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À la vérité, tout leur devenait présent. Il faut bien le dire, la peste avait enlevé à tous le pouvoir de l'amour et même de l'amitié. Car l'amour demande un peu d'avenir, et il n'y avait plus pour nous que des instants.

La peste - Albert Camus

(Écrit par Cécile  J.)

Fiche de Jane Roselys (T1)

Bonus Jeanne

Chapitre 1

Année 1348

Il faisait chaud en cette fin de mois d’août et les plaines gorgeaient de soleil offraient un spectacle d’abondance et de richesse pour tous les moissonneurs. Il avait plu durant quelques jours et une odeur de terre mouillée enivrait les alentours. Au loin, au pied de la petite colline du chat comme on l’appelait, le village de Sommesous s’éveillait déjà avec la promesse d’une belle journée ensoleillée et chaude. Déjà la petite église faisait retentir son clocher marquant ainsi les environs de sa sonorité si familière. De nombreux paysans s’afféraient déjà au champ, accompagnés de leurs bêtes, de leurs épouses et d’enfants en âge de les aider. Tout le monde besognait dans la bonne humeur, s’affairant à couper les blés, les rassembler, les rouler… Des chants s’élevaient alors au-dessus des herbes pour se donner du courage et de la motivation.


François, un jeune homme robuste, travaillait son champ avec la passion de ces hommes proches de la terre. Déjà des perles de sueurs s’écoulait de son front et il prenait parfois un instant pour l’éponger avec son chapeau de tissu, laissant ainsi découvrir ses cheveux bruns et ondulés qui lui donnaient un air juvénile. Son épouse, Mahaut, n’était pas loin et elle s’occupait de rassembler la moisson et par moment de distribuer la boisson aux hommes et à tous ceux qui désiraient boire. Tout aussi jeune que son époux, c’était une jeune femme avenante, au sourire facile et à la belle gorge.


La matinée déjà bien avancée laissa place à une chaleur estivale, chaude et humide à la fois. Mahaut fit signer à ses fils, Paul et Jacques, ainsi qu’à Pierre, l’ami de ses enfants, pour venir se désaltérer sous le chêne dressé en bordure du champ. Son mari la regarda et ils se sourirent tendrement. Il comprit que sa femme ne le laisserait pas continuer sa besogne sans qu’il ne s’abreuve un instant sous les ombrages.

  • Vous le méritez bien ! s’exclama-t-elle avec joie.

  • Oh ! je ne suis pas sûr que tout le monde ait le même mérite ! S’amusa son époux d’un large sourire vers son ainé. Tu traines Paul !

 

Paul, un gaillard comme son père, d’une douzaine d’années, presque homme et pourtant de petite taille, n’osa répondre que d’un signe de tête mais ne put se contraindre au silence.

  • Je dois faire le travail de deux, père ! Jeanne aurait pu nous rejoindre.

  • Tu sais qu’elle ne sentait pas bien ce matin. Une légère fièvre surement dû à ces pluies des jours derniers… clama sa mère en servant les autres enfants. Elle ira mieux demain. Pour aujourd’hui, ton père lui a donné la corvée de traire notre vache et s’occuper des volailles. C’est toujours ça que tu n’aurais pas à faire. Elle doit porter notre repas tout à l’heure.

  • Elle est déjà bien en retard, remarqua Jacques, plus jeune et mince que son frère. Que diable cette fille porte le démon en elle.

