masquait habilement ses pensées. Leur conversation en français, bien qu’étrangement formelle, ravivait un soupçon de nostalgie, un lien familial à la fois fragile et profond.

  • Comment vas-tu, mon fils ? Tu sembles anxieux, remarqua Jane avec une douceur inhabituelle.

  • Non, Jane… Enfin si. Je me demande pourquoi vous m’avez convoqué, répondit-il, mal à l’aise.

  • Lucas, voyons. Je pensais que nos rapports s’étaient améliorés, fit-elle, presque avec bienveillance.

  • C’est vrai, mais… je dois vous avouer quelque chose. Je ne peux plus le cacher ni faire semblant. Vous le saurez tôt ou tard, si ce n’est déjà fait par votre intelligence artificielle.

 

Jane haussa un sourcil, intriguée.

  • Concernant quel sujet, je te prie ?

  • Tobias et moi…

 

​Jane marqua une pause, un éclat presque amusé dans ses yeux.

  • J’ai connu des stases psychiques avec de nombreux télépathes, mon cher Lucas. Vous avez usé de cet ingénieux subterfuge pour dissimuler votre liaison. Mais en ce qui me concerne, c’est un échec, je le crains.

Lucas laissa échapper un soupir, bien conscient que Jane n’était pas une femme facile à duper. Leur tentative de masquer leur relation avait été maladroite, et il savait que la stase psychique n'empêchait pas leur corps d'agir dans la réalité.

  • Je n’ai pas besoin de caméra ni d’intelligence artificielle pour deviner votre petit manège, poursuivit Jane avec sévérité. Vous pensiez sérieusement que cela allait fonctionner avec moi ? N’insulte pas mon intelligence, Lucas. J’ai vu des couples bien plus rusés tenter de cacher leurs désirs interdits.

  • Vous allez donc m’obliger à cesser cette relation, c’est ça ?

  • Ce n’est pas le sujet de cette entrevue, répondit-elle d’un ton ferme. Mais puisque tu sembles si préoccupé par cette question, alors que le monde est au bord de l’effondrement… je vais être très claire avec toi.

Lucas inspira profondément, redoutant le pire.

  • Puisque tu as accompli ton devoir envers ta famille, reprit-elle d’une voix énigmatique, je ne vois pas pourquoi je m’opposerais à ta relation avec ce jeune fou de Tobias. Entre nous, est-ce seulement pour le sexe ou y a-t-il quelque chose de plus sérieux ?

 

Lucas, choqué par l’aplomb de Jane, ne détourna pas le regard.

  • Nous nous aimons, rien d'autre.

Un léger sourire se dessina sur le visage de Jane, adoucissant brièvement son air sévère.

  • Je suppose qu’il serait inutile de te demander de vous abstenir. Cela serait contre-productif, autant pour notre combat que pour ta propre stabilité émotionnelle. Ainsi, je ne chercherai pas à vous séparer. Cependant, je veux être parfaitement claire : vos sentiments personnels ne doivent jamais interférer dans nos missions. Compris ?

  • D’accord… Merci, Jane.

Elle hocha la tête, mais son attention se détourna vers la fenêtre. À l’extérieur, Tristan encadrait plusieurs résidents qui effectuaient des pompes dans l’air frais et morose du matin.

Le silence qui suivit pesait lourd, rendant Lucas incertain. Jane remettait-elle en question sa loyauté ? Craignait-elle qu’il ne devienne un maillon faible ? Malgré cet échange constructif, Lucas sentait une ombre d’inquiétude persister. 

Le calme fut soudainement brisé par trois coups secs à la porte.

Lydia entra dans la pièce et salua Jane ainsi que Lucas, qui restait assis, encore troublé. Jane prit place en face de lui, ses yeux perçants cherchant à percer son incompréhension persistante. La présence du docteur Lydia Sorel ne faisait qu’intensifier l’ambiance solennelle.

Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit de nouveau. C’était Hannah. Lucas lui adressa un regard compatissant en remarquant son trouble évident. Son expression trahissait un malaise profond.

Lucas remarqua immédiatement ses yeux rougis, marqués par des heures de larmes et de fatigue. Elle se força à saluer les personnes déjà présentes avant de se tenir près de Lydia, les épaules affaissées. Le jeune homme tenta de capter son regard, espérant comprendre ce qui la tourmentait, mais Hannah détourna les yeux pour fixer Jane, qui, imposante, s’était avancée devant son bureau.

Avec la présence d’Hannah et de Lydia, la conversation reprit en anglais.

  • Bien, tout le monde est là. Je pense que nous pouvons commencer. Hannah, comment vous sentez-vous aujourd’hui ? demanda Jane d’une voix posée.

  • S’il vous plaît, madame, je suis morte d’inquiétude à l’idée de la réaction de Lucas… murmura Hannah, visiblement à bout de forces.

  • Ma réaction ? De quoi parles-tu, Hannah ? s’étonna Lucas, déconcerté.

  • Je… je n’y arriverai pas. C’est trop dur, sanglota-t-elle en secouant la tête.

 

Jane posa un regard apaisant sur elle.

  • Je vais m’en charger. Il n’est pas nécessaire que vous vous torturiez ainsi, ma fille, dit-elle, sa voix plus douce qu’à l’accoutumée.

 

Lucas tiqua en entendant l’expression « ma fille », mais n’eut pas le temps de réagir. Jane reprit :

  • Mon descendant a bien grandi, et je suis certaine qu’il est prêt à entendre la vérité.

 

Lucas fronça les sourcils, l’impatience se mêlant à son incompréhension.

  • Quelle vérité ? Est-ce que quelqu’un va enfin me dire ce qu’il se passe ici ?! s’agaça-t-il.

  • Très bien. Je vais te révéler ce qui préoccupe Hannah depuis plus de trois mois, mais avant cela, j’ai une question à te poser. Que s’est-il passé entre vous deux dans le bureau d’Yrsa Delacroix lors de notre première nuit sur le site Mu ?

 

La question fit l’effet d’une bombe. Lucas sentit son esprit vaciller. Comment Jane pouvait-elle être au courant ? Qui lui avait parlé ? Hannah ? Tobias ? Tristan ? Ou avait-elle tout simplement deviné ?

Lucas détourna le regard, honteux. Il ne pouvait pas répondre. Pas ici. Pas devant Lydia et Jane. Il ne voulait pas révéler que lui et Hannah avaient succombé à leurs pulsions dans une nuit d’incertitude et de peur.

  • Vous avez fait l’amour, énonça Jane sans détour. Pourquoi est-ce si difficile de l’admettre et d’assumer vos actes ?

 

Le ton direct de Jane fit bouillir Lucas. Sa retenue éclata dans un cri empli de colère.

  • Oui, je l’admets, et alors ?! Pourquoi le monde entier a-t-il besoin de le savoir, Jane ?! Vous voulez juste nous humilier, c’est ça ?!

 

Hannah éclata en sanglots, incapable de contenir son émotion.

  • Pourquoi voudrais-je vous humilier ? Au contraire, je devrais être ravie que tu aies franchi ce pas, répondit Jane avec un calme glacial. Mais tout acte, même anodin, a des conséquences.

 

​Lucas, toujours bouillant, serra les poings.

  • Qu’est-ce que vous voulez dire ?! pesta-t-il, prêt à exploser.

 

Jane croisa les bras et lâcha enfin la vérité :

  • Hannah est enceinte.

 

Le silence qui suivit était assourdissant. Lucas resta figé, l’esprit envahi par une tempête d’émotions. Les mots de Jane résonnaient en boucle dans sa tête : Hannah est enceinte.

Il vacilla légèrement, mais Lydia intervint pour stabiliser la situation.

  • Respire, Lucas, murmura-t-elle, tout en posant une main apaisante sur Hannah.

Les yeux de Lucas se posèrent sur Hannah. Il comprit soudain tout : son malaise, ses absences, ses craintes. Il pressa ses tempes de ses mains, tentant désespérément d’ordonner ses pensées.

  • Je suis… le père ? balbutia-t-il, presque inaudible.

  • Lucas, je t’en prie, pardonne-moi. J’ai tout gâché, sanglota Hannah, brisée par la culpabilité.

  • Doucement, Hannah, dit Lydia en serrant son épaule pour la réconforter. Ce n’est pas bon pour toi ni pour l’enfant. Respire.

 

​Hannah inspira plusieurs fois, tentant de reprendre son calme.

  • Je suis responsable de tout ça… Tout est ma faute, lâcha-t-elle, tremblante.

 

Lucas, bouleversé, tourna lentement la tête vers Jane, qui s’était approchée pour poser une main sur son poignet. Ce simple geste, chargé d’une affection sincère, le ramena brièvement à la réalité.

Un enfant. L’idée résonnait en lui, à la fois terrifiante et émouvante. Un enfant représentait une nouvelle vie, un espoir dans ce monde en ruines, mais aussi une montagne de responsabilités pour lesquelles il ne se sentait pas prêt. Il redoutait la réaction de Tobias, qui ne devait pas s'attendre à une telle révélation.

  • Ne t’inquiète pas, Hannah. Je vais t’aider, la rassura doucement Lydia.

 

Encore sous le choc, Lucas demanda d'une voix tremblante :

  • Hannah… pourquoi tu as eu si peur de me le dire ?

 

Lydia avait découvert la grossesse d'Hannah après avoir effectué plusieurs analyses lors de la quarantaine imposée par le protocole Bellérophon. Après son rétablissement, la cheffe de HOPE lui avait alors ordonné de veiller attentivement sur Hannah tout en lui interdisant strictement de révéler sa condition à qui que ce soit, y compris à Sidonie ou aux autres résidents. Lydia, bien qu’elle n’en comprît pas les raisons, obéit, convaincue que Jane devait avoir ses propres motivations. Pourtant, elle savait que ce secret ne pourrait être gardé indéfiniment : tôt ou tard, la grossesse d’Hannah deviendrait évidente. HOPE et Lydia devaient donc garantir à la jeune femme tout le soutien médical et psychologique nécessaire durant cette épreuve.

  • Je ne voulais pas que tu me rejettes, avoua Hannah d’une voix tremblante. Tout est arrivé si vite et…

  • Mais j’aurais pu t’aider ! Nous sommes amis, non ? rétorqua Lucas, peiné par son aveu.

Il se tourna vers Jane, la colère perçant dans sa voix.

  • C’est vous, Jane, qui avez ordonné à Hannah de se taire ?

 

Hannah baissa les yeux, incapable de répondre, ses larmes coulant en silence. Jane lui lança un regard glacial, signifiant clairement que ses décisions ne devaient pas être contestées.

Lucas inspira profondément et reprit d’un ton plus calme :

  • Je ne t’en veux pas, Hannah. C’est moi le responsable, admit-il avec sincérité.

  • Non, ne dis pas ça ! protesta Hannah, secouant la tête.

 

Jane intervint alors, sa voix solennelle brisant le silence :

  • Lucas, mon fils, je vais te poser une seule question : prendras-tu tes responsabilités envers cet enfant ?

Les mots de Jane résonnèrent dans l’esprit de Lucas. Il ne pouvait envisager de fuir ses responsabilités. Malgré ses doutes et sa peur, il savait qu’il ne pouvait abandonner un enfant innocent. Son propre passé, marqué par l’absence répétée de son père et sa perte brutale en 2102, lui avait laissé une blessure profonde.

Après quelques instants de silence, il releva la tête et répondit, la voix chargée de détermination :

  • Oui, Jane, je le ferai.

Un sourire fier éclaira le visage de Jane. Lydia, plus discrète, hocha la tête avec satisfaction. Quant à Hannah, elle parut enfin apaisée, son regard se faisant plus serein. Toutes trois comprirent que Lucas avait considérablement mûri depuis son arrivée à HOPE. Il assumait ses actes avec courage, s’efforçant de dépasser ses doutes et ses insécurités.

Jane tendit un mouchoir à Hannah, qui essuya ses larmes.

  • Prenez soin de vous, ma fille. Une grossesse est un événement crucial dans la vie d’une femme. Peu importe les difficultés, nous vous soutiendrons, car vous faites désormais partie de la famille. Vous sentez-vous mieux ?

  • Oui, je suis soulagée, murmura Hannah.

 

​Lucas, encore préoccupé, s’enquit avec douceur :

  • Tout va bien pour la grossesse ?

  • Oui, Lucas. Lydia et HOPE s’occupent bien de moi. Je… je n’ai pas demandé à connaître le sexe de l’enfant. Je voulais que tu sois présent, si tu le souhaites.

  • Je serai là, toujours, répondit-il avec une assurance nouvelle.

 

Un silence apaisant enveloppa la pièce, dissipant peu à peu la tension accumulée. Jane, rompant l’atmosphère, alluma une cigarette non toxique et reprit la parole.

  • Je suis heureuse que tout se passe bien. Cependant, il nous reste une mission cruciale à accomplir. Je vous convoquerai dans quelques jours. Cette bataille contre notre ennemi mortel doit marquer la fin de cette guerre, une bonne fois pour toutes.

 

Lucas, absorbé par ses pensées, n’écoutait que distraitement les paroles de Jane. Tandis qu’elle évoquait la BMRA et les enjeux à venir, son esprit dérivait vers l’avenir. Qu’adviendrait-il des variants si l’agence tombait ? Mais plus encore, il se demandait comment il parviendrait à protéger cet enfant, probablement un variant lui-même, dans un monde si hostile.

Son cœur se serra à l’idée de Tobias. Comment réagirait-il en apprenant la nouvelle ? Lucas redoutait de perdre son compagnon.

Après la réunion, Hannah partit se reposer, accompagnée de Lydia et HOPE. Lucas, quant à lui, retourna seul dans sa chambre. Allongé sur son lit, il fixait le plafond, accablé. Il savait qu’il devait être honnête avec Tobias, malgré la peur qui l’envahissait.

 

Alors qu’il luttait contre ses émotions, une stase psychique s’établit entre eux. Tobias apparut soudain, assis au bord du lit. Le Suédois avait ressenti l’angoisse et la détresse de Lucas à travers leur lien. Silencieusement, il s’approcha pour essuyer les larmes qui ruisselaient sur les joues de son amant.

  • Tobias, je… je dois te dire quelque chose, murmura Lucas d’une voix brisée.

 

Il lui avoua tout, sans omettre aucun détail, le suppliant de le pardonner. Tobias écouta, silencieux, avec une expression indéchiffrable sur le visage.

Enfin, il s’allongea près de Lucas et le prit dans ses bras, l’entourant d’une étreinte réconfortante.

 

  • Je n’ai rien à te pardonner, Lucas, murmura Tobias d’une voix douce. Je serai toujours là pour toi.

***

Plus tôt, après la stase psychique avec Lucas avant son rendez-vous avec Jane, Tobias quitta sa chambre pour se rendre à la cuisine. Son bandeau anti-télépathie lui offrait une paix psychique retrouvée, lui permettant de ne pas ressentir les émotions de ses camarades. Il avait besoin de quelque chose à boire pour apaiser son esprit tourmenté. Le Suédois se demandait comment les choses allaient se dérouleur dans les prochaines heures, sans pour autant trouver de solutions ni de réponses. Il ne pouvait régler tous les problèmes, ni chercher à interférer.

Alors qu’il avançait dans le couloir silencieux pendant que tout le monde vaquait à ses occupations, il fut surpris de tomber sur Tristan. L’ancien militaire, adossé à un mur, attendait en silence. Ses bras croisés, marqués de cicatrices reçues durant des combats, témoignaient de son passé brutal.

Tobias le salua d’un bref signe de tête. Les deux hommes s’étaient peu parlé depuis leur première rencontre au site Mu, et leur relation s’était rapidement teintée de mépris mutuel et de désaccords tacites. Tristan voyait en Tobias la représentation parfaite du jeune fainéant, incapable de se débrouiller seul et obligé de s'appuyer sur ses camarades pour trouver des solutions. Cette attitude immature était prohibée sur le site Mu, où les jeunes variants avaient été entrainés avec des méthodes militaires, presque inhumaines, afin de les préparer à servir la cause des variants et le Projet HOPE. Mais malgré toutes ces précautions, le site Mu était tombé, contaminé par un virus mortel qui s'empara de tous les résidents.

Avant que Tobias ne puisse s’éclipser, Tristan fit un pas en avant et saisit brusquement son bras.

  • Hé ! Qu’est-ce que tu fais ? protesta Tobias.

 

Tristan ne répondit pas. Il l’attira dans un coin isolé du couloir, hors de vue des autres. HOPE les surveillait en silence.

  • T’es capable de lire dans les pensées des gens, pas vrai ? demanda Tristan d’une voix basse mais menaçante.

  • Oui, et alors ? répondit Tobias, méfiant.

  • Tu as vu quoi dans ma tête quand on s’est rencontrés au site Mu ?! lança Tristan, sa colère perçant dans sa voix.

 

Tobias détourna les yeux, mal à l'aise.

  • J’ai obéi aux ordres de Jane. Je devais savoir si tu disais la vérité, expliqua-t-il.

  • Et ? Tu as vu quoi d’autre ? insista Tristan.

  • Je ne m’en souviens plus.

  • Réponds, bordel ! ordonna Tristan, le regard brûlant d’intensité.

  • J’ai bien d’autres soucis en tête que de penser à toi, lâcha Tobias, agacé.

 

Ce fut l’erreur. Tristan le plaqua violemment contre le mur, sa poigne de fer immobilisant les poignets de Tobias. Ce dernier tenta de se débattre, mais l’ancien militaire était bien plus fort. La voix de Tristan devint un murmure glacial.

  • Je crois que tu ne te rends pas compte dans quelle merde tu te mets en fouillant dans des affaires qui ne te regardent pas. Alors, pour la dernière fois : qu’est-ce que tu as vu ?

 

​Tobias, pris de panique, répondit précipitamment :

  • J’ai ressenti ta haine et ta peine… depuis que tu as perdu ta famille. Je ne suis pas allé plus loin, je te jure ! Maintenant, lâche-moi, tu me fais mal !

 

​Mais Tristan n’était pas prêt à lâcher prise.

  • T’as eu tort de faire ça, petit, gronda-t-il.

  • Lâche-moi, putain !

 

Tristan resserra son emprise, le regard perçant.

  • Un conseil : ne te mêle plus de mon passé. Même si Jane te le demande. Sinon, tu auras affaire à moi, et crois-moi, tu risques de t’en mordre les doigts.

 

Tobias, malgré la douleur, ne put s'empêcher de répliquer :

  • Comment te faire confiance si tu as des choses à cacher ? Jane aurait-elle fait une erreur en te recrutant ?

 

Un rictus énigmatique se dessina sur le visage de Tristan.

  • Mon passé m’appartient, rétorqua-t-il froidement en marquant une pause, son regard s'assombrissant davantage. Et la fille rousse… elle peut manipuler le temps, pas vrai ?

 

​Tobias se figea, les yeux écarquillés.

  • Oublie ça immédiatement, avertit-il, la voix tremblante. Elle ne pourra jamais te rendre ta famille ! Arrête, ou je crie !

Tristan, imperturbable, posa brutalement sa main sur la bouche de Tobias pour le faire taire. La pression fit irradier une douleur dans sa mâchoire, le rendant totalement impuissant. HOPE n'intervint toujours pas, notant chaque détail dans sa puissante base de données.

  • Fais gaffe à tes fesses, petit. Je ne te préviendrai pas une deuxième fois, murmura Tristan, d’un ton glacial.

Il relâcha enfin Tobias, le laissant à bout de souffle, la mâchoire douloureuse et l’esprit tourmenté.

Tobias resta figé quelques instants, abasourdi par cet échange. Quand Tristan s’éloigna enfin, son pas lourd résonnant dans le couloir, Tobias s’adossa au mur, essayant de calmer ses tremblements.