  • Jeanne est plus fragile que vous autres, concéda François en terminant son godet. Et vous êtes ses grands frères, je ne veux pas vous entendre vous plaindre…

 

Les deux jeunes garçons acquiescèrent d’un signe de tête. Ils savaient que leur père, un homme juste et droit, ne tolérait pas de disputes et encore moins de jalousie au sein de son foyer. Il estimait que chacun devait œuvrer dans l’intérêt du foyer. Il ne pouvait donner tort malgré tout à son fils car il connaissait sa fille, Jeanne. Enfant d’une santé fragile, elle était malgré tout vive d’esprit, d’une intelligence rare suffisamment remarquable pour en faire un sujet de discussion au sein du village. Etrange revenait souvent, « cette petite est folle » disaient certains…


Malgré cela, ses parents voulaient la protéger et la chérissaient. Durant la petite enfance de leur fille, à l’âge où il n’était pas rare de perdre un enfant, ils avaient surmonté de nombreuses épreuves pensant la perdre à plusieurs reprises. Le père Louis lui donna à deux reprises l’extrême onction. Ils s’en remirent à Dieu, et à chaque fois, elle guérit miraculeusement.

Alors que les jeunes regagnaient le champ, leur outil à la main, François s’approcha de sa femme.

  •  On devrait envoyer Pierre voir comment elle va… Jacques a raison, elle devrait déjà être ici avec le manger.

 

Mahaut partageait le même avis que son mari. Il était préférable d’aller voir ce que faisait cette enfant. Elle appela le petit Pierre qui s’exécuta sans broncher. Elle lui donna instruction de regagner le village et d’aller voir Jeanne. Suivant son état, il faudrait la ramener au champ avec le repas.

Pierre s’en alla donc vers le village d’un pas décidé. Voisin de la famille, son père, Michel Hamelion, le laissait aider la famille Messonier, en échange, François et ses fils aidaient son père dans son propre champ, le Seigneur n’y trouvant rien à redire. Jeune garçon d’une dizaine d’années, plutôt mince, à la limite de la maigreur, il était plutôt grand pour son âge. Brun aux yeux noirs, il arborait un visage agréable et malicieux. Il connaissait tellement bien Jeanne, c’était son meilleur ami. Plus que ça. Depuis toujours, ils partageaient une complicité hors du commun. Leurs parents respectifs s’en amusaient lors de repas frugaux en commun. « Une chose qui est sure, ils finiront mariés ces deux-là… » disait-on. Si ce genre de déclarations laissait Jeanne de marbre, voire l’agacer, Pierre, en son for intérieur, s’en amusait, voire l’attendait de ses vœux.


Durant sa marche, il songea au retard de Jeanne. Il savait qu’elle était prompte à oublier ses corvées pour partir se promener rêvasser quelque part, pêcher au bord de la rivière. Bien qu’elle fût de santé fragile, Jeanne avait une énergie folle, presque anormale pour une jeune fille de son âge. Il aimait cela.

Il arriva devant la chaumière des Messonier et entra après avoir toqué et appelé son amie. Aucune réponse si ce n’est celles des poules qui picoraient alentour. Une fois dans le foyer, personne, la jeune fille n’était plus là. Il remarqua sur la table, le baluchon du déjeuner contenant le pain, le fromage et quelques prunes.

  • Jeanne ? tenta le garçon à nouveau. Es-tu là ?

 

Personne. Il décida d’emmener la pitance et quitta le foyer. Il pensa que la jeune fille ne devait pas être loin. En s’éloignant de la maison, il croisa le vieux Jean, vieillard sénile et édenté qui attendait son fils parti guerroyer vingt ans plutôt mais jamais revenu.

  • Bonjour petit Pierre ! Chanta le vieil homme en levant les bras au ciel. Grâce à Dieu, la pluie a cessé aujourd’hui.

  • Bonjour ! En effet. As-tu vu Jeanne ? Son père la cherche…

  • Oh ! La petite Jeanne à la peau claire ! Je crois l’avoir vu partir vers l’église. Elle a surement de nombreux péchés à confesser, cette petite diablesse !