 

Il réfléchit longuement. Une chose était certaine : Tristan cachait quelque chose. Son passé ou ses véritables intentions restaient obscurs, et même Jane, avec toute son autorité, semblait dans l’ignorance de ces zones d’ombre.

 

Tobias savait qu’il devrait rester vigilant et en parler à une personne de confiance plutôt que de le garder pour lui. Il regarda un instant l'objectif de la caméra qui le fixait, jusqu'à repartir dans la direction opposée.

***

Pendant ce temps, Jane entra dans la salle Enigma, où l’attendaient Kahlan et Sidonie. L’atmosphère était lourde, presque suffocante, chargée de tensions non exprimées. La cheffe de HOPE était déterminée à éclaircir la situation concernant Sidonie. Lydia l’avait informée du dilemme déchirant imposé par Kahlan : rester à HOPE et le perdre définitivement, ou partir avec lui pour une vie de fuite incessante. Jane refusait catégoriquement de perdre Sidonie. Pour elle, la lutte contre la BMRA primait sur tout.

 

Kahlan, affaibli, était assis dans une chaise roulante, encore incapable de se mouvoir pleinement malgré des semaines de convalescence. Ses jambes, meurtries par des années de captivité, refusaient de le porter. Sidonie, fidèle à elle-même, s’occupait de lui avec une dévotion totale, l’aidant à enfiler sa chemise. Elle supportait son humeur acariâtre et ses silences glacials, portée par un amour si puissant qu’elle se sentait coupable de son état. Elle espérait qu’il finirait par céder, mais son silence obstiné sur la question qu’elle lui avait posée maintenait une tension insupportable.

  • Bonjour, Kahlan, lança Jane d’une voix froide.

  • Vous. Je m’attendais à vous voir débarquer tôt ou tard, grogna-t-il, sans lever les yeux.

  • Je mentirais si je disais que c’est un plaisir de vous revoir, répondit-elle avec ironie. Vous n’avez pas changé depuis NickroN, en 2103.

  • Et vous, toujours ce ton hautain, comme si le monde devait plier sous vos caprices.

  • Si seulement c’était possible, sourit-elle en coin. Mais trêve de civilités. Puisque vous êtes sous mon toit, il est normal que nous ayons une petite conversation.

  • Je n’ai rien à vous dire, rétorqua Kahlan en serrant les accoudoirs de sa chaise roulante.

 

Sidonie s'interposa, la voix tremblante.

  • Jane, je vous en prie. Laissez-moi gérer ça. Ce n’est pas nécessaire d’envenimer la situation.

 

Jane la fixa, son regard perçant reflétant une détermination inébranlable.

  • Sidonie, je ne cherche pas à envenimer quoi que ce soit. Mais en tant que cheffe de ce site, je ne resterai pas les bras croisés à regarder l’un de mes meilleurs éléments abandonner stupidement la lutte contre la BMRA.

 

Kahlan bouillonnait intérieurement. L’évocation de ce combat le ramenait à des souvenirs douloureux : les actions terroristes qu’il avait menées avec des résistants clandestins, son arrestation brutale, les tortures qui avaient suivi, et les années passées dans un centre de reconditionnement. Jane, à ses yeux, n’était qu’une version sophistiquée des monstres qu’il avait affrontés.

  • Vous êtes folle si vous pensez arrêter la BMRA ! Je ne vous laisserai pas entraîner Sidonie dans votre guerre perdue d’avance. Vous sacrifiez les gens comme ces salauds de NickroN !

  • Kahlan, arrête, le supplia Sidonie, craignant que la situation ne dégénère.

 

Jane pinça ses lèvres, visiblement agacée.

  • Ingrat ! Qui vous a sorti de ce centre de reconditionnement, malgré les risques encourus par mon agent ? siffla-t-elle. Ne me parlez pas de morale, vous n’êtes qu’un ingrat. Je tolère votre présence uniquement parce que Sidonie vous aime. L’amour peut rendre aveugle à la raison. Mais je vous avais averti des conséquences de vos choix à NickroN, Kahlan, et vous avez préféré les ignorer.

  • Je vous emmerde, vous et vos conseils ! Vous n’auriez jamais dû me sauver ! cracha Kahlan. Vous avez manipulé Sidonie en échange de ma libération. Vous êtes dépourvue de cœur et d’honneur. Je ne serai jamais des vôtres.

 

Jane prit une profonde inspiration, tentant de maîtriser la colère qui montait en elle.

  • Vous ne comprenez rien. Croyez-vous que vous vivrez heureux et en sécurité en dehors de HOPE ? L’agence vous retrouvera. Et quand ce sera fait, elle vous tuera, vous et Sidonie. Vous appelez ça une vie ? Moi vivante, je ne laisserai pas Sidonie sacrifier son avenir pour une passion vouée à l’échec.

  • Je vous tuerai si vous vous interposez ! hurla Kahlan, hors de lui.

  • Ça suffit ! hurla à son tour Sidonie, se tenant la tête entre les mains. Vous vous disputez comme si je n’avais pas mon mot à dire ! Nous sommes censés être dans le même camp, mais vous faites exactement ce que l’agence veut : nous diviser !

 

Un silence pesant s'installa. Jane reprit la parole, plus posée cette fois.

  • Alors, Sidonie, que décidez-vous ? demanda-t-elle. Moi et HOPE, ou Kahlan ?

 

Sidonie sentit tous les regards converger vers elle. Elle posa les yeux sur Kahlan, sur ses traits marqués par la douleur et les épreuves. Son regard, autrefois si sombre et séduisant, semblait maintenant hanté. Puis, elle tourna son attention vers Jane, toujours droite, impassible et pleine d’assurance.

Le choix qui se présentait à elle était cruel. Peu importe sa décision, elle perdrait une part d’elle-même. Lutter pour un avenir meilleur ou fuir avec l’amour de sa vie pour une existence incertaine ? Son esprit et son cœur se livraient une bataille sans merci, incapable de trancher.

  • Je n’y arrive pas... C’est trop dur ! sanglota Sidonie, les larmes ruisselant sur ses joues. Je n’ai aucune solution. Vous n’avez pas le droit de m’imposer ça...

  • Tu vas fuir, encore ? C’est ça, Sid' ? lança Kahlan, son ton mêlant reproche et douleur.

  • Je vous le concède, Sidonie, intervint Jane, imperturbable.

 

Sidonie releva la tête, confuse.

  • Que voulez-vous dire ?

  • Vous êtes libre de prendre votre décision en toute conscience, mais je crains que le temps vienne à nous manquer, jeune fille, déclara la cheffe d’un ton glacial. Cependant, laissez-moi parler à Kahlan, de manière courtoise entre gens civilisés.

 

​Kahlan fronça les sourcils, méfiant.

  • Qui vous dit que j’ai envie de vous parler ? pesta-t-il avec mépris. Je ne changerai pas d’avis.

  • J’ai pourtant la conviction que nous pourrions trouver un terrain d’entente, un compromis qui épargnerait à Sidonie d’être prise dans nos querelles inutiles. Êtes-vous capable de mettre votre fierté masculine de côté et de m’écouter, Kahlan ?

 

​Kahlan resta silencieux un instant, son regard assombri.

  • Vous êtes sincère, Jane ? Vous prétendez avoir une solution ? s'enquit Sidonie.

  • Peut-être bien, du moins temporairement, répondit-elle, le regard perçant. Je n’ai aucune raison de vous mentir. Vous savez que je suis prête à faire certaines concessions pour atteindre mes objectifs. Pendant que je parlerai à votre compagnon, Sidonie, je souhaiterais que vous alliez voir Lydia. Laissez-nous, je vous prie.

 

Le cœur lourd, Sidonie quitta la pièce, le regard voilé d’une crainte indéchiffrable. Jane allait-elle vraiment arranger les choses ? Rien n’était moins sûr. Pourtant, Sidonie savait que la comtesse tenait toujours parole, et cet infime espoir suffisait à apaiser, un peu, son esprit tourmenté.

En errant dans les couloirs, elle se rappela que Lydia était auprès d’Hannah dans sa chambre. Interrogeant brièvement HOPE, l’intelligence artificielle confirma leur localisation. Intriguée, Sidonie décida d’attendre dans le salon.

Prévenue par HOPE que Sidonie souhaitait la voir, Lydia la rejoignit au bas des escaliers. Sidonie l’accueillit d’un murmure, manifestant une fatigue visible qui n’échappa pas au regard attentif du médecin. Lydia voulut l’examiner, mais Sidonie refusa fermement, assurant que tout allait bien. Elle ajouta que Jane avait insisté pour qu’elle parle au médecin.

Lydia, intriguée, peinait à cacher son étonnement. Elle connaissait la réticence habituelle de Sidonie à se ménager, particulièrement lorsqu’elle avait veillé Kahlan durant son coma. Intérieurement, Lydia comprit que Jane cherchait probablement à éloigner Sidonie le temps de discuter avec Kahlan pour trouver une solution.

Sidonie soupira, agacée, tout en se pinçant l’arête du nez, trahissant son manque évident de sommeil et de repos.

Profitant de l’instant, Lydia insista pour que Sidonie s’asseye dans la cuisine. Elle lui prit la tension, compta ses pulsations cardiaques, et lui tendit un verre d’eau fraîche. Après quelques paroles rassurantes, elle obligea Sidonie à manger un fruit pour éviter l’inanition.

Elles échangèrent doucement, jusqu’à ce que Lydia mentionne la grossesse d’Hannah. Sidonie en resta abasourdie, encore plus en apprenant que le père de l’enfant n’était autre que Lucas. Lydia expliqua qu’ils avaient succombé lors de leur première nuit passée ensemble au site Mu, que la tension et les évènements les avaient certainement rapprochés malgré leurs différends.

Sidonie se mura dans un silence pesant, regrettant de s’être éloignée de ses amis et de ne pas avoir perçu ce qui se jouait autour d’elle. Pourtant, elle trouva une once de réconfort en apprenant que Lucas prenait ses responsabilités envers Hannah et leur futur enfant.

Elle voulut profiter de ce moment pour aller voir Hannah, mais Lydia lui en dissuada, lui rappelant qu’elle devait se reposer et attendre l’avis de Jane.

Après le départ de Lydia, Sidonie resta seule, son esprit agité par des pensées contradictoires. La nouvelle de la grossesse d’Hannah et de la paternité de Lucas ravivait son inquiétude. Son amie avait succombé à l’amour pour un homme qui ne pouvait l’aimer comme elle l’espérait, mais la décision de Lucas d’être présent pour Hannah et leur enfant réchauffait un peu le cœur de Sidonie. Elle se promit d’aller les voir pour réparer son absence prolongée, marquée par l’incertitude et le doute concernant le sort de Kahlan.

Poussée par cette résolution, elle se dirigea vers la salle Enigma, où Jane se trouvait avec Kahlan. En s’approchant de la porte sécurisée, elle entendit soudain la voix autoritaire de Jane, plus stricte qu’à l’accoutumée, ce qui interrompit son élan.

Tendant l’oreille, Sidonie écouta attentivement ce qui se disait à l’intérieur.

  • Vous m’avez bien compris, Kahlan ? Vous ne devez rien dire !

  • Oui, répondit l'amant de Sidonie, à contrecœur.

Un frisson parcourut la jeune femme. Une fois encore, elle avait l’impression qu’on lui cachait des choses. Elle prit une profonde inspiration et entra dans la pièce. Jane se retourna immédiatement, esquissant un sourire calculé.

  • Bien, commença Jane. Kahlan et moi avons trouvé un terrain d’entente. Nous vous accordons un sursis de plusieurs mois.

  • Un sursis ? répéta Sidonie, méfiante.

  • Oui. Il serait vain de tenter de vous convaincre de rester à HOPE de façon définitive. Ce n’était pas prévu au départ. Cependant, puisque nous préparons une mission capitale, à laquelle votre présence est indispensable, vous n’aurez plus aucune raison de rester ici après son succès. Vous me suivez ?

  • J’avoue que ça reste flou, admit Sidonie, perdue dans les implications de ces paroles.

  • Vous aimez ce jeune homme, reprit Jane avec une froide assurance. Si nous détruisons la BMRA, vous serez libre d’aller où bon vous semble.

  • Quand partons-nous en mission ?

  • Je ne peux pas encore l’affirmer avec précision, répondit Jane. Mais j’ai donné un délai maximal de six mois. Kahlan a accepté ce compromis.

 

Sidonie tourna son regard vers Kahlan, cherchant une confirmation.

  • Vraiment ?

  • Oui, répondit-il sèchement, évitant de croiser son regard.

  • Si cela peut nous permettre d’avancer, alors d’accord, soupira Sidonie, résignée. C’était la seule solution valable.

  • En effet, comme de reprendre des forces, répliqua Jane. Lydia vous a certainement demandé de prendre soin de vous, Sidonie.

  • Oui, et elle m’a raconté pour Lucas et Hannah.

 

​Jane haussa un sourcil, son ton devenant plus incisif.

  • Que vous a-t-elle dit, exactement ?

  • Que Lucas et Hannah attendent un enfant. C'est à peine croyable.

  • Les nouvelles vont vite à ce que je vois, dit-elle en reprenant son attitude hautaine, un sourire aux lèvres. D’un côté, cela me fera gagner du temps. Je vous conseille de ne pas trop ennuyer Hannah, elle reste encore très fragile.

 

​Sidonie se mordit les lèvres, hésitant à poser la question qui lui brûlait depuis son entrevue avec Lydia :

  • Jane, avez-vous quelque chose à voir avec tout ça ?

 

La comtesse éclata d'un rire bref, presque moqueur. Puis elle reprit cette attitude hautaine qui la caractérisait tant :

  • Allons, Sidonie, ne soyez pas absurde. Je ne manipule pas les gens jusqu’à les forcer à se rapprocher. Ce serait inutile, et je considère qu'il existe parfois un heureux hasard. Si vous voulez un conseil de ma part : préoccupez-vous moins du passé et davantage de l’avenir.

 

​Sidonie, bien que peu convaincue, choisit de ne pas insister.

  • Si vous le dîtes...

  • Vous êtes épatante de secrets et de mystères, lança Kahlan avec mépris. Vous considérez vos semblables comme des pions qu'on manipule sans aucun sentiment.

  • Je pourrais en dire autant de vous, répondit Jane avec une pointe de sarcasme en se levant. Bien, puisque nos différends sont réglés, je vous souhaite bonne chance, Kahlan. Partez avant le coucher du soleil, sans vous retourner. Adieu.

 

Jane quitta la salle Enigma, laissant Sidonie et Kahlan seuls. Le silence s’abattit entre eux, lourd et oppressant, mais la tension était palpable. Sidonie ne pouvait ignorer ce goût amer qui lui restait en bouche, cette impression d’être manipulée, comme une pièce sur l’échiquier de Jane. Elle savait que quelque chose lui échappait.

Prenant une inspiration profonde, elle affronta directement son compagnon :

  • Qu’est-ce que tu ne dois pas dire, Kahlan ?

 

Le trentenaire tressaillit. Il savait qu’elle avait entendu la fin de sa conversation avec Jane. Ses mains crispées sur les accoudoirs du fauteuil trahissaient son malaise, mais il resta d'abord silencieux, le regard perdu dans un coin de la pièce.

  • Tu me caches quelque chose. Je le sais, insista Sidonie, refusant de lâcher prise.

 

Kahlan détourna les yeux, l’agacement perçant dans sa voix.

  • Et toi, Sid’, tu n’es pas étrangère aux cachotteries, n’est-ce pas ?

 

La remarque cingla comme un fouet. Sidonie baissa légèrement les yeux, mais elle refusa de se laisser abattre.

 

  • Pourquoi, Kahlan ? Pourquoi est-ce qu’on se déchire autant ? demanda-t-elle, presque suppliantes.

 

Kahlan éclata d’un rire amer, un sourire sans joie effleurant ses lèvres.

  • Je te retourne la question, lança-t-il d’un ton acerbe. Tu m’as déjà menti. Tu m’as abandonné. Rends-toi compte de la portée de tes actes, Sidonie. Au fond, qui es-tu vraiment ?

  • J’en suis consciente… murmura-t-elle, sa voix brisée par la culpabilité.

 

Mais Kahlan ne relâcha pas la pression, sa colère retenue s'échappant en un flot de reproches.

  • Malgré tout ce qu’on a vécu, tu n’as pas changé. Jane t’a offert ce compromis pour te maintenir dans sa mission suicide. Mais crois-moi, tu n’en ressortiras pas indemne. Il est encore temps de partir, de tout quitter. On pourrait tout recommencer, toi et moi, loin d’ici, loin de ce chaos.

  • Si tu m’aimes vraiment, alors pourquoi ne restes-tu pas ? Avec moi. Avec nous ! Pourquoi fuir encore ? Nous pourrions affronter cela ensemble, riposta Sidonie, sa voix tremblante d’émotion.

  • Ce n’est plus mon combat, Sidonie. Les variants doivent se débrouiller seuls.

 

Sidonie recula d’un pas, comme si ces mots l’avaient frappée de plein fouet.

  • Tu as tort, Kahlan, dit-elle, sa voix gagnant en force. J’ai fui toute ma vie. Mais j’ai compris qu’on ne peut pas fuir éternellement. Nous avons le pouvoir de changer les choses. Les innocents qui se font traquer, torturer, tuer… ça ne te révolte pas ? Tu as subi leurs tortures pendant des mois ! Détruire la BMRA, c’est se donner une chance de vivre sans avoir à se cacher, d’être libres ! Jusqu’où devra aller cette agence pour que tu te réveilles enfin ?!

 

Kahlan secoua la tête, son regard dur et fermé.

  • Je vais partir, Sidonie. Rien de ce que tu pourras dire ou faire ne changera cela. Et crois-moi, tous les variants ne sont pas des innocents. Certains sont dangereux, d’autres cherchent à dominer sous prétexte de bonnes intentions. Regarde Jane ! Tu veux vraiment te sacrifier pour sa cause ?

  • Alors, reste. Aide-nous à combattre l'Agence et reste à mes côtés si tu penses que Jane est dangereuse !

  • Ce combat n’est pas le mien, trancha-t-il, catégorique. Si tu tiens ta promesse, rejoins-moi quand tout sera terminé. Sinon, continue à te perdre dans cette spirale destructrice. Mais ne compte pas sur moi pour refaire la même erreur deux fois.

 

Sidonie sentit ses jambes vaciller.

  • Je ne peux pas te laisser partir comme ça, après tout ce que tu viens de dire… Je ne veux pas.

  • On ne peut pas tout avoir, Sidonie, dit-il en évitant son regard, presque sur un ton de regret.

  • Comment veux-tu que je change si tu refuses de me donner une seconde chance ?

  • Tu perds ton temps, lâcha-t-il froidement. J’ai besoin d’être seul un moment.

 

Sidonie fixa Kahlan, espérant un dernier signe, un mot, une hésitation. Mais il n’y en eut aucun. Elle hocha la tête, les épaules affaissées sous le poids de la défaite.

  • Très bien. Je vais te laisser… Je dois parler à quelqu’un, murmura-t-elle avant de quitter la pièce, le cœur lourd.

Sidonie toucha la main de Kahlan avec une douceur hésitante, cherchant un contact, un apaisement. Contre toute attente, il tourna la sienne pour entrelacer leurs doigts. Malgré ses paroles cinglantes, Kahlan ne pouvait se résoudre à se passer d’elle. Sidonie comptait tellement à ses yeux, même si la rancœur qu’il portait depuis des années pesait lourd sur son cœur. Une pensée fugace le traversa : que lui resterait-il si elle disparaissait pour toujours ?