 

Pierre se dirigea vers l’église du village et décida d’en faire le tour avant de pénétrer à l’intérieur. Le lieu sacré paraissait impressionnant, dominant le village de son clocher. Machinalement, il regarda vers la toiture parce qu’il savait la jeune fille assez téméraire pour oser s’y aventurer. A vrai dire, ce qui l’impressionnait le plus était plutôt le père Louis régnant sur sa paroisse comme un seigneur règne sur son domaine. Sa voix rauque le terrifiait. Durant les sermons, il lui arrivait de trembler en l’écoutant, le son amplifié par l’espace. Mais pas Jeanne. Jeanne n’avait pas peur.

Lorsqu’il arriva à l’arrière de l’église, il dut se convaincre d’entrer dans la bâtisse. La lourde porte grinça et brisa le silence des lieux.

  • Jeanne ? Chuchota-t-il impressionné. Jeanne ?

 

Aucune réponse. Pierre, inquiet, avançait d’un pas silencieux. Il prenait soin de passer inaperçu. Soudain, il entendit un bruit près de l’escalier sur sa droite. Celui-ci, il le savait, mener à une crypte sombre et froide, qui remontait à n’en point douter à une époque lointaine et sombre. À contre cœur, il se dirigea vers le son, avec tout le courage que peut avoir un enfant de son âge.

  • Jeanne ? tu es là ? Se risqua-t-il à nouveau. Bon sang, Jeanne, si tu es là, dis-le-moi ! Il fait sombre ici !

 

Il posa son pied sur la première marche, puis une seconde et alors qu’il entamait une descente vers la crypte qu’il redoutait tant, la petite Jeanne bondie derrière lui en criant. Alors que le jeune garçon effrayé sursauta violemment, la fillette se mit à rire aux éclats, faisant vibrer l’écho de sa voix à travers toute l’église.

  • Jeanne ! Diable ! Tu m’as fait peur ! Tu sais que je n’aime pas !

  • Ah ! Pierre, tu es plus peureux qu’un agneau ! 

 

Pierre, blessé dans son amour propre, ne releva pas la remarque et contempla Jeanne dont les mèches blondes s’échappaient de sa coiffe et ondulaient sur son front d’enfant. Bien que fâché, il riait intérieurement, parce que cela venait de Jeanne et que tout ce qui venait d’elle, apaisait son âme. Il appréciait sa présence plus qu’aucune autre et il adorait passer de longues heures à se promener pour ramasser des champignons ou juste à s’assoir près du cours d’eau.

  • Je suis venu pour te dire que ton père et ta mère te cherchent, annonça le garçon pour ramener Jeanne à la réalité. Tu devais porter le déjeuner au champ… Tu étais malade ce matin ?

  • Je vais mieux maintenant… J’allais porter le déjeuner et puis j’ai entendu ce maudit chat miauler devant la maison, alors je suis partie à ses trousses ! Ce sale ribaud a réussi à m’échapper en se glissant dans l’église. J’ai perdu sa trace ici… Je me suis cachée pour voir s’il allait réapparaitre, mais non… C’est toi qui es arrivé…

 

Pierre comprit de quoi elle parlait. Cela faisait déjà un mois que les deux enfants chassaient un énorme chat errant, roux aux pattes blanches, qui avait pris un malin plaisir à venir miauler près d’eux puis à s’enfuir à toute vitesse. Une fois, Jeanne avait failli l’attraper mais celui-ci était parvenu à s’extirper en griffant violemment la fillette. Malgré les multiples blessures, Jeanne avait continué à le poursuivre sans succès. Encore une fois, Pierre admira la témérité de son amie et accepta de mentir aux parents de la jeune fille, en affirmant que ces blessures provenaient d’une chute dans un parterre de ronces.

  • Bon, nous devrions rejoindre le champ, proposa Pierre dans un souci d’obéissance envers François et Mahaut.

  • Attends, viens voir ! J’ai trouvé quelque chose en me cachant.

 

Alors que le jeune garçon soupirait, Jeanne l’emmena dans la nef, puis à l’arrière de la croix qui trônait en son centre. Au fond, contre le mur, elle montra alors au jeune garçon, une sculpture sur une des immenses pierres qui soutenait toute la structure. Elle passa sa main sur la pierre comme pour retirer la poussière.