Quand Sidonie se pencha pour l’embrasser, il resta de marbre, partagé entre l’envie de la retenir et le besoin de se protéger.

***

Lorsque la porte se referma derrière elle, Sidonie sentit les larmes monter, incontrôlables. Elle avait l’impression que tout lui échappait, que la situation s’effritait entre ses doigts. Kahlan lui cachait quelque chose, elle en était certaine. Mais il était tout aussi certain qu’il ne lui dirait rien.

Perdue dans ses pensées, elle se rappela soudain Tobias. Avec son don de télépathie, peut-être pourrait-il l’aider à percer le mystère.

Dans la maison, tout le monde semblait occupé. Profitant de ce moment de répit, Sidonie se dirigea vers la chambre de Tobias. À son arrivée, elle vit qu’il était sous la douche. Elle entra tout de même, observant par la fenêtre les nuages sombres s’amonceler au-dessus de Los Angeles. L’hiver semblait s’éterniser, refusant de céder la place à un printemps déjà tardif.

Tobias sortit de la salle de bain, vêtu d’une simple serviette nouée à la taille, ses cheveux encore humides.

  • Oh putain, Sidonie ! s’exclama-t-il en resserrant sa serviette. J’ai cru que c’était Tristan qui venait me buter ! Qu’est-ce que tu fous là ?

  • Tu m’as envoyé un message pour me dire de me méfier de Tristan. Pourquoi ?

 

À cette mention, Tobias tressaillit légèrement. Il détourna les yeux, visiblement troublé.

  • Ce type, je ne le sens pas. Il m’a menacé tout à l’heure. Je crois qu’il pourrait te demander de retourner dans le passé pour l’aider à sauver sa famille.

 

Sidonie resta impassible, masquant ses émotions. Pourtant, elle prit les paroles de Tobias au sérieux.

  • D’accord, merci pour l’avertissement. Tout comme Martha, je ne peux pas lui rendre sa famille, même si on tentait quelque chose.

 

Un silence pesant s'installa, jusqu'à ce que Tobias, peu pudique mais grelottant, reprenne la parole :

  • Tu voulais autre chose ? demanda le jeune homme, méfiant, maintenant fermement sa serviette.

  • Oui. Désolée d’aller droit au but, mais j’ai besoin de ton aide, déclara-t-elle avec détermination.

  • A quel sujet ?

  • Kahlan me cache quelque chose. Je dois savoir quoi avant qu’il parte de HOPE.

Tobias soupira. La télépathie était un don extrêmement puissant, mais la plupart des gens oubliaient qu’elle apportait également de terribles inconvénients. Lorsqu’il était plus jeune, Tobias utilisait constamment ses capacités afin de démasquer les personnes malhonnêtes. Mais à force de sonder l'esprit d'autrui, il se rendit compte que la nature humaine n’était pas seulement constituée que de vertus. Le mensonge, la duperie, la trahison, la médisance et le mal faisaient parties intégrantes de la vie. Tobias se promit de ne plus abuser de ses facultés au risque de perdre pieds avec la réalité et toute foi dans les rapports humains, il lui fallait accepter une part d'imperfection.

Il passa une main dans ses cheveux humides avant de chercher des vêtements dans son armoire.

  • Tourne-toi, Sidonie, le temps que je m’habille, dit-il, presque en riant.

 

Elle obéit, mais nota malgré elle la carrure de Tobias, résultat évident de ses heures d’entraînement.

Lorsqu’il fut prêt, il la fixa avec sérieux.

  • Tu lui as demandé directement ?

  • Il refuse de me le dire.

  • Et tu crois qu’il va gentiment me laisser entrer dans son esprit pour que je trouve la réponse ?

  • Tu l’as bien fait quand il était inconscient, répliqua-t-elle.

  • Ce n’est pas aussi simple que tu le crois, Sidonie.

  • Tu refuses de m’aider ? Tu le fais bien quand Jane te le demande, non ?!

  • Tu ne peux pas m’obliger à faire ça, Sidonie. Ça n’a rien à voir.

  • Bien sûr que si ! Pourquoi tout le monde me prend pour une idiote ? J’ai l’impression que vous jouez tous avec moi ! À part Lucas, j’ai l’impression qu’on se sert de moi comme d’une gamine. J’en ai assez !

 

Tobias secoua la tête, visiblement las. D’un geste vif, il attrapa son bandeau anti-télépathie et le plaça sur son front, cherchant à calmer l’agitation dans son esprit.

  • Désolée, Tobias, je n’aurais pas dû m’énerver contre toi… murmura-t-elle, coupable.

 

​Il la regarda, son expression plus douce.

  • Sid’, si tu veux parler, je suis là. Mais pour ce coup, tu vas devoir te débrouiller seule. Je n’utiliserai pas la télépathie.

  • Je t’en prie, insista-t-elle.

  • Non, trancha-t-il fermement. Je ne suis pas là pour fouiller les esprits des autres à tout bout de champ ! Tu sais ce que c’est de ressentir toutes leurs pensées ? Leur joie, leur haine, leur malveillance… Tu ne peux pas m’imposer ça.

 

Sidonie baissa les yeux, vaincue.

  • Tu as sans doute raison, murmura-t-elle.

  • Écoute, Sid’, reprit-il d'un ton apaisant, je crois que Kahlan te dira ce qu’il a en tête le moment venu. Une chose est sûre : il t’aime, je l’ai senti lorsque j’ai sondé son esprit. Laisse-lui le temps.

Ces mots touchèrent Sidonie, mais elle resta silencieuse, troublée.

 

Lucas entra dans la pièce, visiblement surpris de voir Sidonie et Tobias en pleine discussion.

  • Qu’est-ce que tu fous là, toi ? lança Tobias en direction de Lucas, feignant l’agacement.

Lucas referma calmement la porte derrière lui sans répondre. Il adressa un bref signe de tête à Sidonie avant de s’approcher de Tobias. Sans lui laisser le temps de réagir, Lucas l’attrapa par surprise et l’embrassa rapidement, comme si ce geste était une nécessité absolue. Il voulait le remercier pour le réconfort apporté par télépathie après l’annonce de la grossesse d’Hannah et de sa future paternité.

Ce fut le premier baiser de Lucas et Tobias dans la réalité, même si les sensations et la passion étaient identiques dans les stases psychiques où ils se retrouvaient en cachette.

Sidonie, témoin de cette scène inattendue, regarda les deux jeunes hommes avec un mélange de surprise et de bienveillance. Tobias, quant à lui, resta bouche bée, figé par la spontanéité de ce moment délicat.

  • Eh bien… Je vois que vous vous entendez bien tous les deux, plaisanta-t-elle avec une pointe de taquinerie. C’est bien, je suis contente pour vous.

 

Lucas sourit légèrement, puis caressa doucement la joue de Tobias avant de relâcher lentement son étreinte. Son regard était apaisé, libéré d'un fardeau qui le hantait depuis plusieurs mois.

  • Désolé, Sid', fit Lucas en se tournant vers elle, légèrement gêné. 

  • Mais… Pourquoi t’as fait ça ? Et Jane ? Elle va nous faire chier, non ? s’inquiéta Tobias, visiblement nerveux. Tu le lui as dit ?!

  • Plus besoin de se cacher, répondit Lucas avec assurance, hochant la tête pour le rassurer.

Tobias sembla soulagé, son visage s’éclairant d’un sourire sincère. Pourtant, la présence de Sidonie dans la pièce l’empêcha de manifester plus ouvertement son affection envers Lucas. Mais Sidonie avait certainement besoin de lui parler, et il choisit de les laisser discuter.

  • Bon… Je vais vous laisser. J’ai des trucs à faire en bas, ajouta-t-il avant de pointer Lucas du doigt avec un sourire espiègle. Et toi, le beau blond, tu ne dors pas dans ta chambre ce soir !

Pour appuyer ses dires, Tobias fit une petite tape sur le torse de Lucas. Le descendant de Jane rougit à cette remarque explicite, alors que Tobias quitta la pièce, ravi et avec un sourire satisfait, laissant son compagnon légèrement gêné.

Dès que la porte se referma, Sidonie s’approcha de Lucas sans un mot et l’enlaça spontanément. Surpris, Lucas ne bougea pas immédiatement, mais il comprit vite qu’elle cherchait du réconfort. Il l’entoura de ses bras, laissant ses mains glisser doucement sur son dos dans des gestes empreints de tendresse.

Il sentit la tension dans le corps de Sidonie, une douleur qu’elle semblait porter seule, sans parvenir à l’exprimer.

  • Que se passe-t-il, Sid’ ? murmura-t-il avec douceur.

 

Sidonie resta silencieuse quelques instants, serrant Lucas un peu plus fort. Elle ressentait quelque chose d'étrange, comme si elle avait peur de se détacher.

  • Je suis tellement désolée, Lucas.

  • Désolée de quoi ? demanda-t-il en reculant légèrement pour la regarder dans les yeux, cherchant à comprendre.

  • Je me sens si mal… Je te jure, je ne voulais pas te mentir à Seattle. Tout ce que je t’ai dit lors de nos retrouvailles était vrai. Je tiens tellement à toi, Lucas.

  • Je le sais, Sid’. Moi aussi, tu comptes énormément pour moi, répondit-il doucement.

  • Pardonne-moi de ne pas t’avoir aidé ces derniers mois, poursuivit-elle, la voix tremblante d’émotion.

 

Lucas fronça les sourcils, déconcerté.

  • Pourquoi tu dis ça ? Tu sais bien que je suis ici grâce à toi !

 

Sidonie ne put contenir plus longtemps ses larmes, qui coulèrent silencieusement sur ses joues. Lucas l’invita à s’asseoir sur le lit, cherchant à l’apaiser. Il lui tendit un mouchoir, qu’elle accepta avec reconnaissance.

Un instant, il hésita. Mais voyant sa peine, il décida qu’il était temps de lui partager l’heureuse nouvelle, espérant que cela puisse adoucir son chagrin.

  • Sid’… Écoute, j’ai quelque chose à te dire, déclara-t-il doucement, un sourire naissant sur ses lèvres.

Sidonie leva les yeux vers lui, intriguée, tandis qu’il posait une main rassurante sur la sienne.

Jeanne Roselys

Jane

Aleksandr Orlov

Aleksandr

HOPE

HOPE

Tobias Olsson

Tobias

Lydia Sorel

Lydia

Lucas Roselys

Lucas

Hiro Hawk

Hiro

Sidonie Wallorn

Sidonie

Tristan Harker

Tristan

Année 2117 | 29 mars, 20 h 00 – QG HOPE,  Santa Monica - Los Angeles - Californie

 

Tous les résidents continuaient d'intensifier leurs entraînements physiques et stratégiques en attendant le retour de Tristan. Ce dernier, faussaire ingénieux avec un ADN non muté, utilisait des expressions codées comme « faire les courses » pour désigner ses expéditions, où il rapportait du matériel volé ou obtenu via le marché noir. Cette fois, il avait pris soin de modifier les plaques d’immatriculation et de repeindre la fourgonnette utilisée lors de leur fuite du site Mu. Avec l’aide des robots-serviteurs, il déchargea les vivres, le matériel informatique et médical. Ces provisions étaient destinées à constituer des réserves pour plusieurs années, au vu de l’effondrement politique imminent.

Aleksandr, quant à lui, surveillait de près la situation. La BMRA semblait sur le pied de guerre depuis des semaines, préoccupée par les conséquences sanitaires du virus de Golden Valley. Dans cette frénésie, l’agence multipliait les raids pour capturer des variants dans les grandes villes, supposés "contaminés" ou probablement à haut risque, employant tous les moyens nécessaires : dénonciations, arrestations arbitraires, enlèvements, et exécutions sommaires menées par des milices privées. Les médias, sous le contrôle des élites corrompues, détournaient le regard de ces horreurs.

Jane Roselys, confrontée à cette boucherie, posa une question essentielle aux chefs de section : fallait-il risquer leur couverture pour sauver leurs congénères emprisonnés dans les centres de reconditionnement ? La réponse fut presque unanime : ils n'étaient pas prêts à prendre un tel risque. Malgré leur refus, Jane choisit d’ignorer ces avis. Elle ne pouvait tolérer l’inaction face à tant d’atrocités. Cette décision, bien que risquée, renforça sa détermination à anéantir la BMRA, peu importe les conséquences politiques ou sociales. Jane savait, mieux que quiconque, que chaque guerre engendre des innocents sacrifiés.

Pendant ce temps, Jane et Tristan passaient de longues heures en aparté, discutant des implications d’une attaque contre la BMRA. Ils étaient pleinement conscients que cette destruction plongerait la Fédération Unie dans une instabilité politique et économique durable, avec une recrudescence des violences, voire le spectre d’une guerre civile. Forte de son expérience à travers les époques, Jane pesait les risques tout en cultivant l’espoir d’un avenir meilleur.

L’atmosphère au sein de HOPE était tendue. Les résidents, soumis à la dégradation constante de la situation politique, vivaient dans l’anxiété. Les attentats et émeutes se multipliaient, alimentés par des lois liberticides imposées par le gouvernement fédéral. Tristan, observateur aguerri, percevait ce changement. Les plus jeunes, inexpérimentés, peinaient à maîtriser leurs émotions, tandis que les vétérans comme lui se refermaient sur eux-mêmes. Tobias, particulièrement, évitait Tristan après leur altercation et avait mis Lucas en garde contre lui.

De son côté, Aleksandr finalisait le nouvel Héliosis 2 sur le toit de HOPE. Sa descente triomphale dans les escaliers ne passa pas inaperçue. Cet engin révolutionnaire, équipé d’un camouflage perfectionné, pouvait devenir invisible à l’œil nu et échapper aux radars les plus sophistiqués. D'ordinaire réservé sur ses émotions, Aleksandr ne dissimulait pas sa fierté. Même Jane Roselys ne put cacher son émerveillement face à cette prouesse technologique.

Cependant, la relation entre Aleksandr et Tristan demeurait explosive. L’ancien membre des Forces spéciales américaines voyait d’un très mauvais œil la présence de l’ingénieur néo-russe dans l’équipe. Pour lui, Aleksandr représentait un ennemi. La Novoya Russia, patrie d’Aleksandr, multipliait les cyberattaques contre la Fédération Unie, sapant une économie déjà vacillante. Cette hostilité réciproque força Jane à intervenir pour apaiser les tensions. Une confrontation ouverte risquait de compromettre leur mission commune.

***

Le 29 mars, tous les résidents de HOPE furent convoqués pour le dîner à 19h50, à l’exception d’Hannah. Chacun s’installa autour de la table soigneusement préparée par les robots, mais un silence lourd régnait. Les regards échangés, chargés d’interrogations, trahissaient l’appréhension de ce qui allait être annoncé.

Sidonie, plus apaisée qu’à l’accoutumée, et Aleksandr occupaient les sièges suivants, tandis qu’en face se trouvaient Lydia, Hiro et Tristan, chacun enfermé dans ses pensées. HOPE apparut au centre de la table, son hologramme bleuté diffusant une lumière froide, mais elle resta silencieuse, comme si elle partageait la tension ambiante. Une table d’appoint avait été aménagée pour Jane, qui arriva avec dix minutes de retard – une anomalie, connaissant son obsession pour la ponctualité.

  • Bonsoir à tous, salua Jane en entrant, une tablette holographique à la main qu’elle inséra dans une fente à proximité. Mangeons. Bonne dégustation, dit-elle en français, suivant la tradition.

 

Tous répondirent à son salut, mais l’atmosphère restait pesante. Tristan se tenait droit, presque rigide, tandis qu’Aleksandr le scrutait avec méfiance. Lucas, quant à lui, relâcha discrètement la main de Tobias sous la table, par crainte que Jane ne les réprimande pour cette petite marque d'affection. La comtesse française semblait avoir des yeux partout. Hiro, assis un peu plus loin, affichait une expression morose. Depuis la mort de Walter et le retrait progressif d’Hannah, il se sentait isolé. L’attitude désinvolte de Tobias, et les différends antérieurs entre Hannah et Lucas ne faisaient qu’alimenter son irritation.

Avec le rationnement imposé, le repas était bien moins copieux que celui, désormais gravé dans les mémoires, où Sarah avait trouvé la mort. Comme à l’habitude, le silence régnait, jusqu’à ce que Jane prenne la parole pour briser cette quiétude oppressante.

  • Bien. Je vois que vous avez terminé. Parlons maintenant de la prochaine mission, qui va durer plusieurs mois.

 

Elle inspira profondément, comme pour se préparer à prononcer des mots qu’elle aurait préféré taire.

  • Depuis plusieurs semaines, la BMRA a intensifié ses actions contre les variants. Selon les recherches d’Aleksandr et des sources fiables, près de mille personnes ont été arrêtées en l’espace de quatre mois. Parmi elles, des variants bien sûr, mais aussi des humains et leurs familles, accusés de haute trahison. Ces individus sont enfermés dans des centres de reconditionnement, où ils subissent tortures et exécutions. Chaque semaine, une vingtaine de ces malheureux sont mis à mort.

 

Tristan ne put retenir un mouvement d’agacement, ses poings se crispant sur la table. Autour de lui, l’auditoire, jusque-là impassible, laissait transparaître une indignation grandissante.

  • Madame, pourquoi n’intervenons-nous pas ? lança Tristan d’une voix tendue. Si nous libérons ces variants, nous pourrions renforcer nos rangs et frapper la BMRA avec plus de force.

 

Jane hocha la tête, comme si elle s'attendait à cette réaction.

  • Je comprends votre point de vue, Tristan. C’est également l’objectif que je poursuis depuis la création de ce projet. Mais c’est précisément ce qu’attend la BMRA. Ils connaissent notre existence et espèrent que nous agirons ainsi pour nous tendre un piège. HOPE me l’a confirmé : une intervention précipitée mettrait en péril nos efforts. Nous n’avons ni les moyens ni les forces nécessaires pour mener une guerre ouverte contre eux.

  • Alors laissez-moi y aller seul ! s’emporta le soldat. Je me chargerai de ces salauds !

  • Gardons notre calme, Tristan, répliqua Jane, sa voix posée mais ferme. Je ne suis pas insensible aux atrocités de l’agence, mais beaucoup de variants refusent de se battre, par peur ou par résignation. Nous devons concentrer nos efforts sur ceux qui partagent notre vision.

 

Hiro, qui n'avait pas pris la parole jusque-là, se redressa.

  • Alors, qu’allons-nous faire ? Nous ne pouvons pas rester ici, cachés, à attendre d’être les derniers survivants.

 

Jane le fixa un instant, comme pour sonder son esprit.

  • Vous avez raison, Hiro. Il est temps d’agir. Christian ne reculera devant rien pour nous faire passer pour des terroristes aux yeux du monde. Cette fois, il n’y aura aucun compromis. Ce sera lui ou nous, lança-t-elle en marquant une pause pour observer chaque visage. Je ne peux pas vous promettre que nous reviendrons tous vivants. Je suis désolée de vous imposer cela, mais c’est un combat que nous devons mener. Le courage sera votre meilleure arme contre la tyrannie.

 

Le silence retomba, mais cette fois, il était chargé d’une détermination lourde de sens. Chacun comprenait que l’heure n’était plus aux hésitations. Il ne s’agissait plus d’un simple combat idéologique : c’était une bataille pour la survie même des variants.

 

Jane le savait mieux que quiconque. Cette lutte aurait des répercussions majeures sur l’avenir, un avenir qui restait incertain malgré les visions parfois troublantes de Sidonie. Mais Jane, cheffe de guerre malgré elle, devait rassembler ses troupes, les préparer, les motiver pour un conflit qui n’offrirait ni répit ni indulgence.