  • Regarde !

  • Eh bien je regarde ! Rétorqua Pierre. On dirait un guerrier tenant une épée…

  • Regarde mieux ! On dirait que le guerrier lance des boules de feu avec son autre main. Il y a une inscription dessous, mais je ne sais pas lire…

Soudain, une voix rauque et puissante s’éleva au loin.

  • Il est écrit « que celui qui détient un puissant pouvoir doit protéger les faibles par la grâce de Dieu ». C’est une représentation de St Théobald qui, selon la légende, repose sous ces pierres.

 

Les deux enfants se relevèrent d’un bond puis restèrent immobiles comme pétrifiés. Le père Louis avait fait son entrée et s’approcha d’eux d’un pas assuré. L’homme, de bonne stature, plutôt massif, avait un regard dur sans pour autant paraitre mauvais. Il tenait un petit livre dans ses mains massives et calleuses.

  • Par tous les saints, que faites-vous ici ? Demanda-t-il d’une voix claire. Je suppose que vous n’êtes pas venus prier ou vous repentir de vos péchés ?

  • Nous n’avons pas péché ! défia la jeune fille presque amusée.

  • Tais-toi donc ! Murmura Pierre impressionné par le prête, homme d’allure sévère.

  • Jeanne. Je ne sais pour quelle raison notre seigneur a placé tant d’espoir en toi, mais je suis convaincu qu’il a de bonnes raisons… Cela dit, tu devrais être plus sage et surtout respecter ce lieu…

 

Arrivé à leur hauteur, le père Louis les toisa de sa hauteur, puis son regard se fit plus doux et il se signa comme tout bon chrétien en regard pieusement la croix qui trônait devant lui.

  • J’ai croisé ta mère ce matin, et elle me disait que tu étais un peu souffrante… Je constate que le seigneur t’a soigné. N’as-tu pas de travail à accomplir pour le remercier ?

  • Oui, répondit-elle en baissant les yeux.

  • Et bien je crois que tu devrais t’y remettre et permettre à ce jeune homme de retourner également dans le droit chemin. Partez et n’oubliez pas vos prières !

 

Il s’écarta et les deux enfants s’en allèrent en courant, puis sortir de la nef sous le regard amusé et paternel du prêtre.

Pierre portait toujours la nourriture dans ses mains et ils coururent plusieurs centaines de mètres avant de s’arrêter. Jeanne riait de bon cœur alors que le jeune garçon reprenait son souffle, encore apeuré par sa rencontre avec le père Louis.

  • Qu’as-tu encore Jeanne ?

  • Je ris de voir ta tête ! Si tu avais pu voir ton visage quand le père Louis parlait !

  • Il me fait peur, voilà tout ! Il ne t’effraie pas ?

  • Je n’ai peur de rien !

  • Eh bien moi oui ! Ce n’est pas une mauvaise chose que d’avoir peur parfois, cela évite de faire de mauvaises choses comme dit ma mère.

 

Les deux enfants reprirent leur marche sous un soleil d’été, chaud et puissant. Lorsqu’ils arrivèrent au champ, Jeanne se remit à courir et s’élança dans les bras de son père riant. Son chapeau en fut projeté à quelques pas d’eux. Mahaut et les jeunes garçons les regardèrent également.

  • Bonjour Père ! Fit la jeune Jeanne survoltée d’un sourire lumineux.

  • Bien le bon jour ma fille, répondit François en l’embrassant sur le front.

  • Ta fille est en retard et c’est ainsi que l’accueille, s’amusa Mahaut en s’essuyant le front luisant.

 

Pierre la regarda et il la trouva belle, ou plutôt admirable parce qu’elle était courageuse, intrépide et qu’il fut convaincu qu’il n’avait pas ces qualités.

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