Après un instant de silence, Aleksandr rompit la tension.

  • Missis, est-ce que les autres sites sont avec nous ? demanda-t-il d’un ton grave, les bras croisés.

 

Jane posa ses mains sur le dossier de sa chaise avant de répondre, sa voix mesurée mais ferme.

  • J’ai obtenu l’assistance logistique du site Thêta, sous le commandement de Karl Shneider. Cependant, ils n’interviendront pas directement. Pour les autres sites présents dans la Fédération Unie, seule la base Omicron, au Texas, a entamé des négociations avec nous. Quant au site Delta...

 

Elle marqua une pause, comme si elle hésitait à prononcer les mots.

  • Il vient de tomber.

 

Hiro se redressa vivement, sa voix trahissant son inquiétude.

  • Doit-on leur porter assistance ? demanda Hiro.

  • Négatif.

 

​L’absence d’émotion dans la réponse de Jane fit frémir certains. Hiro insista, mais Lydia parla la première.

  • Pourquoi les autres sites n’ont pas répondu ? Le projet serait-il abandonné ?

 

Jane la fixa un instant, presque peinée. Puis elle se redressa et répliqua avec force.

  • Pas tant que je serai vivante. Je n’ai pas l’intention de mendier leur aide ou de m’attarder sur leurs refus. Chaque site a ses propres batailles à mener, et la trahison d’Yrsa Delacroix du site Mu a détruit bien des alliances. Mais il y a une autre menace. Le virus. La BMRA perd le contrôle de la pandémie, et il se propage lentement sur toute la côte Ouest.

  • Pourquoi la presse n’en parle pas ? demanda Lydia, troublée.

 

​Aleksandr, qui surveillait la situation en temps réel via HOPE, intervint.

  • Ils étouffent tout. Mes collègues hackers confirment une augmentation des cas à Los Angeles. Et la BMRA exécute immédiatement les infectés.

  • Bon sang, murmura Lydia, la gorge nouée.

 

Jane fit le tour de la table, tandis qu’HOPE projetait des images clandestines. Des infectés, errants dans des ruelles sombres, s’attaquaient à des passants, mordre devenant leur seule pulsion. Une dernière vidéo montrait un cameraman horrifié, attaqué avant que l’écran ne s’éteigne brusquement.

  • Docteur, quelles sont vos observations concernant ce virus ? demanda Jane en se tournant vers le médecin.

 

Lydia, le regard fixé sur les images, répondit avec gravité.

  • D’après mes études des échantillons ramenés, ce pathogène est d’une rapidité terrifiante. Et... il ne s’arrête pas aux variants. Il affecte également les humains.

  • En êtes-vous certaine ? demanda Jane, tendue, en fronçant les sourcils.

  • Oui, madame. Je suis formelle. Tristan a accepté de me fournir un échantillon de son sang, et les résultats sont similaires, bien que les effets soient plus lents. Ce virus modifie les gènes à une échelle effrayante. Ce n’est pas naturel ; il a été conçu pour s’attaquer aux structures mêmes de l’ADN. Je ne peux pas travailler seule sur un antidote.

 

Jane ferma les yeux un instant, la mâchoire serrée, avant de reprendre d’une voix résolue.

  • Nous n’avons pas le temps, docteur. Si vos conclusions sont exactes, nous faisons face à deux fronts : un virus qui risque de plonger le monde dans le chaos, et un génocide de masse orchestré par la BMRA. Pourquoi, pourquoi cherche-t-il à faire tant de mal ?

 

Elle parlait de Christian Pieriam, le président de l’agence, sa voix lourde d’une colère contenue.

Le constat était clair : la situation était pire qu’ils ne l’imaginaient. HOPE leur offrait un refuge temporaire, mais ce faux sentiment de sécurité risquait de les éloigner des horreurs perpétrées à l’extérieur. Jane le sentait. Si elle laissait cette inertie les gagner, ils seraient perdus.

Jane appuya sur un paramètre du tableau de bord holographique. Aussitôt, des images et des détails précis de la mission apparurent au-dessus de la table, illuminant les visages concentrés des membres du groupe.

  • Depuis quelques jours, commença-t-elle, Tristan et moi avons réfléchi à l’ordre de mission que vous recevrez très prochainement. Nous sommes convenus qu’une attaque frontale contre la BMRA est absolument inenvisageable. La meilleure option qui s’offre à nous est l’infiltration. Un gala de charité organisé par l’agence dans le but de récolter des fonds auprès de donateurs privés. Ce rendez-vous national aura lieu cet été à Atlanta. Nous n’aurons pas d’autre occasion similaire avant un long moment. Le temps joue contre nous. Comme vous pouvez le constater, la sécurité sera maximale. Chacun d’entre vous aura un rôle crucial à jouer.

 

Un murmure parcourut l'assemblée. Hiro, le regard fixé sur les hologrammes, leva la main pour intervenir.

  • Avec leurs contrôles ADN renforcés, il sera presque impossible de passer avec nos brouilleurs habituels, déclara-t-il.

  • C’est précisément pour cela que Lydia a travaillé sans relâche. Elle a réussi à synthétiser des bloquants capables de neutraliser tous les tests existants, y compris les prises de sang rapides.

 

Le polymorphe haussa un sourcil, visiblement impressionné, tandis que Lydia semblait hésitante.

  • Pas mal...

  • Madame, je dois rappeler qu’il s’agit d’un prototype expérimental. Je n’ai pas eu le temps de mesurer les effets secondaires, ni de confirmer une efficacité totale. De plus, ces bloquants n’agiront que pendant une durée limitée.

 

Jane se tourna vers elle, son regard appuyé.

  • C’est un risque que nous devons accepter, Lydia. Nous n’avons pas le luxe de mener d’autres essais. Et Tristan sera là pour intervenir si nécessaire.

 

Elle reprit en désignant une nouvelle image sur l'hologramme : un homme souriant d'hypocrisie, portant un costume impeccable.

  • Voici Stanley Miller. Vous le connaissez sûrement comme porte-parole de la BMRA. Pourquoi lui ? Cet homme a accès à des informations que même mon contact au sein de l’agence ne peut obtenir. D’après nos renseignements, il entretient une liaison suivie avec une journaliste de FedNews, Catherine O’Hara. Cela pourrait être notre porte d’entrée.

 

Le plan se dessinait peu à peu, à la fois simple et bourré de risques. Tobias, visiblement mal à l’aise, demanda :

  • Donc... nous allons tous traquer ce type ?

  • Pas tous, répondit-elle avec fermeté. Je me chargerai personnellement de l’interrogatoire. Tobias, j’aurai besoin de vos talents télépathiques. Et Tristan sera présent pour sa persuasion légendaire.

 

​Elle jeta un coup d'œil à Tristan. Celui-ci esquissa un sourire sombre, ses yeux d’un vert vif brillant d’un désir évident de vengeance.

  • Avec plaisir, répondit-il, sa voix chargée de menace.

  • Nous savons d’après Aleksandr que Miller prendra le train express Allure of Liberty en direction d’Atlanta. Tobias, Tristan et moi serons à bord. Pendant ce temps, Hiro, Lucas et Sidonie auront pour mission de mettre en place un quartier général à Atlanta après avoir retrouvé un possible futur allié avant d’aller chercher du matériel.

  • De qui parlez-vous ? demanda Sidonie, intriguée.

  • Vous le verrez bien assez vite, répondit sèchement Jane. Mais prenez garde, la loyauté a tendance à vaciller selon ce qui est mis dans la balance. Je vous fais confiance pour dénicher la vérité du mensonge. Cette personne veut sans doute obtenir notre protection contre la BMRA qui va lui faire payer sa défection.

 

​Tristan grogna, incapable de contenir sa haine contre ces personnes qui changent de camp selon comment le vent tourne.

Aleksandr fronça les sourcils, visiblement déçu.

  • Je ne viens pas avec vous, missis ?

  • HOPE ne doit pas rester sans défenses. Vous resterez ici avec Lydia et Hannah pour assurer la sécurité de la base. Si les choses tournent mal, vous serez notre seule échappatoire avec l’Héliosis 2.

  • A vos ordres, missis, acquiesça Aleksandr en retrouvant son ton professionnel.

  • Bien, conclut Jane en se retournant vers le groupe, HOPE sera à votre disposition pour toute question. Lydia, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

Lydia hocha la tête, tandis que Lucas, resté silencieux pendant toute la réunion, tentait de chasser les doutes qui s’insinuaient dans son esprit. Cette mission ne lui inspirait rien de bon. Pourtant, il savait que ce moment était décisif. Il n’y aurait pas de retour en arrière.

Le jeune homme préféra poser la question qui lui hantait l'esprit : Hannah et la mise au monde de leur enfant.

  • Jane, êtes-vous sûre que je doive partir alors qu’Hannah est... hésita Lucas, l'inquiétude visible dans sa voix.

 

Hiro fronça les sourcils et s'empressa d'intervenir en dévisageant Lucas : 

  • Que lui arrive-t-il, au juste ?

  • Dois-je le leur dire, Lucas ? demanda Jane en fixant son descendant qui acquiesça silencieusement. Hannah ne fera pas partie de cette mission en raison de sa grossesse.

 

Un silence lourd s’abattit sur la pièce. Les regards, d’abord surpris, se tournèrent progressivement vers Lucas, qui semblait vouloir disparaître sur-le-champ. La nouvelle fit l’effet d’une bombe. Hiro resta figé, assimilant l’information. Qui était le père ? La réponse s’imposa rapidement : c’était Lucas.

Les non-dits devinrent éclatants. Les absences prolongées d’Hannah, l’attitude préoccupée de Lucas... tout prenait sens. Pourtant, une question persistait : Lucas n’était-il pas homosexuel ? La tension monta d’un cran lorsque ce doute, jusque-là gardé pour soi, se refléta dans les regards échangés autour de la table.

Tristan, ne cachant pas son amusement face à la situation, éclata de rire.

  • Putain, il manquait plus que ça ! Attends, Lucas, c’est toi le père ? Laisse-moi rire !

 

Lucas se redressa, la mâchoire serrée.

  • Et alors ? Qu’est-ce que ça peut te faire ? répliqua-t-il sèchement.

  • Rien du tout, mon gars, répondit Tristan en haussant les épaules, un sourire moqueur toujours accroché au visage. Mais je me demande si t’es prêt à gérer une mission de cette ampleur en sachant que ta copine et ton gosse vont rester ici.

 

​Avant que Lucas ne puisse réagir, Tobias lui prit la main dans un geste de soutien inattendu. Cette démonstration publique, pourtant simple, fit l’effet d’un coup de tonnerre dans la salle à manger.

  • Ce n’est pas sa copine, lança calmement Tobias, le regard défiant.

  • Ah ? Alors c’est toi sa petite amie ? railla Tristan, toujours moqueur.

  • Je t’emmerde, connard ! grogna Tobias, le visage dur et fermé.

 

La tension atteignit son paroxysme. Tristan se leva d'un bond pour se diriger vers Tobias, son regard chargé de défi. Mais avant qu’il puisse l'atteindre, Lucas se leva à son tour et dégaina son catalyseur pour protéger son compagnon se trouvant derrière lui. Lucas chargea la sphère bleutée d'une énergie prête à déferler sur la montagne de muscles qui se dressait devant lui. Le jeune homme était prêt à en découvre, et sa colère impressionna la majorité des personnes présentes.

  • Touche-le, et je te tue. Tu m’entends ? siffla Lucas, son ton glacial.

Un silence choqué envahit la pièce. Jane fronça les sourcils, visiblement mécontente. Tristan, furieux, sortit une lame, prêt à en découdre.

  • Ça suffit ! tonna Jane.

 

Par un geste de télékinésie, elle arracha les armes des mains de Lucas et de Tristan, les envoyant glisser sur la table. Elle força Tristan, Lucas et Tobias à retrouver leur place respective.

  • Asseyez-vous ! ordonna-t-elle, son autorité palpable. Et vous, Tristan, cessez immédiatement vos réflexions sur vos camarades. Nous sommes ici pour collaborer, pas pour nous entre-déchirer.

 

Tristan, sur les nerfs, grogna :

  • Je me fiche de ce qu'ils font dans leur lit. Je veux juste savoir si ces gamins seront capables de tenir le coup si l’un d’eux se fait capturer ou tuer. Avec ce que j’ai vu à Golden Valley, on court à la catastrophe. Vous avez pris ce risque en compte ?

 

Jane, imperturbable, lui répondit calmement :

  • Comme pour tous les autres. Je préfère que mes équipes se battent pour ce qui leur tient à cœur, plutôt que de les forcer à agir sans raison. Vous avez tous une motivation, un but, pour combattre la BMRA. Mais ces querelles inutiles doivent cesser immédiatement. Est-ce compris ?

  • Ça ne m’empêchera pas de penser que leur présence est une mauvaise idée, répliqua Tristan, croisant ses bras.

  • Votre opinion est notée, mais mes ordres sont clairs : vous collaborerez avec qui je désigne. Est-ce bien compris ?

 

Tristan bouillonna intérieurement en grinçant des dents. Il aurait tant voulu donner une bonne correction à Lucas et à Tobias pour leur impertinence, mais les temps actuels n'étaient pas propices à ces querelles futiles.

  • Cinq sur cinq, cheffe. Rien à ajouter.

 

Ils reprirent place autour de la table, mais les regards sombres persistaient. Tristan continuait de lancer des œillades provocantes à Lucas et Tobias, mais le descendant de Jane ne fléchit pas. La comtesse observa avec une pointe de satisfaction cette nouvelle témérité chez Lucas.

Pendant ce temps, Hiro ruminait intérieurement parce qu'il venait de découvrir : Hannah était enceinte. Et d'apercevoir Lucas plus investi dans sa relation avec Tobias que pour Hannah l'énervait au plus haut point. Lydia remarqua immédiatement le visage durci de son patient qui n'arrivait pas à cacher son mépris envers le descendant de Jane. Il pensa que, tôt ou tard, Lucas devrait répondre de ses actes et en payer le prix.

Un sentiment de malaise s’installait, menaçant de fragiliser davantage le groupe. Ce fut Sidonie qui brisa finalement le silence.

  • Cette prochaine mission sera la dernière pour moi. Une fois que la BMRA sera tombée, j'ai l'intention de retrouver Kahlan. J'ai fait la promesse de le rejoindre une fois que toute cette histoire sera terminée.

  • En effet, c'est ce qui a été convenu, ma chère, confirma Jane d’un ton neutre. D'autres questions ?

 

Personne ne répondit. Jane activa alors un fichier vidéo sur le tableau holographique.

  • Avant que vous retourniez dans vos chambres respectives, je souhaite vous montrer un message intercepté par mon contact au sein de la BMRA. Il était destiné à la presse. Lucas, je préfère te prévenir : cela risque d’être difficile.

  • De quoi s’agit-il ? demanda Lucas, visiblement tendu.

  • De notre ennemi à abattre.

 

Lucas s'adossa soudainement à sa chaise, hochant de la tête pour refuser de revoir cet homme sadique qui voulait détruire le monde entier. Tobias posa une main sur l’épaule de son compagnon, tentant de le réconforter face à l’épreuve à venir. Revoir Christian raviverait des souvenirs qu’il s’efforçait d’oublier depuis quatorze ans. Rien qu'à l'entendre, son corps semblait se raidir sous le poids de la mémoire. Christian avait laissé sur lui des cicatrices profondes, autant physiques que psychologiques. Malgré les avancées médicales, certaines traces restaient indélébiles.

La vidéo s’afficha, révélant le président de la BMRA assis à son bureau, avec le paysage étincelant d’Atlanta en arrière-plan. L’homme s’exprimait avec aisance, sa voix posée et persuasive, mêlant fermeté et apparente bienveillance.

Jane observait l’écran, son visage figé par le dégoût.

  • Il n’a pas changé, murmura-t-elle, les mâchoires serrées. À part peut-être sa folie, qui a encore grandi.

 

Lucas, incapable de regarder l’image, détourna les yeux. Mais la voix de Christian résonnait dans son esprit, ravivant chaque instant passé sous son emprise. Le souvenir des coups de fouet, des humiliations, était encore vif, une douleur qu’il ne parvenait pas à éteindre.

Tobias resserra légèrement son étreinte sur son épaule, offrant un soutien silencieux.

  • Chers citoyens de la Fédération Unie, je suis Christian Pieriam, directeur de la BMRA. Vous n’avez jamais vu mon visage auparavant, car mon identité a toujours été protégée pour des raisons de sécurité. Mais les récents événements m’obligent à sortir de l’ombre pour m’adresser à vous directement, avec franchise, et vous alerter du danger imminent qui nous menace. Les variants nous ont déclaré la guerre. Oui, une guerre. Cela nous contraint à nous unir, ensemble, pour faire face à cette menace qui pèse sur notre sécurité et notre liberté. Vous avez sûrement aperçu, dans vos rues, vos quartiers, vos villes, et jusque dans vos campagnes, nos fourgons d’intervention. Ces véhicules sont déployés pour appréhender des terroristes variants et leurs complices, qui, chaque jour, tentent de renverser notre gouvernement par la violence et la terreur. Je comprends votre étonnement, votre inquiétude, peut-être même votre désarroi. Ces individus peuvent être des personnes proches : un ami, une épouse, un enfant, ou une simple connaissance. Mais sachez-le : la trahison mène au chaos. Pour préserver l’ordre et garantir votre sécurité, le Congrès m’a donné toute autorité pour agir. Je ne reculerai devant rien pour enrayer cette situation, et je le ferai en votre nom. Les personnes arrêtées seront placées dans des centres de conditionnement où elles seront interrogées dans le respect de nos lois, puis traduites en justice si nécessaire. J’en appelle également aux variants eux-mêmes : soumettez-vous à ce protocole. Si vous êtes innocents, nous vous traiterons avec dignité et chercherons à vous soigner. Mais soyez assurés d’une chose : nous mettrons tout en œuvre pour éradiquer cette menace. Personne ne devrait avoir peur de sortir de chez soi, d’amener ses enfants à l’école, de travailler, ou simplement de profiter de la vie. Nous ne tolérerons plus que des attentats terroristes fomentés par des variants viennent briser notre quotidien et s’en prendre aux innocents. Ces êtres vils se cachent dans l’ombre, dissimulés derrière des abris, attendant le moment opportun pour frapper. Mais je vous le dis : il s’agit d’une guerre, et nous allons la mener avec détermination. Enfin, je m’adresse directement à la responsable de ce chaos. Jane Roselys, écoutez-moi bien : vous allez perdre. Vous et votre famille, vous serez anéantis. Vous avez osé vous dresser contre nous, et je vous promets que tout ce qui compte pour vous disparaîtra. Votre vie deviendra un enfer, car vous avez semé la destruction et la douleur. Au nom du peuple de la Fédération Unie, je jure devant Dieu que je vous retrouverai et que je vous ferai payer vos actes.

 

L'écran se figea à la demande de Jane. Elle bouillonnait d'un esprit de vengeance et de justice envers cet homme qui avait tant de fois essayé de détruire sa vie, sa famille, tout ce qu'elle avait tenté de faire pour améliorer les conditions de vie des variants.

  • Je voulais que vous voyiez à qui nous avons affaire. Lucas, je sais que c'est difficile pour toi. Mais c’est cet homme, et tout ce qu’il incarne, que nous devons arrêter.

Lucas releva les yeux, le visage marqué par une souffrance contenue, mais aussi par une détermination profonde.

  • Je sais, répondit-il d’une voix rauque. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il ne puisse plus jamais faire de mal à personne !

​​

< Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16 >
bottom of page